Images de page
PDF
ePub

1663. se convaincre de sa ponctualité à suivre les ordres du prince. En huit jours, ses rivaux de l'hôtel de Bourgogne et ses antagonistes de qualité furent livrés à la risée du parterre. La hardiesse avec laquelle il ridiculisa ceux-ci prouve sa confiance dans la protection dont il était l'objet : « Le marquis, s'est-il fait dire à lui-même dans cet >> ouvrage,est aujourd'hui le plaisant de la comédie; » et, comme dans toutes nos pièces anciennes on » voit toujours un valet bouffon qui fait rire les » auditeurs, de même, dans toutes nos pièces de

[ocr errors]

» maintenant, il faut toujours un marquis ridicule » qui divertisse la compagnie (8). »

1

Il était impossible de se montrer plus plaisant et de se faire une justice plus complète. On doit cependant reprocher à Molière de s'être laissé emporter par la vengeance jusqu'à nommer Boursault. Ce fut, comme l'a dit Chamfort, la seule action blâmable de sa vie. Sans doute son adversaire, dans le Portrait du Peintre, avait eu les premiers torts en le désignant plus que suffisamment par les titres de ses ouvrages et en se livrant contre lui à d'odieuses insinuations; toutefois, cet oubli de toutes les convenances ne devait pas autoriser l'offensé à les violer lui-même. L'opinion que nous émettons ici est aussi celle de Voltaire et

I. L'Impromptu de Versailles, sc. I.

de Palissot. Mais ces juges, dans leur inflexible 1663. sévérité, ont été jusqu'à trouver honteuse la conduite de Molière : est-ce aveuglement de la part de l'auteur de la Dunciade et des Philosophes? est-ce humilité de la part de l'auteur de l'Écossaise (9)?

Cette guerre entre Molière et Boursault ne fut pas de très-longue durée. Ce dernier prouva, dans la suite, qu'il était digne de l'estime de notre auteur. Attaqué à son tour par Boileau, il voulut sé venger de ses sarcasmes en composant sa Satire des satires; mais le législateur du Parnasse, qui comptait plusieurs parens et quelques amis dans le parlement, eut assez de crédit, ou plutôt assez de faiblesse, pour solliciter et obtenir une défense de jouer cette pièce. Il eut même soin de faire afficher cette ordonnance à la porte du théâtre de l'hôtel de Bourgogne auquel l'ouvrage avait éte donné'. Boursault, quelque temps après, prit sa revanche avec bien de l'avantage. Ayant appris que Boileau se trouvait gêné, il s'empressa de lui porter tout l'argent qu'il put réaliser, et le lui offrit avec cette bonne grâce qui double le prix du bienfait. Cette action montre clairement que ce n'était point une basse jalou

1. Histoire de la Poésie française (par l'abbé Mervesin), P. 261.

1663. sie, mais bien de perfides conseils qui avaient porté Boursault à attaquer Molière; et ce tort de son esprit est plus que suffisamment compensé par ce mouvement d'une âme généreuse '.

Joué le 14 octobre, à Versailles, sur le théâtre de la cour avec un succès complet, l'Impromptu obtint les mêmes honneurs que la Critique. Comme elle, il s'attira deux réponses: l'une, la Vengeance des marquis, de De Villiers, comédien de l'hôtel de Bourgogne, ne méritant pas qu'on s'y arrête, nous ne parlerons que de l'autre, l'Impromptu de l'Hôtel de Condé, comédie en vers en un acte, de Montfleuri.

Cet écrivain, auquel on doit la Femme Juge et Partie, était fils de l'acteur Montfleuri, l'un des plus fermes soutiens du théâtre de l'hôtel de Bourgogne, et l'un des moins ménagés dans l'Impromptu de Versailles. Depuis long-temps il existait entre cette troupe et celle du Palais-Royal une rivalité souvent hostile. Molière, qui n'avait pas vu sans un juste dépit ses rivaux, jouissant de grands privilèges et favorisés par la plupart des auteurs, entraver encore sa marche par des

1. OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret, 1773, t. II,

p. 515. OEuvres de d'Alembert, Belin, 1821, t. II, p.

[ocr errors]

437.

- Lettre de Boileau à Racine, du 19 août 1687, t. IV, p. 90 et

note, de l'édition des OEuvres de Boileau, avec un commentaire par M. de Saint-Surin.

menées sourdes, perdit à la fin patience, et 1663. essaya, dans les Précieuses ridicules, d'ébranler leur crédit en faisant rire à leurs dépens.

Ses vœux furent sans doute comblés, car on applaudit aux traits piquans lancés contre ses antagonistes; mais il paya cher cette courte satisfaction. Furieux de ces railleries, les comédiens de l'hôtel de Bourgogne ne contribuèrent pas peu au double échec qu'il éprouva dans Don Garcie, et comme acteur et comme auteur. Ils se mêlèrent avec ún égal empressement aux détracteurs les plus acharnés de l'École des Femmes. Molière se livra de nouveau au plaisir divin de la vengeance, sans se laisser arrêter cette fois par de timides ménagemens. Le seul Floridor fut épargné; et si ce silence ne peut passer pour un hommage rendu à son talent, on doit du moins le considérer comme un témoignage prudent de respect pour le jugement du public. Cet acteur était si aimé qu'il ne put conserver le rôle de Néron de Britannicus, créé par lui avec une grande supériorité, parce que, dit Moncthesnay, il était pénible au parterre de le voir représenter un personnage odieux et de lui vouloir du mal1(10).

[blocks in formation]

1663.

Quant aux autres comédiens que ne couvrait pas la même égide, nul d'entre eux ne fut ménagé. Tous comparurent sur la scène avec leurs défauts et leurs ridicules. Montfleuri fut le premier immolé. Molière, au risque de s'exposer à de justes récriminations, fit ressortir ses gestes apprêtés, sa déclamation fausse et ses cris forcenés dans la tragédie. On pourrait peut-être douter du fondement de ces accusations, si cet acteur n'eût semblé depuis prendre à tâche de les justifier lui-même par sa fin tragique. Il mit, selon quelques biographes, tant de chaleur à jouer le rôle d'Oreste d'Andromaque que, par ses cris, il se rompit une veine du cou dans la scène de fureurs, au cinquième acte, et mourut suffoqué bientôt après (11).

Son fils, dans l'Impromptu de l'Hôtel de Condé, se constitua son champion et celui de ses camarades. Il prétendit que la comédie de Molière n'était qu'un impromptu long-temps médité, et répondit surtout aux traits dirigés contre le talent de son père par une caricature assez méchante de Molière. Alcidon, un des personnages de la pièce, dit en parlant de lui :

Il est vrai qu'il récite avecque beaucoup d'art;
Témoin, dedans Pompée, alors qu'il fait César.
Madame, avez-vous vu, dans ces tapisseries,
Ces héros de romans?

« PrécédentContinuer »