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PARAGRAPHE

PREMIER.

De la guerre offenfive en particulier, ou de la maniere d'exécuter le plan général de guerre offenfive.

Le véritable caractere d'un conquerant eft celui dont on voit qu'Annibal est revêtu dans l'Hiftoire, qui fans perdre temps & fans délibérer, entreprend de tout affujettir à fes volontés, & qui comme un torrent emporte rapidement tout ce qu'il rencontre dans fa course.

A l'exemple de ce grand homme, c'eft agir prudemment que de tenir fort fecret fon deffein formé de guerre offenfive, tant pour n'être point troublé du côté de fes frontieres éloignées, qu'afin que l'ennemi ne puiffe découvrir par οι l'on veut l'attaquer, afin de pouvoir foimême s'emparer, avant qu'il s'y puisse oppofer, de quelque pofte avantageux & important, ou de quelque forte place, qui foit comme un centre fixe & capable de foutenir tous fes mouvemens en avant dans la fuite, y établir fes principales forces, y bien affurer fes derrieres & fa ligne de communication, fans s'engager trop avant.

On peut tirer de ce camp des petits

corps appellés camps volans, & divers partis pour aller au loin chercher les ennemis, empêcher qu'ils ne fe puiffent affembler, faire plufieurs entreprises à la fois, tenir les paffages ouverts, & faire marcher les vivres au camp principal, qui fervira de place de sûreté & de retraite, & fera comme un magasin pour les armes, pour les fecours & pour les munitions de bouche & de guerre, de même que le feroit une ville qu'on auroit prife.

pour

Cette maxime ne doit cependant avoir lieu que quand l'ennemi qu'on attaque manque de force faire tête en pleine campagne, & qu'ayant beaucoup de places à garder il ne peut en ôter les garnifons.

&

Car quand au contraire l'ennemi est en corps d'armée, & en état de difputer ouvertement le terrein, il faut alors que celui qui entreprend la conquête aille droit à lui avec toutes fes troupes, qu'il cherche le moyen de diffiper cette armée qu'on lui oppofe, foit en lui les vivres, comme Céfar fit en Efpagne à Affranius, Lieutenant de Pompée, & le réduifit par là, lui & fon armée, à fe rendre à difcrétion; foit en donnant bataille ou quelque grand com

coupant

bat,

fi le

pays eft ouvert, afin que par la réputation de fes armes il épouvante fes ennemis. Car une bataille donnée à propos au commencement d'une campagne, en décide prefque toujours le fuccès. Cyrus, Alexandre, Annibal, Scipion l'Africain, Céfar & Turenne en entrant dans le pays ennemi, ont tous recherché le combat ; il faut, s'il se peut, en faire de même, fi les ennemis par quelque mouvement pour raffembler leurs forces, donnent prife fur eux, ou fe mettent à portée de rifquer un événement, les y forcer s'ils l'évitent, avant qu'ils ayent réuni toutes leurs forces ou celles de leurs alliés.

Cette hardie façon d'agir eft affez conforme aux inclinations de nos François, qui courent à la mort avec bien plus de courage & de fermeté qu'ils ne l'attendent. L'agitation leur plaît plus que le repos ; il faut qu'ils affrontent l'ennemi, & qu'ils attaquent s'ils veulent vaincre ils perdent aifément courage dans une défenfive réglée. On a toujours remarqué que les Généraux qui les ont conduits felon leurs inclinations, n'ont jamais manqué de réaffir, au lieu que ceux qui ont fait le contraire ont éprouvé mille difgraces.

:

Si le pays qu'on attaque eft couvert de forêts ou de fortes places, coupé de rivieres ou foffés, ferré de montagnes, en un mot, d'où l'entrée foit fi difficile

qu'il y ait peu de paffages pour y pénétrer; on doit alors faire des fiéges, conquérir pied à pied, forcer quelque pasfage avant que d'aller plus avant, s'y for tifier, & fi bien y affurer la communication pour fes vivres, qu'on ne puisse pas y en manquer, quand bien même l'ennemi auroit retiré dans fes places ou brulé ceux de fon pays.

Car il eft prudent de s'être fait auparavant un arrangement pour l'adminif tration de ses vivres & munitions néceffaires pour l'expédition projettée, re lativement à la nature & fituation du pays où l'on veut porter la guerre, & placer ces magafins en lieux furs à por+ tée de fes deffeins, & qui donnent éga lement jaloufie à plufieurs places de l'ennemi, pour l'obliger à partager fes forces. On attaque enfuite celle qui donne une libre entrée dans le pays ennemi, & qui porte plus facilement vers la capitale, dont il faut s'approcher autant qu'on peut au commencement d'une guerre, tant pour y jetter l'épouvante, dont on profite, que pour obliger l'ennemi à dé

garnir fes places frontieres pour raffurer le cœur de fon pays, & retomber enfuite fur quelqu'unes de ces places dégarnies, la plus à votre bienféance, où l'on fait porter, après s'en être rendu maître, les munitions qu'on a derriere foi fur fa propre frontiere, afin d'avoir plus de facilité de fe porter en avant dans l'occafion.

On traite ce nouveau peuple avec douceur, on le décharge des impofitions qui lui auront été les plus odieufes, & on lui donne toute l'affurance poffible pour fes privileges, fon commerce & fa fureté, &c. afin par là de faire défirer fa nouvelle domination au refte du pays, par le bon traitement qu'on fçaura avoir été fait dans celui-ci..

Les Romains, ces vainqueurs du monde, ont plus mérité de louanges & de couronnes pour les faveurs qu'en ont reçues les nations qu'ils ont foumifes, qué par la défolation de celles dont ils ont voulu triompher. Là ils ont montré toute l'étendue de leur vertu, ici ils y ont mêlé de la vanité & de l'oftentation; là ils fe font fait eftimer dignes de commander à l'univers entier, ici ils fe font fait appréhender comme des ufurpateurs & des tyrans, &c.

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