livre. J'en tire cette conséquence, qu'il est très-essentiel que le pouvoir législatif soit exercé par des députés librement élus, pour un temps limité, sur toutes les parties du territoire d'une nation. Car c'est cette manière qui donne le plus la certitude que les lois seront bien assorties à l'esprit général qui règne dans cette nation. CHAPITRE XVIII. Sur les livres 20 et 21. — Des lois dans le rapport qu'elles ont avec le commerce considéré dans sa nature et ses distinctions. Des lois dans le rapport qu'elles ont avec le commerce considéré dans les révolutions qu'il a eues dans le monde. De même que j'ai joint ensemble les quatre livres qui traitent de la nature du climat, je réunis actuellement ces deux-ci qui ont rapport au commerce. Mais j'avoue que je ne sais comment aborder les questions qui y sont, non pas traitées, mais tranchées. Je ne puis ni voir la connexion qu'elles ont entr'elles, ni trouver dans les unes les élémens de la solution des autres, comme cela devrait être, si elles étaient bien éclaircies et bien liées. Cela me rappelle ces paroles d'un homme qui avait un excellent esprit Mon père, dit-il, mon frère aîné et moi, nous avions trois manières de travailler tout-à-fait différentes. Mon père cassait tous les fils et les renouait facilement; mon frère les cassait aussi et ne les renouait pas toujours. Pour moi je táche de ne les pas rompre, car je ne serai jamais sûr de les bien renouer. Je veux croire que Montesquieu est comme le père, et qu'il ne laisse jamais échapper le fil de ses idées, quoiqu'on n'en voie pas toujours l'enchaînement. Mais pour moi qui ne veux pas être comme le frère aîné, je n'ai d'autre moyen que de m'efforcer de faire comme le second. Je vais donc tâcher de pénétrer assez avant dans le fond du sujet, pour y trouver un point fixe d'où je puisse partir, et auquel je puisse tout rattacher. On se fait, en général, du commerce une idée très-fausse, parce qu'elle n'est pas assez étendue. Il est à peu près dans le même cas que ce que l'on appelle les figures de rhétorique. Nous ne remarquons ordinairement celles-ci que chez les rhéteurs et dans les discours d'apparat, en sorte qu'elles nous paraissent une invention très-recherchée et fort extraordinaire; et nous ne nous apercevons pas qu'elles nous sont si naturelles, que nous en faisons tous une quantité pro digieuse dans nos moindres discours, sans y penser. De même nous ne reconnaissons communément le commerce que chez les négocians qui en font une espèce de science occulte et un métier particulier; nous n'y voyons que le mouvement d'argent qu'il produit et qui n'en est pas le but; et nous ne faisons pas attention que nous commerçons tous incessamment et continuellement, et que la totalité du commerce pourrait s'effectuer sans argent et sans négocians. Car les négocians de profession sont les agens de certains commerces; l'argent en est le véhicule et l'instrument: mais ce n'est pas là proprement le commerce. Le commerce consiste essentiellement dans l'échange. Tout échange est un acte de commerce, et notre vie toute entière est une suite perpétuelle d'échanges et de services réciproques. Nous serions tous très-malheureux qu'il n'en fût pas ainsi; car nous serions réduits chacun à nos propres forces, sans pouvoir nous aider jamais de celles des autres. En considérant le commerce sous ce point de vue, qui est le vrai, on y voit ce qu'on n'y avait jamais remar¬ qué. On trouve qu'il n'est pas seulement le fondement et la base de la société, mais qu'il en est pour ainsi dire l'essence, qu'il est la société elle-même. Car la société n'est autre chose qu'un échange continuel de secours mutuels, et cet échange produit le concours des forces de tous pour la plus grande satisfaction des besoins de chacun. Il est donc ridicule de mettre en doute que le commerce soit un bien, et plus ridicule encore de croire qu'il puisse jamais être un mal absolu, ou seulement n'être utile qu'à une des parties contractantes. Il est toujours utile à un homme de pouvoir se procurer ce dont il a besoin, au moyen de ce dont il n'a que faire. Cette faculté ne peut jamais être un mal en elle-même ; et quand deux hommes se donnent réciproquement et librement une chose qu'ils estiment moins, pour recevoir une chose qu'ils estiment plus, puisqu'ils la désirent, il est impossible qu'ils n'y trouvent pas tous deux leur avantage. Or, c'est là tout le commerce. Il est bien vrai que l'un des deux peut faire ce que nous appelons un mauvais marché, et l'autre en faire un bon : c'est-à-dire, pour ce qu'il sacrifie, ne reçoit pas autant de , que l'un, |