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ments rendus à Laon pendant cette occupation ne fussent annulés, comme l'ont été autrefois ceux du tribunal de Valenciennes et d'autres places occupées (voir la loi du 28 frimaire an VIII et un arrêt de cassation du 23 frimaire an V);

<< Attendu qu'en principe le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire dans un pays doivent provenir de la même origine et agir en vertu des mêmes lois; que c'est à cette seule condition que peuvent s'établir leurs rapports obligés pour certaines questions; que l'existence d'une justice française est incompatible avec celle d'une administration étrangère; que, par la seule force des choses, il pourrait résulter de cette situation des conflits préjudiciables aux justiciables, des difficultés dans l'instruction des affaires et pour l'exécution des jugements, et des atteintes au pouvoir, à l'indépendance et à la dignité des magistrats;

<< Attendu qu'il n'y a pas lieu par le tribunal de suspendre plus longtemps sa détermination; qu'en effet la fin des vacances approche, et qu'il est urgent de prendre une décision avant le moment ordinaire de la rentrée du tribunal;

«Par ces motifs,

« Le tribunal, ouï M. Delegorgue, substitut de M. le procureur de la République, décide, à l'unanimité de ses membres présents, qu'il y a lieu pour lui, sans se démettre de ses fonctions, d'en cesser provisoirement l'exercice, quelles que puissent être au point de vue de l'expédition des affaires civiles et de la répression les conséquences de cette suspension;

<< Dit que la délibération du tribunal étant un acte d'administration intérieure, le tribunal n'en peut délivrer copie qu'aux chefs de la cour; qu'il n'est donc pas possible d'en donner copie à M. le baron de Landsberg;

<< Mais autorise son président à faire part de la présente décision et de ses principaux motifs à M. le baron de Landsberg, à l'initiative duquel ont eu lieu les explications exposées ci-dessus, et autorise également M. le procureur de la République à en informer les juges de paix de l'arrondissement, les notaires, les avoués, les commissaires de police et les autres officiers ministériels.

« Délibéré en assemblée générale, en la chambre du conseil, les jour, mois et an susdits. >>

(Suivent les signatures.)

Voici la lettre par laquelle le président du tribunal informa M. le baron de Landsberg de cette délibération :

« Monsieur le baron,

< Laon, le 15 octobre 1870.

« J'ai l'honneur de vous informer que le tribunal civil de Laon, convoqué immédiatement à l'issue de la conférence de ce jour, a décidé, après délibération, que le cours de la justice française serait suspendu à Laon à partir de ce moment.

« Les délibérations des tribunaux étant des actes d'administration intérieure, les tribunaux ne peuvent en permettre la communication, si ce n'est aux chefs supérieurs de la justice. Il ne m'est donc pas possible de vous envoyer copie de la décision du tribunal; mais le tribunal m'a autorisé à vous faire connaître les motifs principaux de cette décision.

C'est: 1° la non-reconnaissance par l'autorité prussienne de la République Française, au nom de laquelle le tribunal rend la justice; 2o l'occupation qui se continue et qui s'organise : ce qui fait que la justice, se rendit-elle au nom de la République, ne pourrait subsister à côté d'une administration civile étrangère, sans amener, même involontairement, des conflits regrettables et des difficultés pour les justiciables; 3° enfin, des raisons de haute convenance, que vous comprendrez pafaitement, Monsieur le baron, parce qu'elles touchent à nos devoirs patriotiques, à notre dignité et à notre indépendance.

<< Je vous serai fort obligé, Monsieur le baron, de vouloir bien m'accuser réception de cette lettre.

« Agréez, etc.

«

Signé: CAMBIER. »

Le tribunal civil de Versailles, obéissant aux mêmes inspirations que la cour de Nancy et le tribunal de Laon, suspendit également le cours de la justice.

