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En effet, il est essentiel à ce gouvernement que le public attache beaucoup d'importance à l'éclat extérieur. Il faut que ceux qui remplissent les places obtiennent beaucoup plus de considération par la figure qu'ils font, que par l'importance de leurs fonctions mêmes: Or, la vénalité en écarte sûrement non-seulement ceux qui n'ont

pas de quoi les payer, mais même ceux qui n'auraient pas de quoi y briller par leur dépense, et qui seraient tentés d'introduire la mode de mépriser le faste, et de se faire valoir par d'autres avantages moins frivoles. De plus, cette même vénalité tend énergiquement à appauvrir le tiers-état au profit du trésor par les finances qu'on y verse, et au profit de la classe privilégiée en y faisant entrer les fortunes de ceux qui s'y trou vent introduits par ces charges; et c'est encore là un avantage important dans ce système. Car il n'y a que la classe inférieure dans un tel ordre de choses, qui s'enrichisse continuellement par l'économie, par le commerce, par tous les arts utiles; et si on ne la soutirait pas sans cesse par tous les moyens, elle deviendrait rapidement la plus riche et

la plus puissante, et même la seule puissante, étant déjà nécessairement, par la nature de ses occupations, la plus éclairée et la plus sage. Or, c'est ce qu'il faut surtout éviter. Le mot de Colbert à Louis XIV: Sire, quand V. M. crée une charge, la Providence crée tout de suite un sot pour l'acheter, est plein d'esprit et de profondeur sous ce rapport. Effectivement, si la Providence ne fascinait pas à chaque instant les yeux des hommes de la classe moyenne, ils réuniraient bientôt tous les avantages de la société. Les mariages des filles riches des plébéiens avec les membres pauvres du corps de la noblesse, sont encore un excellent moyen de prévenir cet inconvénient. On ne saurait trop les encourager. C'est une des choses en quoi la folle vanité est le plus utile.

Les avis que Montesquieu donne aux gouvernemens aristocratiques dans ce même livre, me paraissent également sages. J'y ajouterais seulement que si les nobles aristocrates doivent s'interdire tous les moyens d'augmenter leurs fortunes, ils doivent en même temps veiller avec un soin jaloux, à ce que les membres de la bourgeoisie n'ac

croissent pas leurs richesses. Ils doivent contrarier sans cesse le développement de leur industrie, et s'ils ne peuvent réussir à l'étouffer, il faut qu'ils fassent entrer successivement dans leur corps, tous ceux qui ont obtenu un grand succès. C'est le seul moyen qui leur reste pour n'avoir pas tout à en craindre. Encore ce moyen ne serait-il pas sans danger si l'on était obligé d'y avoir recours trop

souvent.

Il est presque superflu d'observer ici, comme nous l'avons fait à propos de l'éducation, que , que les monarchies et les aristocraties dites nationales, ont absolument les mêmes intérêts, et que toutes doivent prendre les mêmes mesures; mais qu'elles doivent les employer avec infiniment plus de ménagement et de circonspection. Car enfin il est convenu qu'elles n'existent que pour l'avantage de tous: il ne faut donc pas qu'il soit trop visible que toutes ces dispositions qui n'ont pour but que l'intérêt particulier des gouvernans, sont contraires au bien général et à la prospérité de la masse. Mais c'en est assez sur ce sujet. Je ne parlerai point ici de la démocratie pure, parce que, comme je l'ai déjà dit, c'est

un gouvernement impraticable à la longue, et absolument impossible sur un espace de terrain un peu étendu. Je ne m'amuserai donc pas à examiner si les mesures tyranniques et révoltantes que l'on croit nécessaires pour le soutenir sont exécutables, et si même plusieurs ne sont pas illusoires et contradictoires. Je passerai tout de suite au gouvernement représentatif pur, que je regarde comme la démocratie de la raison éclairée.

Celui-là n'a nul besoin de contraindre les sentimens et de forcer les volontés, ni de créer des passions factices ou des intérêts rivaux, ou des illusions séductrices. Il doit au contraire laisser un libre cours à toutes les inclinations qui ne sont pas dépravées et à toutes les industries qui ne sont pas contraires au bon ordre. Il est conforme à la nature il n'a qu'à la laisser agir.

Ainsi il tend à l'égalité. Mais il n'essayera pas de l'établir par des mesures violentes qui n'ont jamais qu'un effet momentané, qui manquent toujours leur but, et qui de plus sont injustes et affligeantes. Il se bornera à diminuer autant que possible la plus funeste de toutes les inégalités, celle des lumières ;

à développer tous les talens, à leur donner à tous une égale liberté de s'exercer, et à ouvrir à chacun des citoyens également tous les chemins vers la fortune et la gloire.

Il a intérêt à ce que les grandes richesses amoncelées ne se perpétuent pas dans les mêmes mains, se dispersent bientôt, et rentrent dans la masse générale. Il ne tentera pas d'opérer cet effet directement et par force, il ne cherchera même pas à le produire en excitant à la profusion et à la dissipation ce serait corrompre au lieu d'opprimer. Il se contentera de ne permettre ni majorats, ni substitutions, ni retraits lignagers, ni priviléges, qui ne sont que des inventions de la vanité, ni encore moins des arrêts de surséance qui sont de vrais subterfuges de la friponnerie. Il établira l'égalité des partages, restreindra la faculté de tester, permettra le divorce avec les précautions convenables, empêchera ainsi que les testamens et les mariages soient un objet continuel de spéculations sans honnête industrie et du reste il s'en rapportera à l'effet lent, mais sûr, de l'incurie des riches et de l'activité des pauvres.

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