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nication qui lui était faite, la dévastation en 1813 du Havre-deGrâce et de Georgetown dans la baie de Chesapeake. Ces deux villes avaient été incendiées par l'escadre anglaise, et leurs habitants, qui n'auraient pas dû être considérés comme combattants, avaient vu, contrairement aux lois de la guerre, détruire leurs propriétés. Les déprédations auxquelles l'escadre britannique s'était livrée le long des côtes de la Chesapeake n'avaient pas été moins odieuses; les désastres irréparables qu'elles avaient causés ne témoignaient que trop que la vengeance et la cupidité en avaient été les seuls mobiles. On pouvait encore citer la destruction à Washington des maisons dans lesquelles avait été établi le gouver

nement.

M. Monroe faisait remarquer que dans les guerres de l'Europe moderne on ne pouvait citer aucun excès de ce genre même parmi les nations les plus hostiles les unes aux autres, et que dans le cours des dix dernières années, où les capitales des principales puissances avaient été occupées alternativement par les armées victorieuses de chacune d'elles, on n'avait point vu l'exemple d'une dévastation aussi odieuse et aussi inique. En présence d'actes dignes des temps barbares le gouvernement des États-Unis avait su néanmoins contenir sa légitime indignation, et il avait déclaré que, bien qu'il s'y crût pleinement autorisé, il ne décrèterait aucune mesure de représailles. C'est à tort qu'on avait prétendu que l'incendie postérieur de la ville de Newark, dans le haut Canada, avait été inspiré par une pensée de représailles. Quoique les officiers qui l'avaient ordonné eussent justifié leur conduite par des considérations stratégiques et les nécessités des opérations militaires contre le fort SaintGeorges, qui attenait à la ville, le gouvernement américain n'avait pas hésité à désavouer cet acte de destruction. Il avait agi de même au sujet de l'incendie de Long Point et de celui de Saint David dans le premier cas l'officier qui commandait avait été déféré à la justice militaire, et dans le second le commandant du district avait été destitué sans jugement pour ne s'y être pas opposé. Comme preuve de ses dispositions conciliantes, le gouvernement fédéral repoussait énergiquement toute pensée de recourir jamais à des mesures contraires aux lois de l'humanité, et il offrait de régler par un arrangement amiable les différends qui divisaient les deux pays.

L'amiral Cochrane répondit qu'il n'était pas autorisé à entrer

Incendie

de la ville de

en négociations sur des questions de ce genre, et que jusqu'à ce qu'il eût reçu de nouvelles instructions il continuerait de suivre la même ligne de conduite, à moins qu'on ne lui accordât la juste réparation qu'il réclamait des attentats imputables aux troupes nord-américaines. De son côté, le gouverneur général du Canada fit connaître au mois de février 1814 qu'il avait reçu avec satisfaction l'assurance que le gouvernement des États-Unis désapprouvait l'incendie de Newark, et que, pour sa part, le gouvernement anglais repoussait, aussi bien que celui de Washington, tout recours à des actes d'hostilité pouvant entraîner la destruction complète de la propriété privée.

S 1922. Ce n'étaient là toutefois que de simples protestations Washington. de bon vouloir et de modération; car au mois d'août de la même année (1814) on vit l'armée anglaise détruire de fond en comble la ville de Washington, le palais du président et d'autres édifices publics de cette capitale.

Jugement porté sur ces

de la cham

munes d'An

1923. Sir James Mackintosh, appréciant ce fait au sein de la actes au sein chambre des Communes, ne craignit pas de déclarer que les bre des Com- lenteurs que le gouvernement anglais apportait dans les négogleterre. ciations de paix entamées à Gand ne pouvaient s'expliquer que par le désir de prolonger la guerre et de frapper un coup décisif sur l'Amérique. Si, ajoutait-il, le Parlement avait été ouvert au mois de juin, on n'aurait certes pas donné l'ordre d'attaquer Washington, et l'on eût évité ainsi une victoire cent fois plus honteuse que la déroute la plus désastreuse, puisqu'elle faisait de la puissance navale de l'Angleterre un objet de haine et d'alarme pour l'Europe entière et qu'elle assurerait désormais le concours des forces maritimes de la république nord-américaine à tout ennemi qui se lèverait contre la Grande-Bretagne.

