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que comme dix, si pendant ce temps ils deviennent dix fois plus nombreux. Ce calcul est simple. Il est vrai pourtant qu'étant devenus dix fois plus nombreux, ils font aussi dix fois plus de travail, et qu'ainsi, leur multiplication n'est pas au détriment de leur aisance, ou du moins n'y est que pour la somme de sacrifices que leur a coûtés l'éducation des enfans dont leur nombre s'est accru, et ne devient vraiment un mal, que quand les hommes sont assez nombreux pour se gêner les uns les autres, et s'empêcher réciproquement d'employer leurs facultés aussi utilement pour eux, qu'ils pourraient le faire, s'ils étaient moins rapprochés. Quoi qu'il en soit, il est certain que l'augmentation du nombre des individus est une conséquence de leur bien-être, mais que c'est leur bien-être qui est le vrai but de la société, et que leur multiplication n'en est que l'accessoire souvent peu désirable. Au reste, quand on en ferait le principal, les moyens que nous avons indiqués, seraient encore les seuls efficaces, pour produire cette multiplication si follement désirée. Tous ceux qui révoltent la nature, qui blessent la liberté

naturelle, qui froissent les sentimens qui sont dans tous les cœurs, qui enlèvent à chacun, en tout ou en partie, la libre disposition de sa personne, tous ceux enfin qui exigent l'action violente d'une autorité que personne n'a pu vouloir donner à un autre sur luimême, n'atteindront point le but. Car les hommes ne sont point des machines impassibles, mais des êtres sensibles; leurs sentimens sont les plus grands ressorts de leur vie, surtout ceux qui sortent du fonds même de leur constitution. D'un autre côté, quand je dis qu'il est désirable que le nombre des hommes ne s'augmente pas au-delà d'un certain terme, il n'en faut point conclure que l'on puisse donner à qui que ce soit le pouvoir de retrancher l'excédent du nombre des vivans tout être animé, une fois né et capable de jouissance et de souffrance, n'est la propriété de personne, ni de son père, ni de l'état; il est la sienne propre. Par son existence même, il a droit à sa conservation. L'en priver est un crime qui a été autorisé par beaucoup de législateurs contre lesquels les théologiens de leur pays n'ont point réclamé.

Mais ne pas donner naissance à cet être, quand il ne pourrait que vivre malheureux, et que rendre malheureux ses proches, est un acte de prudence qui a été condamné et contrarié par beaucoup de dispositions législatives et de préceptes religieux. C'est ainsi que va souvent le monde. Ceci nous mène naturellement au sujet des deux livres suivans.

CHAPITRE XXI.

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Sur les livres 24 et 25. Des lois dans le rapport qu'elles ont avec la religion établie dans chaque pays, considérée dans ses pratiques et en elle-même. Des lois dans le rapport qu'elles ont avec l'établissement de la religion de chaque pays et sa police extérieure.

La religion n'est pas un sujet bien difficile à traiter sous le rapport de l'art social. L'esprit des lois à cet égard doit être de ne blesser, ni de gêner les opinions religieuses d'aucun citoyen, de n'en adopter aucune, et d'empêcher qu'aucune ait la

moindre influence sur les affaires civiles. Sans doute il y a des religions plus nuisibles que d'autres par les usages qu'elles adoptent, par les maximes pernicieuses qu'elles consacrent, par le célibat de leurs prêtres, par les moyens de séduction, de corruption ou seulement d'influence qu'elles leur donnent, par leur dépendance d'un souverain

étranger, surtout par leur aversion plus ou moins grande pour les lumières en tout genre. Mais aucune, quelle qu'elle soit, n'appartient en rien à l'ensemble du corps social. Elle est une relation immédiate et particulière de chaque individu avec l'auteur de toutes choses. Elle n'est point au nombre des choses qu'il a dû et pû mettre en commun avec ses co-associés ou concitoyens. On ne peut jamais s'engager à penser de même ou autrement qu'un autre, parce qu'on n'en est pas le maître. On n'est pas de même certain de ne pas changer d'avis. Toute religion consiste essentiellement dans des opinions purement spéculatives, appelées dogmes. Sous ce rapport, toutes, excepté la véritable, sont des systèmes philosophiques plus ou moins téméraires, plus ou moins contraires à la sage réserve de la saine logique. Toutes joignent à ces dogmes quelques préceptes de conduite. Si quelques-uns de ces préceptes sont contraires à la saine morale sociale, (et cela arrive dans toutes, toujours excepté la véritable, parce que toutes ont été faites dans des temps d'ignorance, et que la morale ne peut être épurée que dans des

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