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Bombardement.

moyen, de tout instrument de guerre propre à produire une effusion inutile de sang, sans qu'on doive en induire qu'il soit interdit aux peuples modernes de faire progresser l'art de la guerre et de réformer leur armement. L'emploi de la force en temps de guerre, l'usage des plus puissants moyens de destruction n'est du reste légitime que contre ceux qui sont armés à la fois pour la défense et pour l'attaque: il y a abus, violation du droit, toutes les fois que les instruments de guerre sont dirigés contre des personnes inoffensives ou contre des villes ouvertes et non fortifiées, ainsi que cela a eu lieu dans les temps modernes à l'égard de villes telles que Saint-Jean de Nicaragua et Valparaiso.

D'un autre côté, comme Ortolan le fait remarquer avec raison, chaque nouvelle découverte faite dans l'art de la guerre, chaque perfectionnement introduit dans les moyens d'attaque et de défense sont des gages de plus apportés au maintien de la paix, puisqu'ils tendent à rendre les luttes à la fois plus courtes et plus décisives. Cependant, quand on remonte dans le passé, on voit que la transformation des instruments militaires n'a pas toujours été envisagée comme un progrès ni comme un bienfait pour l'humanité. Ainsi les premiers canons qui figurèrent dans les guerres du moyen âge furent employés exclusivement contre les murs des places fortes et non dans les rencontres en rase campagne, l'opinion publique de ces temps-là considérant comme un acte de barbarie qu'un héros pùt tomber à distance sous la balle d'un poltron.

Les Anglais furent les premiers qui, au XIVe siècle, à la bataille de Crécy, se risquèrent à faire usage des armes à feu, auxquelles ils durent un avantage marqué sur leurs rivaux jusqu'au jour où leur exemple suivi par les autres nations eût rendu général l'emploi de la poudre à canon*.

$ 1812. Le bombardement des places de guerre ou des autres lieux fortifiés est une mesure extrême de rigueur, justifiable seulement dans le cas où il y a impossibilité absolue d'atteindre par d'autres moyens le but qu'on poursuit, c'est-à-dire la reddition du point attaqué et l'expulsion ou la capture des soldats ennemis. préposés à la défense de ses fortifications.

Ortolan, Règles, t. II, liv. 3, ch. 1, pp. 31 et seq; Cussy, Phases, liv. 1, tit. 3, § 24; Vattel, Le droit, liv. 3, ch. 2, § 6; Bynkershoek, Quæst., lib. 1, cap. 1; Heffter, § 125; Halleck, ch. 16, § 17; Phillimore, Com., vol. III, §94; Manning, pp. 149-151; Martens, Précis, § 273; Klüber, Droit, § 244; Vergé, Précis de Martens, t. II, p. 237; Garden, Traité, t. II, p. 263.

$1813. Mais dans aucun cas, sous aucun prétexte, il n'est permis de bombarder les villes ouvertes non fortifiées et qui ne sont pas militairement défendues agir contre elles comme les nécessités de la guerre autorisent à le faire contre des forteresses, c'est violer tous les principes du droit des gens et se placer hors la loi des nations qui marchent à la tête de la civilisation.

On pourrait cependant admettre une exception à cette règle pour le cas où l'armée que l'on combat se renferme dans une ville ouverte, et pour celui où à l'approche de l'ennemi les habitants d'un endroit se rassemblent en armes et se retranchent au moyen d'ouvrages ou de barricades. L'ennemi, qui les considère comme combattants, cesse de regarder la place comme une ville ouverte et prend les mesures militaires qui lui semblent nécessaires pour vaincre la résistance qu'on lui oppose*.

:

Villes ouvertes ou non fortifiées.

Bombardement de

en 1866.

$1814. Parmi les bombardements abusifs qui dans ces derniers temps ont le plus vivement éveillé l'attention publique il Valparaiso, faut citer celui de Valparaiso en 1866 par l'escadre espagnole, sous les ordres de l'amiral Mendes Nuñez, lequel constitue à nos yeux un précédent déplorable de l'application de la force comme unique moyen de résoudre une question internationale. Que disait en effet l'amiral espagnol dans son manifeste du 27 mars, qui faisait pressentir le bombardement? « L'Espagne, prétendait-il, a rempli ses devoirs de belligérant à l'égard des neutres elle a usé de tous les moyens possibles pour sauvegarder leurs intérêts; à l'égard de ses ennemis elle n'a épargné aucune peine, aucun effort pour les rejoindre et les combattre même dans les lieux les plus dangereux pour des bâtiments de guerre. Or ses ennemis ont refusé le combat sur mer et n'ont attendu nulle part l'escadre espagnole, à qui l'impossibilité d'atteindre leurs vaisseaux à portée de canon impose donc l'obligation rigoureuse, mais forcée, de bombarder Valparaiso pour châtier le Chili. » Le manifeste se terminait par la concession d'un délai de quatre jours aux vieillards, aux enfants, aux non-combattants et aux habitants paisibles, pour mettre leur vie et leurs biens en sûreté; en même temps les au

