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rentes classes, présente des difficultés importantes, et donne lieu à beaucoup d'observations, parce qu'elle fixe et constate l'idée que l'on a de ces gouvernemens, et le caractère essentiel que l'on y reconnaît. J'ai déjà dit ce que je pense de la division des gouvernemens en républicain, monarchique et despotique, adoptée par Montesquieu. Je la crois défectueuse par plusieurs raisons. Cependant il y est très-attaché, il en fait la base de son système de politique, il y rapporte tout, il y assujettit sa théorie toute entière, et je suis persuadé que cela nuit souvent à la justesse, à l'enchaînement et à la profondeur de ses idées. Je ne saurais donc trop motiver mon opinion.

D'abord la démocratie et l'aristocratie sont si essentiellement différentes, qu'elles ne sauraient être confondues sous un même nom. Aussi Montesquieu lui-même est souvent obligé de les distinguer. Alors il a quatre gouvernemens au lieu de trois, et quand il parle du gouvernement républicain, on ne sait plus précisément duquel il est question. Voilà un premier inconvénient. Ensuite qu'est-ce que le despotisme? nous

avons dit que ce n'était qu'un abus et non une espèce de gouvernement. Cela est vrai, si l'on ne considère que l'usage du pouvoir. Mais si l'on n'a égard qu'à son étendue, le despotisme est le gouvernement d'un seul. Il est la concentration de tous les pouvoirs dans une seule et même main. Il est l'état de la société dans lequel un seul a tous les pouvoirs, et tous les autres n'en ont aucun. Il est enfin essentiellement la monarchie, à prendre ce mot dans toute la force de sa signification. Aussi avons-nous déjà observé qu'il est la vraie monarchie pure, c'est-à-dire, illimitée; et il n'y a pas d'autre vraie monarchie. Car, qui dit monarchie tempérée ou limitée, dit une monarchie où un seul n'a pas tous les pouvoirs, où il y en a d'autres que le sien, c'est-à-dire, une monarchie qui n'est pas une monarchie. Il faut donc écarter cette dernière expression qui implique contradiction : et nous voilà revenus par la force des choses et l'exactitude de l'analyse, à trois genres de gouvernemens; mais au lieu du républicain, du monarchique et du despotique, nous avons le démocratique, l'aristocratique et le monarchique.

Dans ce système, que ferons-nous donc de ce que l'on appelle ordinairement monarchie, c'est-à-dire, de cette monarchie qui est limitée et tempérée? nous remarquerons que ce n'est jamais par le corps entier de la nation que le pouvoir du monarque est limité, quand il l'est; car alors ce ne serait plus le gouvernement monarchique tel qu'on l'entend, ce serait le gouvernement représentatif sous un seul chef, comme dans la constitution des Etats-unis de l'Amérique, ou comme dans celle faite pour la France, en 1791. Le pouvoir du souverain dans ce qu'on nomme monarchie tempérée, n'est donc jamais limité que par des fractions de la nation, et par des corps puissans élevés dans son sein, c'est-à-dire, des collections d'hommes ou de familles, réunies par une conformité de naissance, de fonctions, ou d'illustration, et ayant des intérêts communs, mais distincts de l'intérêt général de la masse. Or, c'est là précisément ce qui constitue une aristocratie. J'en conclus que la monarchie de Montesquieu n'est autre chose que l'aristocratie sous un seul chef, et que par conséquent sa division des gouvernemens, bien expliquée et bien comprise, se réduit à celleci: démocratie pure, aristocratie avec un ou plusieurs chefs, et monarchie pure.

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Cette nouvelle manière de considérer les formes sociales en nous faisant mieux voir le caractère essentiel de chaque gouvernement, nous suggère des réflexions importantes. La démocratie pure, malgré les éloges que lui ont prodigués le pédantisme et l'irréflexion, est un ordre de choses insupportable. La monarchie pure est à peu-près aussi intolérable; l'une est un gouvernement de sauvages; l'autre, un gouvernement de barbares. Il est à peu près impossible que tous deux n'éprouvent pas des altérations à la longue. Ils sont seulement, l'un et l'autre, l'enfance de la société, et l'état presque nécessaire de toute nation commençante.

En effet, des hommes grossiers et ignorans ne savent pas combiner une organisation sociale. Ils ne peuvent imaginer que deux choses, ou de prendre tous également part à la conduite de la peuplade, ou de s'en remettre aveuglément à celui d'entr'eux qui s'est attiré leur confiance. Le premier de ces deux moyens a dû être préféré le plus

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souvent par ceux chez qui l'esprit d'inquiétude et d'activité a entretenu l'instinct de l'indépendance; et le second par ceux en qui la paresse et l'amour du repos ont prévalu; et dans cet état primitif de l'homme, l'influence du climat agissant très - énergiquement elle a dû presque toujours décider de ces dispositions. Aussi voyons-nous toutes les sociétés informes, depuis le nord de l'Amérique jusqu'à la Nigritie et aux îles de la mer du sud, sous l'un de ces deux régimes, ou même passant rapidement de l'un à l'autre suivant les circonstances. Car quand une horde de sauvages a élu un chef de guerre qu'ils suivent tous, la démocratie absolue est changée en monarchie pure.

Mais ces deux ordres de choses font naître des mécontentemens, soit par la conduite du despote, soit par celle des citoyens ; et pendant ce temps-là, il s'établit insensiblement entre les membres de l'association, des différences de crédit, de forces, de richesses, de talens, de puissance quelconque. Ceux qui possèdent ces avantages, en usent. Ils forment des réunions, ils se saisissent des opinions civiles ou religieuses qui s'établissent

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