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Oui, la récompense la plus agréable qu'on puisse recevoir des choses que l'on fait, c'est de les voir connues, de les voir caressées d'un applaudissement qui vous honore. Il n'y a rien, à mon avis, qui nous paie mieux que cela de toutes nos fatigues ; et ce sont des douceurs exquises que des louanges éclairées. LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

J'en demeure d'accord; et je les goûte comme vous. Il n'y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites; mais cet encens ne fait pas vivre. Des louanges toutes pares ne mettent point un homme à son aise, il y faut mêler du solide; et la meilleure façon de louer, e'est de louer avec les mains. C'est un hònime, à la vérité, dont les lumieres sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses, et n'applaudit qu'à contre-sens; mais son argent redresse les jugements de son esprit ; il a du discernement dans sa bourse; ses louanges sout monnoyées; et ce bourgeois ignorant notis vaut mieux comme vous voyez, que le grand seigneur éclairé qui nous a introduits ici.

LE MAÎTRE À DANSER.

Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites; mais je trouve que vous appuyez un peu trop sur l'argent ; et l'intérêt est quelque chose de si bas, qu'il ne faut jamais qu'un honnête homme montre pour lui de l'attachement.

LE MAITRE DE MUSIQUỀ.

Vous recevez fort bien pourtant l'argent que notre homme vous donne.

LE MAÎTRE À DANSER.

Assurément; mais je n'en fais pas tout mon bonhear, et je voudrois qu'avec son bien il eût encore quelque bon goût des choses.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Je le voudrois aussi ; et c'est à quoi nous travaillons

tous deux autant que nous pouvons. Mais, en tout cas, il nous donne moyen de nous faire connoître dans le monde ; et il paiera pour les autres ce que les autres loueront pour lui.

LE MAÎTRE À DANSER.

Le voilà qui vient.

SCENE II.

M. JOURDAIN, en robe de chambre et en bonnet de nuit; LE MAITRE DE MUSIQUE, LE MAITRE A DANSER, L'ELEVE du maître de musique, UNE MUSICIENNE, DEUX MUSICIENS, DANSEURS, DEUX LAQUAÍS.

M. JOURDAIN.

Hé bien, messieurs, qu'est-ce? Me ferez-vous voir votre petite drôlerie ?

LE MAÎTRE À DANSER.

Comment! quelle petite drôlerie ?

M. JOURDAIN.

Hé! là... comment appelez-vous cela? votre prologue ou dialogue de chansons et de danse?

Ah! ah!

LE MAÎTRE À DANSER.

LE MAITRE DE MUSIQUE.

Vous nous y voyez préparés.

M. JOURDAIN.

Je vous ai fait un peu attendre; mais c'est que je me fais habiller aujourd'hui comme les gens de qualité, et mon tailleur m'a envoyé des bas de soie que j'ai pensé ne mettre jamais,

LE MAITRE DE MUSIQUE.

Nous ne sommes ici que pour attendre votre loisir

M. JOURDAIN.

Je vous prie tous deux de ne vous point en aller qu'on ne m'ait apporté mon habit, afin que vous me puissiez voir.

LE MAÎTRE À DANSER.

Tout ce qu'il vous plaira.

M. JOURDAIN.

Vous me verrez équipé comme il faut, depuis les pieds jusqu'à la tête.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Nous n'en doutons point.

M. JOURDAIN.

Je me suis fait faire cette indienne-ci.
LE MAITRE À DANSE R.

Elle est fort belle.

M. JOURDAIN.

Mon tailleur m'a dit que les gens de qualité étoient comme cela le matin.

LE MAITRE DE MUSIQUE.

Cela vous sied à merveille.

M. JOURDAIN.

Laquais ! holà, mes deux laquais!

PREMIER LAQUAIS.

Que voulez-vous, monsieur ?

M. JOURDAIN.

Rien. C'est pour voir si vous m'entendez bien. ( au maître de musique et au maître à danser.) Que dites-vous de mes livrées ?

LE MAÎTRE À DANSER.

Elles sont magnifiques.

M. JOURDAIN, entr'ouvrant sa robe, et faisant voir son haut-de-chausses étroit de velours rouge, et sa camisole de velours verd.

Voici encore un petit déshabillé pour faire le matin mes exercices.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Il est galant.

M. JOURDAIN.

Laquais !

PREMIER LAQUAIS.

Monsieur.

M. JOURDAIN.

L'autre laquais.

Monsieur.

SECOND LAQUAIS. }

M. JOURDAIN, ótant sa robe de chambre. Tenez ma robe. (au maître de musique et au maître à danser.) Me trouvez-vous bien comme cela ?

LE MAÎTRE À DANSER.

Fort bien. On ne peut pas mieux.

M. JOURDAIN.

Voyons un peu votre affaire.

LE MAITRE DE MUSIQUE.

Je voudrois bien auparavant vous faire entendre un air (montrant son éleve.) qu'il vient de composer pour la sérénade que vous m'avez demandée. C'est un de mes écoliers, qui a pour ces sortes de choses un talent admirable.

M. JOURDAIN.

Oui mais il ne falloit pas faire faire cela par un écolier; et vous n'étiez pas trop bon vous-même pour cette besogne-là.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Il ne faut pas, monsieur, que le nom d'écolier vous abuse. Ces sortes d'écoliers en savent autant que les plus grands maîtres ; et l'air est aussi beau qu'il s'en puisse faire. Ecoutez seulement.

M. JOURDAIN, à ses laquais.

Donnez-moi ma robe pour mieux entendre... Attendez, je crois que je serai mieux sans robe... Non, redonnez-la moi; cela ira mieux.

1

LA MUSICIENNE.

Je languis nuit et jour, et mon mal est extrême
Depuis qu'à vos rigueurs vos beaux yeux m'ont soumis;
Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime,
Hélas! que pourriez-vous faire à vos ennemis ?

M. JO URDAIN.

Cette chanson me semble un peu lugubre; elle endort; et je voudrois que vous la pussiez un gaillardir par-ci par-là.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

peu ra

Il faut, monsieur, que l'air soit accommodé aux paroles.

M. JOURDAIN.

On m'en apprit un tout-à-fait joli il y a quelque temps. Attendez... là... Comment est-ce qu'il dit? LE MAÎTRE À DANSER.

Par ma foi, je ne sais.

M. JOURDAIN.

Il y a du mouton dedans.

LE MAÎTRE À DANSER.

Du mouton?

M. JOURDAIN.

Oui. Ah! (Il chante.)

Je croyois Jeanneton
Aussi douce que belle;
Je croyois Jeanneton

Plus douce qu'un mouton.
Hélas! hélas! elle est cent fois,
Mille fois plus cruelle

Que n'est le tigre aux bois.

N'est-il pas joli?

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Le plus joli du monde.

LE MAÎTRE À DANSER.

Et vous le chantez bien.

M. JOURDAIN.

C'est sans avoir appris la musique.

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