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Cette considération me paraît prouver que cet usage est convenable aux différens gouvernemens, à proportion qu'ils sont euxmêmes plus compatibles avec l'esprit de liberté, l'amour de la justice et le goût général pour les affaires.

C'est, au reste, un très-bon usage dans les gouvernemens, que la punition de tous les délits se poursuive par les soins de la partie publique, et non par l'effet d'accusations particulières. Punir le crime pour empêcher qu'il ne se renouvelle est une vraie fonction publique. Personne ne doit être maître de s'en emparer pour la faire servir à ses passions privées, et lui donner l'air d'une vengeance.

Relativement à la sévérité des peines, la première question qui se présente à résoudre, est de savoir si la société a jamais le droit d'ôter la vie à un de ses membres. Montesquieu n'a pas jugé à pas jugé à propos de traiter cette question, sans doute parce qu'il entre dans son plan de parler toujours du fait et de ne jamais discuter le droit. Pour moi, quoique très-fidèle au plan que je me suis fait de le suivre scrupuleusement, je pense qu'il est utile de justifier ici la peine capitale du

reproche d'injustice dont l'ont couvert des hommes respectables et par leurs lumières et par les motifs qui les ont dirigés. Il ne faut pas que cette mesure sévère et affligeante, ait un caractère odieux, tant que les circonstances la rendent nécessaire. J'avouerai donc que suivant moi, la société a pleinement le droit d'annoncer d'avance qu'elle fera périr quiconque se rendra coupable d'un crime, dont les suites lui paraissent assez funestes pour être subversives de son existence. C'est à ceux qui ne voudraient pas se soumettre aux conséquences de cette disposition à renoncer à la société qui l'adopte, avant de s'être mis dans le cas qu'on puisse la leur appliquer. Ils doivent toujours en avoir la liberté toute entière, et dans toute autre occasion, comme dans celle-là sans quoi il n'y a pas un réglement de la société qui soit complétement juste, puisqu'il n'y en a pas un qui ait été accepté librement par les intéressés. Mais avec cette condition, l'établissement de la peine de mort me paraît tout aussi juste en lui-même que celui de tout autre peine.

Cela ne veut pas dire, au reste, que le coupable soit obligé en conscience d'aban

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donner sa vie, parce que la loi veut sa mort, et de renoncer à se défendre parce qu'elle l'attaque. Ceux qui ont professé ces principes sont aussi exagérés dans leur sens, que ceux qui contestent à la société le droit de punir de mort, le sont dans le leur. Les uns et les autres ont une idée inexacte de la justice criminelle. Quand le corps social annonce qu'il punira de telle peine telle action, il se déclare d'avance en état de guerre avec celui qui commettra cette action qui lui nuit. Mais le coupable n'a pas perdu pour cela le droit de sa défense personnelle. Nul être animé n'en saurait être jamais privé. Seulement il est réduit à ses forces individuelles; et les forces sociales qui dans toute autre occasion l'auraient protégé, sont dans celle-ci tournées contre lui.

Il ne reste plus qu'à savoir jusqu'à quel point il faut employer ces forces contre le crime, pour le prévenir efficacement. A cet égard on ne peut qu'admirer la belle observation de Montesquieu, que plus les gouvernemens sont animés de l'esprit de la liberté, plus les peines y sont douces; et les excellentes choses qu'il dit sur l'ineffica

cité des punitions barbares ou seulement trop sévères, sur le triste effet qu'elles ont de multiplier les crimes au lieu de les diminuer, parce qu'elles rendent les mœurs atroces et les sentimens féroces, enfin sur la nécessité de graduer et de proportionner les peines à l'importance des délits et à la tentation de les commettre, et surtout de faire en sorte qu'il ne paraisse pas possible que le coupable y échappe; c'est là principalement ce qui détourne du crime; et il ne faut jamais oublier que le seul motif raisonnable des punitions, la seule cause qui les rende justes, ce n'est pas de réparer le mal fait, ce qui est impossible; ce n'est pas de satisfaire la haine qu'inspire le vice, ce qui ne serait qu'obéir à un sentiment aveugle; mais c'est uniquement d'empêcher le mal à venir, ce qui est la seule chose à la fois utile et possible.

Cette seule réflexion fait voir combien est absurde la loi du talion, qui donne à la justice la marche et toute l'apparence d'une vengeance brutale. On est tout étonné de trouver dans notre célèbre auteur un chapitre exprès sur cette loi de sauvages, et

de n'y point trouver cette remarque essentielle. Il y a des momens où les meilleurs esprits paraissent réellement sommeiller. Montesquieu nous en fournit un autre exemple dans le chapitre suivant, où il approuve que des hommes innocens soient déshonorés pour le crime de leur père ou de leurs fils: on en peut dire autant du chapitre 18me où après ces mots, nos pères les Germains n'admettaient guère que des peines pécuniaires; il ajoute : Ces hommes guerriers et libres estimaient que leur sang ne devait étre versé que les armes à la main. Il ne s'aperçoit pas que si les sauvages de la forêt Hercinie qu'il veut vanter, on ne sait pourquoi, n'avaient jamais accepté de compositions pécuniaires pour un assassinat, il aurait dit avec bien plus de raison: Ces hommes généreux et fiers mettaient à si haut prix le sang de leurs proches, qu'ils croyaient que le sang seul du coupable pouvait le payer, et qu'ils auraient rougi d'en faire l'objet d'un honteux trafic. Ce profond penseur a souvent le tort, comme Tacite, de beaucoup trop respecter les peuples barbares et leurs institutions.

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