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LE

DROIT INTERNATIONAL

THÉORIQUE ET PRATIQUE

SECONDE PARTIE

ÉTAT DE GUERRE

INTRODUCTION

Considérations généra

de la guerre.

$1592. En se plaçant à un certain point de vue, on peut dire que l'histoire du droit des gens n'est pas autre chose au fond que les au sujet la justification complète de la guerre. En effet la guerre peut être regardée comme un état alternatif des relations internationales, qui succède, toutes les fois que les nations défendent ou revendiquent leur droit au moyen de la force, aux rapports que la paix avait établis entre elles. Or au milieu des relations compliquées de la société internationale il est impossible qu'il ne s'élève pas des différends entre les peuples sur des questions de droit, et chaque fois qu'un pareil différend surgit, la question de droit qui en fait le fond doit être résolue en faveur de l'un ou de l'autre des contestants, pour que le différend soit épuisé et que l'échange des

Fior e.

bons offices, qui est le but véritable de la société internationale, soit rétabli entre eux.

Dans toute société civile il a été institué des tribunaux devant lesquels les démêlés survenus entre les individus au sujet de leurs droits respectifs peuvent être soumis à l'arbitrage de la raison; et si la personne qu'un de ces tribunaux déclare avoir agi contrairement au droit refusait de réparer le tort qu'elle a causé, elle y serait contrainte par l'autorité, qui représente et concentre en elle les forces réunies de tous les membres de la société civile dont cette personne fait partie. Certes les engagements de la société naturelle, que dans le cas de la société civile le pouvoir souverain de l'État fait respecter, sont également obligatoires dans la société internationale; mais il n'existe pas dans cette dernière société d'autorité souveraine analogue pour en imposer l'accomplissement. Quand une contestation s'élève sur un point de droit entre nations, il n'est point de tribunal auquel les nations soient tenues de déférer la question en litige, ni de chef suprême chargé de la direction des forces réunies de toutes les nations et revêtu de l'autorité nécessaire pour faire exécuter les décisions d'un pareil tribunal, s'il existait.

D'autre part les différends que fait naître la question de droit ainsi soulevée doivent nécessairement suspendre les rapports pacifiques entre les nations contendantes; car les nations au point de vue de leurs relations mutuelles sont égales, et aucune d'elles ne saurait continuer d'entretenir des rapports avec une autre sous l'empire de ce sentiment d'inégalité qu'implique la soumission volontaire à la violation de ses droits. De là découle ce principe fondamental de la société internationale: que toutes les questions de droit soulevées entre les nations doivent être réglées de manière qu'il ne soit pas dérogé à cette égalité réciproque dans laquelle elles sont toutes placées à l'égard les unes des autres.

En l'absence d'autre moyen de réglement chaque nation a recours aux forces réunies de tous ses membres et tâche, en en faisant usage contre qui lui a causé préjudice, de protéger, de défendre ou de revendiquer ce qu'elle considère comme son droit. Ainsi, faute de pouvoir obtenir réparation par les voies judiciaires, elle est fatalement entraînée à une nécessité inévitable: l'appel à la force matérielle, la guerre.

$ 1595. « Quand, dit Fiore, tous les moyens pour résoudre pacifiquement une question de droit sont épuisés, et quand une nation

s'obstine à fouler aux pieds par la violence et la force le droit d'une autre, dans ce cas, en vertu du principe de légitime défense et par le devoir de faire respecter l'indépendance et l'autonomie nationales, le droit de repousser la force par la force surgit, et l'usage des armes devient légitime et conforme à la loi primitive elle-même. >>

$ 1594. Le publiciste italien ne fait ici que corroborer la doc- Montesquieu. trine de Montesquieu, qui, avant lui, avait déduit la nécessité de la guerre de la loi primitive, du droit naturel même.

La vie des États, lisons-nous dans l'Esprit des Lois, est comme celle des hommes. Ceux-ci ont le droit de tuer dans le cas de la défense naturelle; ceux-là ont le droit de faire la guerre pour leur propre conservation. Dans le cas de défense naturelle j'ai droit de tuer, parce que ma vie est à moi, comme la vie de celui qui m'attaque est à lui; de même un État fait la guerre, parce que sa conservation est juste comme toute autre conservation. Le droit de la guerre dérive donc de la nécessité et du juste rigide.»

$ 1595. « Mais, répliquent MM. Funck Brentano et A. Sorel, il ne faut pas confondre la guerre avec la légitime défense. La légitime défense peut être un devoir pour l'État envers les nations qu'il représente, et par suite devenir une cause de guerre ; mais la légitime défense n'est pas un devoir international; elle ne procède pas d'obligations réciproques des États les uns envers les autres. Il s'ensuit que la guerre n'est pas un droit pour les États. Elle ne résulte d'aucune des obligations réciproques des États, et ces obligations sont le seul fondement des droits des États les uns à l'égard des autres. Elle éclate, parce que les États ne peuvent s'accorder sur les droits qu'ils s'attribuent, et elle assure nécessairement le succès de l'État le plus fort. Dire qu'elle est un droit pour les États équivaut à dire qu'il n'y a entre les États d'autre droit que la force. »

La pratique de la guerre, envisagée au point de vue de l'humanité, de la religion et de la morale, comme à celui de sa légitimité, de son utilité et de ses conséquences, a donné lieu aux controverses les plus diverses, aux opinions les plus opposées.

