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1661. deux cent mille francs!!! Il en coûte si peu

à un

ministre pour être galant. La somme était honnête; mais la condition déplut à mademoiselle de La Vallière.

Fouquet, étonné de ce refus, brûla d'en connaître la cause; il découvrit bientôt, par des agens secrets, les intelligences encore mystérieuses de Louis XIV et de cette femme qui lui fit goûter le bonheur si doux et si peu connu des rois d'être aimé pour soi-même. Rencontrant un jour, dans l'antichambre de MADAME, mademoiselle de La Vallière, il voulut lui faire comprendre qu'il connaissait celui qui possédait son cœur. Celle-ci, irritée de recevoir un tel compliment d'un tel homme, se troubla, se retira outrée, et alla le soir même instruire le Roi de l'indiscrète félicitation de Fouquet, et des propositions qu'elle en avait précédemment reçues. Dès lors la ruine de Fouquet fut résolue. Il n'avait été nullement inquiété tant qu'à l'exemple de Mazarin il n'avait fait que dilapider les trésors de la France; sa perte fut jurée dès qu'on apprit qu'il avait osé soupirer pour la maîtresse du monarque.

La fureur jalouse de Louis XIV Jui permit d'abord difficilement de comprendre qu'il était prudent d'user quelque temps de dissimulation avec un homme qui s'était fait d'innombrables

créatures. Il consentit avec peine à différer la 1661. vengeance de son amour.

Il était plein de ce sombre projet, quand Fouquet sollicita la faveur de lui donner, à Vaux, la fête dont nous avons énuméré les merveilles. Le rôle qu'on l'avait forcé de prendre lui fit un devoir de s'y rendre. Le luxe qu'il remarqua dans ce magique séjour put bien l'indisposer encore contre l'Amphitryon; mais ce qui l'irrita, ce qui le mit hors de lui-même, ce fut un portrait de mademoiselle de La Vallière qu'il aperçut dans le cabinet de son rival infortuné. Il voulait le faire arrêter sur-le-champ; mais la Reine-mère l'en détourna par ce mot bien simple, mais bien fort : Quoi! au milieu d'une fête qu'il vous donne! Un billet de madame du Plessis - Bellière, remis à Fouquet pendant cette fête même, lui apprit le danger qu'il avait couru et sa suspension momentanée. Chacun sait, et ce n'est point ici le lieu de le répéter, quel fut son sort et celui du généreux Pellisson (46).

Tels étaient les desseins, les tourmens qui agitaient les cœurs de quelques spectateurs des Fácheux. Le Roi cependant, malgré son trouble intérieur, eut assez de présence d'esprit pour adresser à Molière un reproche d'omission. Voilà, lui dit-il après la représentation, en voyant passer M. de Soyecourt, son grand-veneur, voilà

1661. un grand original que vous n'avez point encore

copié. « C'en fut assez, dit l'auteur du Menagiana

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>>

qui rapporte ce fait; cette scène fut faite et ap

prise en moins de vingt-quatre heures. » Et le roi eut la satisfaction, à la représentation de cette comédie donnée à Fontainebleau, le 27 du même mois, d'y voir joint ce rôle dont il avait eu la bonté de lui ouvrir les idées '.

Mais une particularité non moins plaisante que la scène ajoutée, particularité que nous ne trouvons pas aussi invraisemblable qu'elle le semble à Bret, c'est que Molière, ignorant entièrement les termes de chasse, s'adressa à M. de Soyecourt lui-même, qui l'initia complaisamment au dictionnaire de la vénerie; jouant à peu près dans cette occasion le rôle que joue Arnolphe dans l'École des Femmes, lorsqu'il prête cent pistoles à Horace pour mener à bout son intrigue amoureuse (47). M. de Soyecourt, homme fort distrait et très-peu spirituel, s'était rendu la risée de la cour par la simplicité de ses reparties; et Molière ne pouvait plus avoir de scrupules et ne courait plus le risque de le ridiculiser : on ne lui

2

1. Épître dédicatoire des Fácheux.-Menagiana, édit. de 1715, t. 5, p. 24. Grimarest, p. 49. Histoire du Théâtre francais, t. IX, p. 68 et 69, notes.-Récréations littéraires, par Cizeron-Rival, p. 5.

2. Menagiana, loco cit. - Voltaire, Vie de Molière, p. 55.

avait rien laissé à faire de ce côté. Madame de 1661. Sévigné, dans ses lettres, s'égaie souvent à ses dépens, et fait plus d'une fois allusion à une ré ponse qui le fait connaître tout entier. Il était couché dans une même chambre avec plusieurs de ses amis; il se mit, pendant la nuit, à parler très-haut à l'un d'eux. Un autre, plus désireux de reposer que de l'entendre, lui dit : Eh! morbleu, tais-toi; tu m'empêches de dormir. — Est-ce que je te parle, à toi, lui répondit le naïf M. de Soyecourt '.

Nous avons dit que cette scène du chasseur avait été ajoutée à la pièce en vingt-quatre heures. La pièce elle-même, ainsi que nous l'apprend Molière dans son avertissement, fut conçue, faite apprise et représentée en quinze jours. Rien ne prouve mieux combien Grimarest était mal instruit lorsqu'il disait que Molière composait difficilement; et combien au contraire Boileau, qui du reste ne flatta jamais son ami, était fondé à le qualifier de

Rare et sublime esprit, dont la fertile veine
Ignore, en écrivant, le travail et la peine.(48)

Craignant cependant de manquer de temps,

▲ Lettres de madame de Sévigné, édit. de M. de Saint-Surin. Voir les lettres des 29 novembre 1679 et 9 juin 1680.

1661. notre auteur avait prié Chapelle de composer la

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scène du pédant Caritidès. Les envieux de Molière ne manquèrent pas d'attribuer à son ami le succès de la pièce; celui-ci ne s'en défendit que faiblement, « comme ces jeunes gens, a dit Chamfort, qui, soupçonnés d'être bien reçus >> par une jolie femme, paraissent, dans leur dé» saveu même, vous remercier d'une opinion si » flatteuse et n'aspirer en effet qu'au mérite de la >> discrétion. >> Boileau fut alors chargé par le véritable auteur de dire à Chapelle que, s'il ne démentait pas promptement les bruits que l'on répandait contre lui, Molière se verrait forcé de montrer, à qui la voudrait voir, la scène que celui-ci lui avait apportée et qu'il avait été obligé de refaire entièrement. Nous n'avons pas besoin de dire que Chapelle consentit alors à rompre le silence' (49).

Si plus d'un trait des Fácheux fait reconnaître le poète comique, il est une scène qui décèle le poète philosophe. Molière, concevant les services que l'auteur dramatique peut rendre à la société, seconda dans cette pièce les efforts de son roi pour abolir la barbare coutume du duel. Les édits de Henri IV, de Louis XIII, de Louis XIV n'a

1. Bolœana, p. 95 et 96.—Recréations littéraires, par CizeronRival, p. 21.

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