entendu, de la poltronerie politique qui empêche d'entreprendre, et non de l'absence de courage personnel, dont nous ne voudrions accuser personne, et M. Odilon Barrot moins que personne. Le Siècle est donc quelquefois très-énergique dans la théorie, mais toujours plus que modéré dans l'application. Il voudrait l'abolition des lois de septembre sur les délits de presse érigés en crimes de lèse-majesté, mais il ne la veut pas très-fortement; il fait des vœux pour le rétablissement de l'économie dans nos finances, mais il n'entend, dans aucun cas, aller jusqu'au refus des subsides pour en arrêter le gaspillage; dans la question de réforme, la plus importante de toutes les questions, parce qu'elle comprend toutes les autres, il ne va pas plus loin que la translation de l'élection au chef-lieu, l'adjonction des capacités et la liste des incompatibilités. Comme il est honnête, il s'élève avec beaucoup de force contre les actes déshonorants des ministres qui n'appartiennent pas au centre gauche; comme il est timide, il trouve des excuses à la politique de M. Thiers, quand celui-ci est au pouvoir, et il répète, avec tant de bonhomie qu'on est véritablement tenté de le croire sincère, que le chef du cabinet du 12 mars était sur le point d'avoir du courage, quand une volonté souveraine est venue le déranger dans le cours de ses défaillances envers l'Angleterre. M. Thiers, à entendre le Siècle, allait en venir à la dignité, à l'énergie, à l'action; seulement, pour y arriver, il avait fait comme Lafontaine se rendant à l'Académie, il avait pris le plus long. En résumé, le Siècle ressemble un peu à ces soldats qui, dans les triomphes romains, suivaient les triomphateurs en chantant des refrains satiriques; le Siècle aussi chante souvent des satires derrière le char de l'ordre de choses actuel, mais tout en le critiquant il le suit, et au besoin, il pousse à la roue. Cette politique grondeuse sans être efficace a l'avantage de ne pas écarter le très-grand nombre d'esprits qui, dans la gauche, aiment à se donner les dehors faciles de l'opposition, sans en remplir les devoirs réels. Elle a donc permis à la littérature du Siècle qui, comme celle de presque tous les journaux à 40 francs, est le dîner à 40 sous des intelligences, d'exercer son action sur cette multitude de convives qui, affriandés par la modicité du prix et par la saveur relevée des viandes fortement épicées, se font illusion, dans les établissements de ce genre, sur la qualité des mets et sur leur fraîcheur. S'il ne s'agissait que d'expliquer pourquoi les journaux à 40 francs ont adopté le feuilleton-roman', notre tâche serait terminée. Mais pour qu'il fit son avénement, il ne suffisait pas que la presse périodique, dans les nouvelles conditions où elle entrait, eût besoin de cette amorce, il fallait que le public consentît à favoriser cette innovation et ce commerce littéraire; en d'autres termes, il était nécessaire que le feuilleton-roman, proposé par les journaux, fût accepté par le public. Comment et pourquoi l'a-t-il été? Comment a-t-il pu se faire que cet effacement de la politique trouvât partoutdes complices, et que ces écarts de la littérature rencontrassent des lecteurs disposés à les excuser? Sous l'empire de quelle situation a-t-on vu se produire cette révolution opérée dans la presse périodique dont la base s'est trouvée complètement changée, changée à ce point qu'au lieu de vivre par les convictions politiques auxquelles elle répondait, par des idées dont elle était l'organe, elle n'a plus vécu que par des scandales littéraires, en tapissant les feuilletons de débauches intellectuelles, comme on voit, dans les boutiques mal famées, des gravures obscènes solliciter les regards du passant. Ici la question s'agrandit. Nous voici amenés à chercher, autour et au-dessus de la presse périodique, les circonstances littéraires ou autres qui ont favorisé l'avénement du feuilleton roman. Cherchons d'abord, dans la littérature proprement dite, si les faits y sont en harmonie ou en désaccord avec cette