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serfs s'épuisent à cultiver, pour le vendre à l'étranger, et acheter en retour des objets de luxe qu'ils consomment, tout le monde n'en est que plus misérable. Il vaudrait mieux que ces magnats ne trouvassent pas à vendre leurs grains. Ils essayeraient peutêtre d'en nourrir des hommes auxquels ils tâcheraient d'apprendre à fabriquer au moins une partie des choses qu'ils désirent. Mais encore une fois ce n'est pas là la faute du commerce. On peut même ajouter, qu'encore dans ce cas, par son effet lent et inévitable d'appauvrir les prodigues en leur offrant des jouissances, et d'éclairer les malheureux en faisant pénétrer parmi eux quelques hommes moins abrutis, il tend nécessairement à amener un ordre de choses moins détestable. On peut en dire autant des guerres absurdes et ruineuses, que l'on fait trop souvent pour conserver l'empire et le monopole exclusif de quelques colonies lointaines. Ce n'est point encore là le commerce, mais la manie de la domination et la démence de l'avidité, ou comme disait Mirabeau du papier monnaie forcé, et comme on pourrait dire de bien d'autres choses, c'est

une orgie de l'autorité en délire. Voilà, ce me. semble, une partie de ce que notre auteur aurait dû développer avec toute l'éloquence et la profondeur de vues dont il était doué, au lieu de tant de choses insignifiantes ou fausses qu'il a laissé échapper de sa plume, au milieu de beaucoup d'autres qui sont admissibles.

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CHAPITRE XIX.

Sur le livre 22. Des lois dans le rapport qu'elles ont avec l'usage de la monnaie.

Les monnaies sont un sujet bien savant aux yeux de certains hommes qui se croient bien habiles, et qui s'imaginent qu'il y a des choses très-fines à dire sur l'argent, sur son usage, sur sa circulation, et sur les moyens de la faciliter et même d'y suppléer. Pour moi, j'avoue que je ne vois point là de mystères si occultes, et je suis même convaincu que dans ce genre, comme dans tous les autres, tout ce qui approche de la subtilité ne fait qu'éloigner de la droite raison. Je me bornerai donc à un petit nombre d'observations, d'autant plus que je crois fermement avoir dit dans le chapitre précédent, à propos du commerce, la plus grande partie de ce qu'il y a de plus essentiel à remarquer sur les propriétés et les effets de l'argent monnaié.

La société consiste essentiellement dans le

commerce, et le commerce dans l'échange. Toutes les marchandises, nous l'avons vu, ont une valeur naturelle et nécessaire, celle du travail indispensable pour les produire, et une valeur vénale, celle des autres marchandises que l'on trouve à troquer contre celles-là dans les échanges. Toutes ces valeurs diverses sont successivement mesures les unes des autres; mais elles sont variables et fragiles, et parconséquent difficiles à apprécier, à fixer, à conserver. Parmi ces denrées ayant toutes une valeur, il s'en trouve une homogène, inaltérable, divisible, facile à transporter; elle devient naturellement la mesure de toutes les autres. C'est l'argent. Ce qui en constate la qualité et la quantité avec le plus grand scrupule, c'est le titre et le poids; l'autorité publique y imprime une marque. Il devient la monnaie. Voilà tout le mystère.

Cette courte explication de la nature de la monnaie, nous montre d'abord qu'il ne peut y avoir qu'un métal qui soit réellement monnaie, c'est-à-dire, à la valeur duquel on rapporte toutes les autres valeurs; car dans tout calcul, il ne peut y avoir qu'une

unité de mesure. Ce métal c'est l'argent, parce que c'est celui qui se prête le mieux au plus grand nombre des subdivisions dont on a besoin dans les changes. L'or vient le secourir pour le payement de plus grandes sommes mais ce n'est que subsidiairement, ce n'est qu'en rapportant la valeur de l'or à celle de l'argent. La proportion est à peu près en Europe de quinze ou seize à un. Mais elle varie de valeur comme toutes les autres proportions, suivant les demandes. A la Chine, elle n'est ordinairement que de douze ou treize à un, ce qui fait qu'il y a du profit à y porter de l'argent, parce que pour douze onces d'argent, vous y avez une once d'or, qui à votre retour en Europe vous vaut quinze onces d'argent vous en avez donc gagné trois. Les autorités politiques peuvent bien cependant frapper de la monnaie d'or et en fixer la proportion avec celle d'argent, c'est-à-dire, statuer que toutes les fois qu'il n'y aura pas des stipulations contraires, on recevra indifféremment une once d'or ou quinze ou seize onces d'argent. C'est comme elles établissent que, dans les actions judiciaires, quand il y a des sommes qui

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