L'attaque de Washington avait, suivant sir James Mackintosh, le caractère d'un attentat commis contre l'honneur national et les affections publiques d'une nation. Il était ainsi réservé à l'Angleterre de violer les lois de la courtoisie internationale sur les égards dus à la capitale d'un pays, et de détruire de propos délibéré des palais de gouvernement, des salles de législation, des tribunaux de justice, des dépôts d'archives, de documents historiques, objets qui sont chez toutes les nations civilisées préservés avec soin des conséquences de la guerre et dont la destruction ne saurait être considérée comme une mesure légitime d'hostilité, puisqu'ils ne

sont employés que dans l'intérêt commun et perpétuel des sociétés humaines.

Ce qui aggravait encore dans la pensée de sir James Mackintosh la responsabilité du ministère anglais, c'était d'avoir cherché à justifier la destruction de la capitale des États-Unis en la représentant comme une mesure de représailles contre des violences commises au Canada par quelques officiers subalternes, qui avaient été formellement désavoués et punis par leur gouvernement. « Pour justifier de pareilles représailles, disait-il, il faut que l'outrage soit établi par des preuves irrécusables, et, dans ce cas, qu'il soit évident que l'ennemi ait refusé de donner satisfaction, enfin qu'il y ait une juste proportion entre le châtiment et l'offense. Or aucune de ces circonstances ne se rencontre dans le cas présent. Mettre une capitale, qui rappelle le nom illustre de Washington et sur laquelle se concentrent les sentiments les plus respectables d'un grand peuple, au niveau d'une demi-douzaine de baraques qui servaient d'asile temporaire aux autorités d'une province, c'est là un acte d'insolence intolérable et qui révèle autant de mépris pour les sentiments de la république nord-américaine que pour le sens commun du genre humain. »

En tout état de cause il ressort des correspondances et des débats parlementaires que nous venons de mentionner que les actes de dévastation qui les avaient provoqués étaient considérés par les deux parties comme anormaux et dérogeant aux usages ordinaires de la guerre chez les nations civilisées *.

§ 1924. L'exemption de capture ou de confiscation que les codes modernes de la guerre ont consacrée en faveur de la propriété de privée constitue un progrès d'une haute importance.

Exemption de capture ou confiscation de la propriété privée dans les guer

Riquelme, essayant de mettre en lumière le fondement de cette res terrestres. exception, fait les réflexions suivantes : « Pour pouvoir bien apprécier les droits que crée la guerre quant à la propriété ennemie, il faut partir du principe que le belligérant qui envahit le domaine de son ennemi substitue accidentellement sa souveraineté à celle du propriétaire territorial, de sorte que tout ce qui est permis à ce dernier dans les circonstances extraordinaires de la guerre l'est également à l'envahisseur, sans autres restrictions que celles imposées par la loi des nations, laquelle n'autorise pas que l'on oc

Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 2, § 6; American State papers, v. III, pp. 693, 694; Hansard, Parl. debates, v. XXX, pp. 526, 527; Twiss, War, § 69.

Limites

de

.

casionne à l'ennemi plus de mal qu'il n'est strictement nécessaire pour la réussite des opérations militaires. »

Ces considérations ne nous semblent ni absolument justes ni suffisamment précises; car, loin d'expliquer la règle consacrée, elles tendent à reconnaitre au belligérant des droits supérieurs à ceux qu'il possède réellement. Le respect de la propriété privée sur terre peut, suivant nous, se justifier plus naturellement par la raison qu'il est toujours possible d'atteindre le but de la guerre sans recourir à l'expédient anormal de dépouiller de leurs biens les particuliers et les non combattants.

Hautefeuille, qui n'établit aucune distinction dans les exigences de la guerre sur terre et sur mer, admet la parfaite légitimité de la capture et de la confiscation de tout ce qui tombe entre les mains du belligérant; mais à l'appui de son raisonnement il ne peut invoquer que des édits et des ordonnances surannés, que le progrès des lumières et la pratique moderne ont depuis longtemps rejetés *.

§ 1925. La doctrine du respect de la propriété privée sur terre cette règle. n'est pas tellement absolue qu'on ne puisse dans l'application en restreindre la portée. Ainsi, par exemple, on n'en fait jamais profiter l'ennemi qui enfreint les prescriptions des lois militaires, et l'on ne l'étend pas non plus aux objets recueillis sur le champ de bataille. On peut également considérer comme une dérogation indirecte au principe d'exception les contributions forcées que pour leur entretien les armées envahissantes ont coutume de lever sur les habitants.

