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1654. nous déplaçons jamais : je suis passable auteur, >> si j'en crois la voix publique ; je puis être un >>fort mauvais secrétaire. Je divertis le prince par » les spectacles que je lui donne ; je le rebuterai >> par un travail sérieux et mal conduit. Et pen>> sez-vous d'ailleurs qu'un misanthrope comme » moi, capricieux, si vous voulez, soit propre auprès d'un grand? Je n'ai pas les sentimens assez » flexibles pour la domesticité. Mais, plus que » tout cela, que deviendront ces pauvres gens » que j'ai amenés de si loin? Qui les conduira ? » Je me reprocherais de les abandonner. » La place fut donnée à un gentilhomme nommé de Simoni '.

1657.

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1654 Molière et sa troupe parcoururent encore la à province pendant plusieurs années. Dans ces diverses excursions, il fit représenter plusieurs farces dans le goût italien, par lesquelles il préludait à ses belles compositions. C'étaient les Trois Docteurs rivaux et le Maître d'école, dont il ne nous reste que le titre. Mais deux autres de ces bluettes que nous possédons, le Médecin volant et la Jalousie du Barbouillé, ne laissent pas de grands regrets pour la perte des premières. L'intrigue de ces deux petites comédies a bien quel

14.

1. Grimarest, pag. 24.—Voltaire, Vie de Molière, 1739, pag. — Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière.- Petitot, p. 9.

à

1657.

ques traits de ressemblance avec celle du Méde-1654 cin malgré lui et de George Dandin1; « mais tout cela, »> ainsi que l'a dit J.-B. Rousseau, « est revêtu » du style le plus bas et le plus ignoble qu'on » puisse imaginer. Ainsi le fond de la farce peut » être de Molière; on ne l'avait point porté plus » haut de ce temps-là; mais, comme toutes les >> farces se jouaient à l'improvisade, à la manière >> des Italiens, il est aisé de voir que ce n'est point lui qui en a mis le dialogue sur le papier; » et ces sortes de choses, quand même elles se>> raient meilleures, ne doivent jamais être comptées parmi les ouvrages d'un homme de lettres ». Cependant Boileau regrettait la perte du Docteur amoureux, autre bouffonnerie du même genre, » parce que, disait-il, il y a toujours quelque >> chose d'instructif et de saillant dans ses moindres

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Au mois de décembre de l'année 1657, la 1657. troupe nomade se rendit à Avignon, où elle avait déjà donné des représentations en 1653. Molière y rencontra Mignard, qui, revenant d'Italie, où il avait séjourné pendant vingt-deux ans, s'é

1. Voir notre édition des OEuvres de Molière, tom. IV, p. 285 et suiv., et tom. VI, pag. 161 et suiv.

2. OEuvres de J.-B. Rousseau, avec des notes, par. M. Amar, tom. V, pag. 320.

3. Bolæana, Amsterdam, 1742, pag. 31.

1657. tait arrêté dans le Comtat pour dessiner les antiques d'Orange et de Saint-Remi, et pour faire le portrait de la trop fameuse marquise de Gange. C'est là que se contracta entre ces deux hommes célèbres une union qui concourut pour ainsi dire à leur gloire mutuelle: Mignard laissa à la postérité le portrait de son ami; Molière, nouvel Arioste d'un autre Titien, consacra son poëme du Val de Grace à célébrer le talent de son peintre (51).

x658.

1

Tourmenté du désir de venir à Paris pour rivaliser avec les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, notre auteur, après avoir passé le carnaval à Grenoble, se rendit à Rouen, vers les fêtes de Pâques de l'année 1658. Il fit, dans le courant de l'été, plusieurs absences de cette ville pour venir sonder les dispositions du prince de Conti et du cardinal Mazarin; et, après maintes démarches, ses vœux furent enfin comblés. Son protecteur le recommanda à MONSIEUR; celui-ci le présenta lui-même au Roi et à la Reine, et il parvint à être autorisé à donner une représentation à Paris.

Le 24 octobre suivant sa troupe joua, devant la famille royale, sur un théâtre qu'on avait fait

1. Vie de Mignard, 1630, p. 55.— OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret', 1773, tom. I, pag. 55.

dresser exprès dans la salle des gardes au vieux 1658. Louvre, la tragédie de Nicomède de Corneille. La présence des comédiens de l'hôtel de Bourgogne, qui assistaient à cette représentation, dut exciter encore l'émulation de ces débutans. Les actrices surtout obtinrent beaucoup d'applaudissemens par leurs talens et leurs charmes. Mais, comme Molière ne se dissimulait pas que la troupe de ses rivaux était supérieure à la sienne dans le tragique, il tenait à donner une idée de son savoirfaire dans la comédie, où elle était plus exercée. Il s'avança donc vers la rampe, et, suivant le récit d'un de ses camarades, « après avoir re» mercié Sa Majesté, en des termes très-modestes, » de la bonté qu'elle avait eue d'excuser ses dé» fauts et ceux de toute sa troupe, qui n'avait >> paru qu'en tremblant devant une assemblée » si auguste, il lui dit que l'envie qu'ils avaient >> eue d'avoir l'honneur de divertir le plus grand >> roi du monde leur avait fait oublier que Sa Majesté avait à son service d'excellens origi»naux, dont ils n'étaient que de très-faibles copies; mais que puisqu'elle avait bien voulu souffrir leurs manières de

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campagne,

il la sup

pliait très-humblement d'avoir agréable qu'il -» lui donnât un de ces petits divertissemens qui » lui avaient acquis quelque réputation, et dont » il régalait les provinces. >>

1658.

L'usage de jouer des pièces en un acte ou en trois après des pièces en cinq, qui, depuis ce jour, a été conservé, sans interruption, jusqu'à nous, était alors abandonné. Louis XIV agréa l'offre de Molière, qui dans l'instant fit représenter le Docteur amoureux. L'auteur-acteur provoqua des rires unanimes par le comique de son jeu dans le principal rôle de cette bluette.

Le Roi leur permit de s'établir sous le titre de TROUPE DE MONSIEUR, et de jouer alternativement avec les comédiens italiens, sur le théâtre du Petit-Bourbon. Ils vinrent s'y fixer et commencèrent leurs représentations le 3 novembre 1658 (32).

La troupe de Molière se composait alors des deux frères Béjart, de Du Parc, de Du Fresne, de De Brie, de Croisac (gagiste à deux livres par jour), et de mesdemoiselles Béjart, Du Parc, De Brie et Hervé.

Depuis l'année 1642, époque à jamais célèbre par l'apparition sur notre horizon littéraire du plus brillant météore qui l'eût éclairé jusque-là, du Menteur de Corneille, la Thalie française n'avait attiré le public à ses jeux que par les turlu

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1. Préface de l'édition des OEuvres de Molière de 1682 (par La Grange). Grimarest, p. 28 et suiv. - Voltaire, Vie de Molière, 1739, p. 14 et suiv. Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière, p. xxj.- Petitot, p. 13.

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2. Dissertation sur Molière par M. Beffara, p. 25.

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