O U L'IMPOSTEUR, COMÉDIE, EN CINQ ACTES, EN VERS, DE MOLIERE. Chez A PARIS, BELIN, Libraire, rue Saint-Jacques, BRUNET, Libraire, rue de Marivaux, M. DCC. LXXXVIII. qyr 1/10-1927 P R É F A C E. Voici une Comédie dont on a fait beaucoup de bruit , qui a été long-tems persécutée ; et les gens qu'elle joue ont bien fait voir qn'ils étoient plus puissans en France qne tous ceux que j'ai joués jusques ici. Les Marquis , les Précieuses, les Cocus et les Médecins ont souffert doucement qu'on les ait représentés ; et ils ont fait semblant de se divertir , avec tout le monde, des peintures que l'on a faites d'eux; mais les hypocrites n'ont point entendu raillerie : ils se sont effarouchés d'abord, et ont trouvé étrange que j'eusse la hardiesse de jouer leurs grimaces , et de vouloir décrier un métier tant d'honnêtes gens se mêlent. C'est un crime qu'ils ne sauroient me pardonner ; et ils se sont tous armés contre ma Comédie, avec une fureur épouvantable. Ils n'ont eu, garde de l'attaquer par le côté qui les a blessés ; ils sont trop polie tiques pour cela , ct 'savent trop bien vivre pour découvrir le fond de leur ame. Suivant leur louable coutume, ils ont couvert leurs intérêts de la cause de Dieu; et le Tartuffe, dans leur bouche, est une Piece qui offense la piété : elle est, d'un bout à l'autre, pleine d'abominations, et l'on n'y trouve rien qui ne mérite le feu. Toutes les syllabes en sont impies, les gestes mêmes y sont criminels, et le moindre coupd'œil, le moindre branlement de tête, le moindre pas, à droite ou à gauche, y cachent des mysteres qu'ils trouvent moyen d'expliquer à mon désavantage. J'ai eu beau la soumettre aux lumieres de mes amis, et à la censure de tout le monde; les corrections que j'ai pu faire, le jugement du Roi et de la Reine, qui l'ont vue, l'approbation des grands Princes et de Messieurs les Ministres qui l'ont honorée publiquement de leur présence, le témoignage des gens de bien qui l'ont trouvée profitable, tout cela n'a de rien servi. Ils n'en veulent point démordre; et tous les jours encore, ils font crier en public des zélés indiscrets, qui me disent des injures pieusement et me damnent, par charité. , Je me soucierois fort peu de tout ce qu'ils peu vent dire, si ce n'étoit l'artifice qu'ils ont de me faire des ennemis que je respecte, et de jetter dans leur parti de véritables gens de bien, dont ils préviennent la bonne-foi, et qui, par la chaleur qu'ils ont pour les intérêts du Ciel, sont faciles à recevoir les impressions qu'on veut leur donner. Voilà ce qui m'oblige à me défendre. C'est aux vrais dévots que je veux par-tout me justifier sur la conduite de ma Comédie, et je les conjure, de tout mon cœur, de ne point condamner les choses avant que de les voir, de se défaire de toute prévention, et de ne point servir la passion de ceux dont les grimaces les déshonorent. Si l'on prend la peine d'examiner, de bonne foi, ma Comédie, on verra, sans doute, que mes intentions y sont par-tout innocentes, et qu'elle ne tend nullement à jouer les choses que l'on doit révérer; que je l'ai traitée avec toutes les précautions que demandoit la délicatesse de la mațiere, et que j'ai mis tout l'art et tous les soins qu'il m'a été possible pour bien distinguer le personnage de l'hypocrite d'avec celui du vrai dévot. J'ai employé pour |