grave perturbation qui est venu changer de fond en comble les conditions de la presse périodique. Entrez au théâtre, dites-moi où en est la littérature dramatique? A-t-elle été assez pure pour se regarder comme flétrie par le contact du feuilleton-roman? Il y a des gens qui affirment avoir vu, sur différents théâtres de Paris, des pièces qu'on appelle Marie Tudor, Lucrèce Borgia, Angèle, Angelo, Marion de l'Orme, Le Rois'amuse, Vautrin, le Fils de la Folle, Antony, RobertMacaire, Ruy-Blas, ouvrages qui sont loin de puiser leur principal attrait dans la morale. Ne serait-ce là qu'une exception? Il est facile de s'en assurer. Quels ont été les auteurs qui ont régné sur nos théâtres, dans ces derniers temps, et qui résument par conséquent le mieux les tendances de notre littérature dramatique? Ce sont MM. Victor Hugo, Alexandre Dumas et Scribe. En analysant leur poétique, on parviendra à se faire une idée assez juste de la situation générale du théâ tre. ! M. Victor Hugo, on le sait, n'avait pas attendu les romanciers du feuilleton pour réhabiliter la courtisane. Son ambition littéraire semble être de renverser l'ordre ordinaire de choses, et la perspective de son théâtre est prise, non selon les lois habituelles de l'optique, mais à l'aide d'un de ces verres qui renversent les objets, de sorte que la société y apparaît, qu'on nous passe cette comparaison, la tête en bas et les pieds en haut. Sa plus grande joie est de peindre ainsi les figures au rebours des idées reçues, et on l'a vu célébrer tour à tour sur la scène, la beauté de la laideur, la chasteté de la prostitution, la probité du brigandage, la dignité de la bouffonnerie, les magnificences des haillons et les parfums de la boue. Il est vrai que par compensation, toutes les fois qu'il met la main sur les grandeurs de la famille ou de la société, il les traîne aux gémonies. N'estce pas lui qui, dans Angelo, a fait descendre l'épouse légitime au-dessous de la courtisane; qui, dans Hernani, a placé l'empereur au-dessous du bandit; qui, dans le Roi s'amuse, a jeté François Ier sous les pieds d'un bouffon, et a fait amnistier par cette triste créature, reléguée au dernier degré de l'échelle sociale, le vainqueur dont la main tint l'épée de Marignan, et, quelque chose de plus, le vaincu dont la main signa le billet de Pavie? Mais c'est surtout à la reine que M. Hugo a voué une haine mortelle. L'échafaud de Marie Antoinette, la reine douloureuse, s'élevant en face du poèté dans l'histoire, et la tour du Temple, où cette majesté, autrefois adorée de tout un peuple, épuisa la douleur humaine jusqu'à la lie, projetant sur notre époque son ombre mélancolique, n'ont pu désarmer cette plume vraiment régicide, car le déshonneur tue encore mieux que la hache, et le théâtre de M. Victor Hugo a été comme une claie sur laquelle il a traîné impitoyablement ce type si beau et si touchant de la reine qui, dans les monarchies, représente la douceur auprès de la force, et la grâce tempérant la majesté. Comme si ce n'était point assez de l'avoir prostituée à un aventurier dans Marie Tudor, et d'avoir compté les perles de sa robe pour y mettre autant de taches de sang et de boue, il a repris son œuvre avec amour dans Ruy-Blas, et ne s'est trouvé satisfait que lorsqu'il a eu jeté le pan d'un habit de livrée sur le manteau royal. Sait-on la portée de cette poétique, et du succès qu'obtinrent de pareils ouvrages? Il faut le dire sans détour. - « Vous voyez-bien, là-bas, au-dessus de vos « têtes, crie M. Victor Hugo aux jalousies qui fermen<< tent dans les derniers rangs de la société, vous voyez « bien là-bas cette femme assise sur la pourpre, qui, << le sceptre en main et la couronne en tête, a jusqu'ici << obtenu vos hommages, en un mot, la reine? Eh bien! « je vais la prendre par la main et la faire descendre « jusqu'à ce qu'elle soit sous vos pieds. Je veux vous « venger de cette longue obligation de respect qui vous « a été imposée envers elle, et faire en sorte que les <<< humiliations dont je la couvrirai égalent les homma |