Faisant abstraction de l'antiquité, où la justice, qui régnait dans une certaine mesure entre les membres d'une nation, semblait exclue des relations internationales, où la force primait le droit par rapport à l'étranger, presque généralement regardé comme un

Funck

Brentano

et Sorel.

Exposé des principaux arguments

contre

ennemi naturel, où la guerre était pour certains peuples devenue en quelque sorte un état permanent, une profession, nous arrivons à l'avènement du christianisme, qui a inauguré un droit des gens inconnu des anciens.

$ 1596. Quelques Pères de l'Église ont regardé la guerre comme étant en opposition directe avec l'esprit chrétien et l'ont par conla guerre. séquent condamnée; aussi voyons-nous les premiers soldats romains convertis au christianisme déserter leurs drapeaux et s'exposer à des châtiments plutôt que de continuer le service militaire. Cependant saint Augustin crut trouver dans les Évangiles la justification de la guerre; mais sa démonstration, admise par l'Église comme basée sur l'interprétation d'un texte biblique, laissait en réalité la question en suspens. Aussi Grotius, dans son livre Du droit de la guerre et de la paix, consacre-t-il un chapitre spécial à prouver que la guerre est un fait qui, quoique consacré par la religion et l'histoire, ne comporte ni la légitimité ni l'importance qui caractérisent la paix.

Un grand nombre des publicistes qui ont suivi se sont bornés à reproduire pour et contre la guerre les arguments invoqués par leurs devanciers. Quelques-uns sont même, dans leurs conclusions, allés jusqu'à l'exagération. Ainsi nous lisons dans Wayland que « si, malgré la persuasion morale que nous lui opposons, un État nous attaque, nous devons supporter le mal avec résignation ». Nous croyons superflu de discuter cette opinion, inspirée évidemment par le fanatisme religieux le plus aveugle.

:

Mais voici des arguments plus sérieux la guerre, a-t-on dit, est contraire à la saine morale; l'esprit militaire engendre de profondes et constantes perturbations. Cet argument est tellement vague et ambigu qu'on pourrait tout aussi bien s'en servir pour combattre n'importe laquelle des grandes institutions sociales. Le premier terme n'en est pas absolument exact, attendu que la supposition d'un outrage fait à la morale perd sa valeur du moment qu'on peut prouver que cet outrage a contribué au progrès de la civilisation. Or il est incontestable que les guerres influent sur la dignité de l'État autant que sur celle des individus, et qu'elles font naître et développent les plus héroïques vertus.

On a dit encore que si les hommes étaient plus raisonnables, ils n'auraient jamais recours à la force pour aplanir leurs différends. Ceux qui font valoir cette considération devraient, pour justifier leur opinion, expliquer ce qu'ils entendent par raison et

par force, prouver que ces deux éléments sont absolument opposés, et démontrer comment la raison peut résoudre les questions sans l'emploi de la force. Cette manière d'argumenter sacrifie, selon nous, la vérité et l'histoire à une puérilité de l'intelligence.

A envisager les guerres au point de vue le plus secondaire et le plus étroit, par exemple celui d'une offense ou d'une réclamation, il est certain qu'elles peuvent ne pas répondre au véritable objet pour lequel elles ont été entreprises, qu'elles peuvent même contrevenir aux stricts préceptes de la justice. Mais si l'on se place sur un terrain plus général, en tenant plus particulièrement compte du côté humanitaire et historique, on trouve qu'il n'est pas une guerre qui n'ait contribué aux progrès de la civilisation, sauf des exceptions très-rares et par conséquent n'altérant point essentiellement le principe.

On a soutenu aussi que les guerres sont injustes, en s'appuyant sur ce que l'une des parties belligérantes est forcément dans son tort. C'est ce principe que Vattel a développé lorsqu'il dit que la guerre ne peut être juste des deux côtés : l'une des parties s'attribue un droit que l'autre lui conteste, ou bien se plaint d'une offense que son adversaire nie lui avoir faite; ce sont comme deux individus qu disputent sur la vérité d'une proposition, et dont les deux opinions contraires ne peuvent être en même temps justes et

vraies.

Lorsqu'on examine de près cette doctrine, on reconnaît sans peine qu'elle n'a aucun fondement rationnel. En effet, assimiler une guerre à une dispute entre particuliers, essayer de soumettre le critérium d'une lutte internationale au critérium d'un litige privé, c'est manquer aux règles les plus simples de la logique, à la vérité historique et aux lois de la raison.

A nos yeux, il n'est pas nécessaire que les guerres supposent un tort de la part de l'un des belligérants; nous pensons au contraire que les deux parties peuvent l'une et l'autre avoir raison à leur point de vue respectif, ainsi que par rapport aux conditions historiques qui leur sont propres ; aussi admettons-nous la légitimité absolue des guerres. Cette conclusion s'impose en quelque sorte à notre esprit; car autrement le droit international ne saurait exister, puisque si les guerres sont forcément injustes, aucune d'elles n'est de nature à soulever de question de droit *.

Basili, Opera, epist. ad amphil., can. 8; Paulini, Opera, epist. 25; Augustini,

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