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Vattel, Le droit, liv. 3, ch. 9, §§ 168, 169; Bello, pte. 2, cap. 4, § 6; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 2, §5; Riquelme, lib. 1, tit. 1, cap. 12; Victoria, De jure belli, § 60; Cauchy, t. II, p. 355; Martens, Précis, § 286; Bluntschli, § 554; Polson, sect. 6; Moser, Versuch, t. IX, pte. 2, p. 137; Cussy, Phases, t. II, pp. 528 et seq.; Burlamaqui, Droit de la nat., t. V, pte. 4, ch. 7; Pinheiro Ferreira, Précis de Martens, note sur le § 286.

But du bombardement.

1838.

Les Français devant

Veracruz.

torités chiliennes étaient invitées à arborer des drapeaux blancs sur les hôpitaux et les établissements de bienfaisance afin de les préserver du feu de l'escadre.

Rien à dire de cette dernière précaution, qui prouve au moins que le brigadier Mendes Nuñez était accessible aux sentiments d'humanité et avait à cœur d'adoucir dans une certaine mesure l'odieux de la tâche dont il était chargé. Mais que penser de ce délai de quatre jours pour évacuer une ville comme Valparaiso, le plus grand entrepôt du commerce européen dans l'Océan Pacifique? Comment! parce qu'on a vainement cherché à engager un combat naval, il deviendrait légitime, non pas de s'attaquer à des forts et à des batteries de côte, mais d'incendier un port de commerce, une ville ouverte, sans murailles, dépourvue de canons et de troupes pour la défendre! De pareils procédés n'étaient-ils pas la condamnation même de la guerre provoquée par l'Espagne, la meilleure preuve que ce pays n'était pas en mesure de soutenir une lutte loyale et avouable? Le gouvernement espagnol en prescrivant un bombardement dans ces conditions manquait aux lois de la guerre, violait les notions les plus simples du droit des gens et se donnait le double tort de nuire aux intérêts des neutres bien plus qu'à ceux de ses ennemis et de ne pas même atteindre par ses violences le but qu'il poursuivait, puisque cinq années après avoir par le feu de ses canons accumulé les ruines dans Valparaiso il n'avait conquis ni la paix ni aucune des satisfactions en vue desquelles il avait pris les armes *.

S 1815. Jusque dans ces derniers temps la pratique la plus généralement usitée, lorsqu'on assiégeait une place, consistait à prendre pour objectif des projectiles non pas la ville elle-même, mais ses fortifications, les citadelles, les forts et les murs qui en forment l'enceinte, de manière à les détruire ou à y ouvrir une brèche par laquelle on pût tenter l'assaut.

S 1816. Ainsi nous voyons en 1858 l'escadre française, envoyée pour demander une satisfaction au Mexique, attaquer non pas la ville de Veracruz, mais seulement le fort de Saint Jean d'Ulloa, qu'elle contraint à capituler. C'est le contraire, il est vrai, que fit quelques années plus tard, en 1847, l'armée des États-Unis sous les ordres du général Scott.

• Bombardement de Valparaiso, doc. off., pp. 19, 22, 27, 34, 36, 38; CourcelleSeneuil, Guerre de l'Espagne au Chili, pp. 7, 19.

$ 1817. Nous voyons encore en 1855 les armées réunies de la France, de l'Angleterre, de la Sardaigne et de la Turquie s'acharner contre le fort de Malakoff et épargner la ville de Sébastopol.

1855. Guerre de Crimée.

Guerre franco

allemande.