Pinheiro Ferreira a blâmé sévèrement Martens d'avoir soutenu que dans des circonstances extraordinaires on peut condamner une ville au pillage, parce que, suivant lui, reconnaitre cette faculté au belligérant conduit à lui accorder aussi dans des circonstances analogues le droit de capturer les biens des particuliers.

Halleck, se fondant sur la pratique généralement suivie, adopte les vues de Martens; il admet la légitimité du pillage lorsqu'une

* Riquelme, lib. 1, tit. 1, cap. 12; Heffter, § 133; Bluntschli, § 652; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 2, § 5; Kent, Com., v. I, p. 96-98; Puffendorf, lib. 8, cap. 6, § 20; Vattel, Le droit, liv. 3, ch. 13, § 200; Halleck, ch. 19, § 12; Twiss, War, §§ 64, 66; Martens, Précis, § 280; Klüber, Droit, § 256; Fiore, t. II, pp. 299 et seq.; Bello, pte. 2, cap. 4, §§ 3, 6; Polson, sect. 6, § 13; Vergé, Précis de Martens, t. II, p. 254; PradierFodéré, Vattel, t. III, pp. 37, 38; Pradier-Fodéré, Grotius, t. III, pp. 288, 289.

ville a violé les lois ordinaires de la guerre, ou lorsque les procédés extrêmes et les plus rigoureux sont devenus indispensables pour châtier ou faire découvrir les vrais coupables*.

S 1926. Le pillage était fort en usage dans les temps anciens; mais les guerres modernes n'en offrent, Dieu merci, que de rares exemples.

Vattel admet le pillage, sans le défendre, comme une pratique usitée de son temps, tandis que Pinheiro Ferreira le combat comme un acte honteux, plus propre à affaiblir qu'à fortifier la discipline militaire.

Cette opinion du célèbre publiciste portugais s'est généralisée au point que, sans qu'elle soit positivement érigée en principe international, on peut de nos jours la considérer comme s'étant moralement imposée à toutes les nations civilisées. Nous en avons la preuve dans la juste flétrissure dont les historiens, ainsi que l'opinion publique en général, ont frappé les horreurs commises à la suite de certains siéges dans la guerre de l'indépendance espagnole, et les excès sanglants qui ont marqué les luttes de la Pologne contre la Russie, et la guerre de sécession aux ÉtatsUnis.

Pillage et vols.

Vattel,

Pinheiro Ferreira.

Destruction du palais d'été

de la Chine.

§ 1927. A ces faits affligeants, qu'on était en droit d'espérer ne point voir s'accomplir dans un siècle tel que le nôtre, ajoutons la de l'empereur destruction du palais d'été de l'empereur de la Chine, auquel des troupes européennes ont mis le feu, après s'y être livrées au pillage durant deux jours consécutifs. C'est là un précédent d'autant plus grave et regrettable que l'odieux en retombe sur les deux puissances qu'on a coutume de regarder comme l'avant-garde de la civilisation et du progrès l'exemple a d'autant plus de force qu'il vient de plus haut.

La France en a fait la triste expérience en 1870. D'après un rapport du ministre de l'intérieur au président de la République, dans trente-quatre de ses départements envahis par les troupes allemandes le montant des réclamations constatées s'élève à 141 millions de francs pour dégâts par incendie et autres causes,

* Vattel, Le droit, liv. 3, ch. 9, § 165; Martens, Précis, § 280; Pinheiro Ferreira, Précis de Martens, note sur le § 280; Kent, v. I, pp. 96-98; Twiss, War, § 64; Wheaton, Élém., pte 4, ch. 2, §5; Heffter, § 131; Halleck, ch. 19, §§ 13, 14; Manning, p. 136; Fiore, t. II, pp. 300 et seq.; Bello, pte. 2, cap. 4, § 3; Riquelme, lib. 1, tit. 1, cap. 12; Bynkershoek, Quæst., lib. 1, cap. 4; Klüber, Droit, § 253; Moser, Beitrage, v. III, p. 256; Ompteda, Lit., t. II, p. 642; Kamptz, Lit., § 308; Vergé, Martens, t. II, pp. 254-256; Polson, sect. 6, § 13.

Dégâts causés par

les troupes en France,

allemandes

1870-1871.

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