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même. Avancez. Le corps ferme. Avancez. Partez de là. Une, deux. Remettez-vous. Redoublez. Une, deux. Un saut en arriere. En garde, monsieur, en garde.

(Le maître d'armes lui pousse deux ou trois bottes, en lui disant, En garde.)

Hé!

M. JOURDAIN.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Vous faites des merveilles.

LE MAÎTRE D'ARMES.

Je vous l'ai déja dit, tout le secret des armes ne consiste qu'en deux choses; à donner, et à ne point recevoir: et, comme je vous fis voir l'autre jour par raison démonstrative, il est impossible que vous receviez, si vous savez détourner l'épée de votre ennemi de la ligne de votre corps; ce qui ne dépend seulement que d'un petit mouvement du poignet, ou en dedans, ou en dehors.

M. JOURDAIN.

De cette façon donc un homme, sans avoir du est sûr de tuer son homme, et de n'être point tué ?

cœur,

LE MAITRE D'ARMES.

Sans doute. N'en vîtes-vous pas la démonstration ?

Oui.

M. JOURDAIN.

LE MAITRE D'ARMES.

Et c'est en quoi l'on voit de quelle considération nous autres nous devons être dans un état, et combien la science des armes l'emporte hautement sur toutes les autres sciences inutiles, comme la danse, la musique, la...

LE MAÎTRE À DANSER. Tout beau! monsieur le tireur d'armes, ne parlez de la danse qu'avec respect.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Apprenez, je vous prie, à mieux traiter l'excellence de la musique.

LE MAÎTRE D'ARMES.

Vous êtes de plaisantes gens, de vouloir comparer vos sciences à la mienne!

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Voyez un peu l'homme d'importance!
LE MAÎTRE À DANSER.

Voilà un plaisant animal avec son plastron!
LE MAÎTRE D'ARMES.

Mon petit maître à danser, je vous ferois danser comme il faut. Et vous, mon petit musicien, je vous ferois chanter de la belle maniere.

LE MAÎTRE À DANSER.

Monsieur le batteur de fer, je vous apprendrai votre métier.

M. JOURDAIN', au maître à danser. Etes-vous fou de l'aller quereller, luì qui entend la tierce et la quarte, et qui sait tuer un homme par raison démonstrative?

LE MAÎTRE À DANSER.

Je me moque de sa raison démonstrative, et de sa tierce et de sa quarte.

M. JOURDAIN, au maître à danser.
Tout doux, vous dis-je.

LE MAITRE D'ARMES, au maître à danser.
Comment, petit impertinent!

M. JOURDAIN.

Hé! mon maître d'armes!

LE MAÎTRE À DANSER, an maître d'armes. Comment, grand cheval de carrosse!

M. JOURDAIN.

Hé! mon maître à danser!

LE MAÎTRE D'ARMES.

Si je me jette sur vous....

M. JOURDAIN, au maître d'armes. Doucement!

LE MAÎTRE À DANSER.

Si je mets sur vous la main...

M. JOURDAIN, au maître à danser. Tout beau!

LE MAÎTRE D'ARMES.

Je vous étrillerai d'un air...

M. JOURDAIN, au maître d'armes.

De grace!

LE MAÎTRE À DANSER.

Je vous rossèrai d'une maniere...

M. JOURDAIN, au maître à danser.

Je vous prie.

LE MAITRE DE MUSIQUE.

Laissez-nous un peu lui apprendre à parler.
M. JOURDAIN, au maître de musique.
Mon dieu! arrêtez-vous.

SCENE IV.

UN MAITRE DE PHILOSOPHIE, M. JOURDAIN, LE MAITRE DE MUSIQUE, LE MAITRE A DANSER, LE MAITRE D'ARMES, UN LAQUAIS.

M. JOURDAIN.

Holà, monsieur le philosophe, vous arrivez tout à propos avec votre philosophie. Venez un peu mettre la paix entre ces personnes-ci.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Qu'est-ce donc ? Qu'y a-t-il, messieurs?

M. JOURDAIN.

Ils se sont mis en colere pour la préférence de leurs professions, jusqu'à se dire des injures et en vouloir venir aux mains,

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Hé quoi! messieurs, faut-il s'emporter de la sorte ? Et n'avez-vous point lu le docte traité que Séneque a composé de la colere? Y a-t-il rien de plus bas et de plus honteux que cette passion, qui fait d'un homme une bête féroce? et la raison ne doit-elle pas être maîtresse de tous nos mouvements?

LE MAÎTRE À DANSER.

Comment, monsieur! il vient nous dire des injures à tous deux, en méprisant la danse, que j'exerce, et la musique, dont il fait profession!

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Un homme sage est au-dessus de toutes les injures qu'on lui peut dire; et la grande réponse qu'on doit faire aux outrages, c'est la modération et la pa tience.

LE MAITRE D'ARMES.

Ils ont tous deux l'audace de vouloir comparer leurs professions à la mienne!

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Faut-il que cela vous émeuve? Ce n'est pas de vaine gloire et de condition que les hommes doivent disputer entre eux; et ce qui nous distingue parfaitement les uns des autres, c'est la sagesse et la vertu... LE MAÎTRE À DANSER.

Je lui soutiens que la danse est une science à laquelle on ne peut faire assez d'honneur.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Et moi, que la musique en est une que tous les siecles ont révérée.

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LE MAITRE D'ARMES.

Et moi, je leur soutiens à tous deux que la science de tirer des armes est la plus belle et la plus nécessaire de toutes les sciences.

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE.

Et que sera donc la philosophie? Je vous trouve

tous trois bien impertinents de parler devant moi avec cette arrogance, et de donner impudemment le nom de science à des choses que l'on ne doit pas même honorer du nom d'art, et qui ne peuvent être comprises que sous le nom de métier misérable de gladiateur, de chanteur, et de baladin.

LE MAÎTRE D'ARMES.

Allez, philosophe de chien !

LE MAITRE DE MUSIQUE.

Allez, belître de pédant!

LE MAITRE À DANSER:

Allez, cuistre fieffé!

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE.

Comment, marauds que vous êtes!... ( Le philosophe se jette sur eux, et tous trois le chargent de coups.)

M. JOURDAIN.

Monsieur le philosophe!

LE MAITRE DE PHILOSOPHIE.

Infâmes! coquins! insolents!

M. JOURDAIN.

Monsieur le philosophe!

LE MAÎTRE D'ARMES.

La peste de l'animal!

Messieurs!

M. JOURDAIN.

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Impudents!

1234 M. JOURDAIN.

Monsieur le philosophe!

LE MAÎTRE À DANSER.

Diantre soit de l'âne bâté!

Messieurs!

M. JOURDAIN."

LE MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.

Scélérats!

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