$ 1818. Dans leur dernière guerre les Allemands paraissent avoir 1870-1871. abandonné totalement les anciens errements. Sur environ vingtdeux siéges qu'ils ont entrepris ils n'ont pas tenté un seul assaut; ils ont trouvé plus efficace, plus facile, et ils prétendent même plus humain, d'investir les places, d'en cerner toutes les approches pour empêcher l'accès des vivres ou des secours, puis, grâce à leurs canons à longue portée qui leur permettaient d'entretenir un feu constant d'une distance à laquelle ils ne pouvaient être atteints par le tir des assiégés, de bombarder non pas les forteresses, mais les villes mêmes, où ils semaient la ruine et la mort, de manière à les forcer à se rendre par la famine ou par l'excès des souffrances.

Ce reproche est formulé avec une grande énergie dans une lettre adressée le 22 janvier 1871 par le général Faidherbe au sous-préfet de Péronne, ville fortifiée qui venait d'être détruite à moitié par les obus allemands et avait cependant conservé ses remparts presque intacts (1). « Autrefois, dit-il, on faisait le siége des fortifications d'une ville forte en ménageant la ville. C'était une sorte de convention internationale. C'était du droit des gens. Les Prussiens en cela, comme en bien d'autres choses, ont rompu avec le passé. Ils n'assiégent plus les fortifications; ils bombardent les villes. Moi, je les accuse de manquer aux usages, aux ménagements pour les populations, que les peuples civilisés gardaient dans leurs guerres, à une convention tacite, si elle n'est pas écrite. C'est donc leur loyauté que j'incrimine; car remarquez que si vous les accusez d'inhumanité, ils vous répondront que c'est au contraire par humanité qu'ils agissent ainsi. »

M. Rolin Jaequemyns (2) soutient cette objection, en s'appuyant sur un calcul fourni par le général Faidherbe lui-même :

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Voyez Péronne, ajoute-t-il; sa prise leur a coûté quelques hommes; mettez, si vous voulez, quelques centaines d'hommes, et à nous une dizaine de militaires et autant de civils tués ou

(1) Valfrey, 3o partie, ch. 12.

(2) Revue de droit int., t. III, 1873, p. 300.

Opinion de M. Rolin Jaequemyns.

La Commune de Paris, mai 1871.

Avertisse

ment préalable.

blessés. Or savez-vous ce qu'eût coûté un siége en règle de la ville de Péronne bien défendue? Mille à quinze cents hommes aux assiégés et trois à quatre mille hommes aux assiégeants: comparez ! >>

M. Rolin Jaequemyns ne trouve là que la réfutation péremptoire de l'accusation du général français. « Comment, dit-il, qualifier de contraire au droit des gens un procédé qui aboutit à chiffrer les pertes par centaines au lieu de les chiffrer par milliers? »

Mais M. Rolin Jaequemyns ne tient pas compte des souffrances injustes que le bombardement a imposées aux habitants inoffensifs et désarmés de la ville, que le droit même de la guerre aurait dù mettre à l'abri de pareilles épreuves; il ne tient pas compte non plus de la résistance qu'eût pu offrir la forteresse, des chances favorables que la lenteur d'un siége régulier eût pu apporter pour la défense de la place, vers laquelle auraient peut-être eu le temps de se rendre des renforts capables d'en repousser les assiégeants. Voilà la véritable guerre loyale, celle en effet qui laisse toutes les facilités possibles et égales de chaque côté aux deux parties en lutte pour les opérations réellement militaires, tandis que le procédé allemand déplaçait le terrain et abusait de la force pour atteindre précipitamment un but qu'autrement il leur aurait fallu disputer au prix de plus grands sacrifices de leur côté on ne peut contester que ce ne soit là une violation du droit des gens en même temps que des lois de l'humanité.

$ 1819. Malheureusement, il faut le dire, ceux-là mêmes qui s'étaient plaints le plus amèrement d'un pareil procédé comme odieux et exceptionnel n'ont pas tardé à l'imiter. Paris, à peine échappé aux obus de l'ennemi étranger, a été dans la guerre civile qui a suivi la capitulation bombardé par l'armée du gouvernement de Versailles.

$1820. Il est un autre usage auquel les Allemands ont dérogé en plus d'une occasion. D'ordinaire le commandant des assiégeants, toutes les fois qu'il le peut, informe les assiégés de son intention de bombarder la place c'est une mesure dictée par l'humanité et qui a pour but de mettre les non-combattants, surtout les femmes et les enfants, à même de s'éloigner ou de pourvoir à leur sûreté. De nombreux précédents ont consacré la pratique de l'avertissement. En 1852, au siége d'Anvers, le maréchal Gérard, qui commandait l'armée française, prévint le général hollandais du jour où il lancerait des bombes sur la citadelle. A Rome en 1849 le

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