Les deux délibérations dont nous venons de reproduire le texte posent la question de souveraineté nationale et d'indépendance de la magistrature sur une base juridique absolument irréfutable, et à l'égard de laquelle tous les publicistes ne peuvent que se trouver pleinement d'accord.

S 1897. L'occupation n'est souvent qu'un fait accidentel, une opération militaire transitoire.

Occupation virtuelle.

Des troupes envahissantes peuvent désirer simplement traverser un territoire particulier afin de pousser leurs opérations sur un autre ; ou elles peuvent vouloir établir un contrôle permanent sur des pays où elles se répandent; ou bien encore elles stationnent assez près de certaines contrées pour pouvoir y entrer en cas de besoin, sans avoir toutefois l'intention d'une occupation permanente.

De pareilles circonstances constituent ce qu'on appelle l'occupation par interprétation ou virtuelle, qu'il faut distinguer de l'occupation effective ou réelle.

Quelque courte qu'en soit la durée, l'occupation entraîne cependant en faveur des troupes envahissantes à l'égard des habitants l'exercice de quelque autorité, dont les limites sont nécessairement vagues et moins étendues que dans le cas de l'occupation fixe et nettement caractérisée. Cette autorité consiste surtout à prendre les mesures propres à assurer la marche des troupes, à les approvisionner, à prévenir ou à réprimer les soulèvements armés qui pourraient survenir à l'arrière ou sur les flancs de l'armée *. § 1898. L'occupation ne cesse pas toujours avec la fin des hosjusqu'après tilités; quelquefois elle est prolongée après la conclusion de la paix comme une garantie jugée nécessaire pour assurer l'exécution de certaines dispositions du traité qui a mis un terme à la guerre, et le plus souvent de celles concernant le paiement des indemnités qui y sont stipulées les territoires alors occupés demeurent en quelque sorte comme un gage entre les mains du vainqueur jusqu'à l'accomplissement de ces conditions en tout ou en partie, selon les conventions.

Occupation

prolongée

la paix.

de provinces

près la paix

Dans ces cas cette occupation militaire en temps de paix perd naturellement des rigueurs qu'elle avait en temps de guerre, d'autant plus que l'État vaincu a récupéré intégralement en vertu du traité de paix ses droits de propriété et de souveraineté sur le territoire ainsi occupé; aussi intervient-il ordinairement des arrangements spéciaux entre les deux États pour régler les rapports des troupes étrangères avec les autorités nationales et les habitants pendant la durée de l'occupation.

Occupation § 1899. Ainsi, en 1871, après la cessation de la guerre entre françaises a- l'Allemagne et la France, l'occupation temporaire d'une partie du en 1871. territoire français ayant été stipulée par les préliminaires de paix en garantie du paiement de l'indemnité de guerre, cette occupa

* Creasy, First platform of international law, § 473.

tion a été régie par des réglements particuliers, destinés, aux termes mêmes de la lettre adressée par le général allemand de Fabrice le 5 avril 1871 au ministre des affaires étrangères, « à sauvegarder à la fois les intérêts des troupes d'occupation et à procurer aux autorités françaises la faculté d'exercer les attributions qui leur sont données par les lois françaises. »

Il était imposé aux commandants en chef des armées allemandes, chacun dans le rayon occupé par ses troupes, d'exercer la discipline la plus sévère à l'égard de leurs soldats, mais aussi de prévenir ou de réprimer toute tendance hostile des habitants, en laissant cependant en premier lieu aux autorités françaises le soin de maintenir la sécurité générale ou de rétablir l'ordre compromis les commandants allemands devaient même les y aider, sur leur demande, soit par des concentrations de troupes dans les foyers du désordre, soit en prêtant main-forte à leur gendarmerie. Dans le cas où les autorités françaises n'auraient pu ou voulu pourvoir au maintien de l'ordre public, ou protéger efficacement les intérêts allemands, mais dans ce cas-là seulement, l'autorité allemande eût été justifiée de prendre elle-même les mesures propres à assurer la sécurité et le bien-être des troupes allemandes *.

$ 1900. Dans les contrées où l'esclavage existe encore l'individu privé de sa liberté peut être envisagé comme être humain ou comme propriété personnelle. Considéré à ce dernier point de vue, l'esclave n'est qu'un objet mobilier, dont celui qui occupe le sol n'a pas le droit de dépouiller le propriétaire légitime. Mais bien qu'enchaîné comme autrefois le serf à la glèbe, l'esclave n'en est pas moins un être raisonnable, fait à l'image de son prochain d'une autre couleur, un homme, en un mot, capable de prendre part aux opérations militaires, à toute espèce d'acte hostile. L'occupant, ne fût-ce que pour se défendre, a donc le droit incontestable de lui faire subir les lois de la guerre et de s'emparer de sa personne pour l'empêcher de lui nuire ou pour le forcer à lui rendre des services du genre de ceux qu'il était tenu de prêter à son maître.

L'action transitoire et suspensive que l'occupation exerce sur la possession du sol se fait du reste également sentir à l'égard de l'esclave. Lorsque, par exemple, les institutions politiques qui ré

'Villefort, Traités, etc., 1870-1871, t. II, p. 261; De Clercq, t. XI.

Effets de l'occupation

sur la condiclaves."

tion des es

Indemnités réclamées par

pour les es

cipés durant

l'indépendan

ce.

gissent l'État occupant n'admettent pas la possession de l'homme par l'homme, l'esclave peut bénéficier d'une sorte d'émancipation implicite, qui ne deviendra pourtant définitive et réelle pour lui qu'avec la transformation de caractère de la prise de possession du territoire. Si au contraire l'envahisseur reconnaît et pratique lui-même l'institution de l'esclavage, les droits du maître sur son esclave, sur sa chose, continuent de subsister intacts.

S 1901. A la fin de la guerre de l'indépendance les États-Unis les Etats-Unis réclamèrent une indemnité du gouvernement anglais pour les esclaves éman- claves américains qui avaient été enlevés de vive force ou qui la guerre de avaient conquis leur liberté en se réfugiant au Canada, le président J. Q. Adams soutenant que l'émancipation des esclaves n'était pas une arme licite de guerre. La question de principe ayant été déférée à l'arbitrage de l'empereur de Russie, celui-ci décida qu'une indemnité était due pour les esclaves enlevés des places fortes dont la restitution aux États-Unis avait été stipulée, mais non pour ceux qui se trouvaient dans les places restées au pouvoir de l'Angleterre.

1861. Usage ob

cours de la

§ 1902. Au commencement de la guerre de sécession en 1861 servé dans le les chefs des armées fédérales s'opposèrent à l'extradition des esguerre civile. claves qui s'étaient réfugiés dans leurs rangs ou qui tombaient en leur pouvoir ils fondaient leur refus sur ce que ces esclaves devaient être considérés comme contrebande de guerre. Mais dès le 1862. 17 juillet 1862 le congrès votait un acte spécial, qui décida que mancipation tout esclave appartenant aux rebelles du Sud qui viendrait sponvoté par le Congrès. tanément demander asile sous le pavillon national serait regardé comme prisonnier de guerre et mis aussitôt en liberté, avec faculté pour le président de le faire entrer dans les rangs de l'armée.

Acte d'é

1863. Proclama

Enfin, dans sa proclamation du 1er janvier 1863 le président tion du prési- Lincoln, voulant par une mesure plus radicale encore étouffer la dent Lincoln. résistance des États du Sud et accomplir en même temps un

grand acte de justice, ne craignit pas de proclamer qu'usant de ses pouvoirs comme général en chef des forces de terre et de mer de l'Union, et par mesure d'ordre et de nécessité, il ordonnait que toute personne détenue comme esclave sur le territoire des États rebelles fût sans retard mise en liberté, et que son émancipation fût solennellement reconnue par le gouvernement fédéral et par toutes les autorités militaires et navales agissant sous ses ordres.

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