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à examiner s'il a la faculté d'éteindre les droits que ces titres représentent.

§ 1976. L'exemple d'Alexandre le Grand, qui en s'emparant de Thèbes remit aux Thessaliens les titres de leur dette envers les Thébains, et la décision des Amphictyons à ce sujet ont été commentés de différentes manières par tous les auteurs depuis Grotius jusqu'à Halleck.

Nous croyons que la discussion de ce fait historique n'a pas une grande importance, et qu'en tout cas, quelles que soient les conclusions auxquelles on arrive, il est impossible d'en déduire pour les temps modernes un principe général de droit international.

Exemple puisé dans l'histoire ancienne.

Opinions des

modernes.

§ 1977. La seule chose à examiner est de savoir si le belligérant qui s'empare de titres de cette espèce est investi d'un pou- publicistes voir suffisant pour en prononcer l'annulation et éteindre la dette contractée. Après les nombreuses controverses qu'elle a soulevées au XVIIe et au XVIIIe siècle, cette question est aujourd'hui presque uniformément résolue par les publicistes dans le sens de la négative. Ainsi, faisant tout d'abord une distinction nettement tranchée entre la conquête définitive et la simple occupation militaire, que l'antiquité et le moyen âge étaient trop portés à confondre, les auteurs n'admettent plus que l'envahissement, la présence fortuite et momentanée des troupes sur le territoire ennemi crée des droits souverains égaux à ceux qui découlent de la conquête ou de l'annexion sanctionnée par traités. Le belligérant victorieux n'acquérant dès lors quant aux choses que le pouvoir qui dérive de la force et le droit d'en user pour ses propres besoins selon les exigences de la guerre, comment pourrait-on lui reconnaître la faculté d'annuler une dette qui n'a pas été contractée envers lui? Le droit civil, dont les règles sur la matière trouvent ici une application toute naturelle, dit en effet que le paiement d'une dette personnelle fait en d'autres mains que celles du créancier véritable ne libère pas le débiteur et laisse subsister intacte l'obligation résultant du titre qu'il a souscrit. Vouloir que la guerre renverse un axiome juridique, fondé sur les notions les plus claires et les plus précises. de la justice et de la raison, n'aboutirait en dernière analyse qu'à sanctionner la spoliation et la rapine. Nous nous croyons donc autorisés comme nos devanciers à conclure que la détention violente du titre d'une dette ne crée pas plus le droit d'en poursuivre le recouvrement que celui d'annuler l'obligation du débiteur, et que la simple occupation n'autorise pas rationnellement le bel

III.

16

Part possédée par le gou

vernement ou

les habitants

occupé dans

ligérant à transférer à des tiers ce dont il n'est pas libre de disposer pour lui-même *.

'S 1978. Quant à la part possédée par un gouvernement ou ses citoyens dans les fonds publics d'un autre État, toutes les autorités du territoire modernes s'accordent à reconnaître qu'elle doit être à l'abri de des fonds pu- toute atteinte. En confisquer le principal ou les intérêts, ce serait non seulement commettre un manque de bonne foi, mais encore nuire au crédit d'une nation, déprécier ses valeurs publiques, et sans doute provoquer des représailles sur les biens de ses citoyens privés.

blics étrangers.

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L'empereur Napoléon I, pendant son séjour à Posen, s'imaginant que le cabinet de Londres avait l'intention de confisquer les fonds que les Français possédaient dans la dette publique, ordonna à son ministre des finances d'examiner si dans le cas où ce cabinet agirait ainsi il ne serait pas nécessaire de recourir à la même rigueur. « Le sujet est très-délicat, dit-il; je ne veux pas donner l'alarme; mais si les Anglais le font, je dois exercer des représailles.» M. Mollien répondit qu'un tel acte était tellement contraire à la manière d'agir des Anglais qu'il ne pouvait y croire, qu'il désirait que le cabinet de Londres commit une pareille erreur, mais que les résultats leur en seraient d'autant plus désastreux que leur conduite ne serait pas imitée. A cette occasion il envoya à l'Empereur le mémoire de Hamilton, l'ami, le conseiller et le ministre de Washington, sur la question de savoir si la règle politique, plus même que la règle morale, ne défendait pas à tous les gouvernements non seulement de confisquer les capitaux qui lui avaient été prêtés par les sujets d'une puissance avec laquelle il était en guerre, mais même dé suspendre, en ce qui concernait ces sujets, le paiement des intérêts. Napoléon n'insista pas (1)**.

* Grotius, Le droit, liv. 3, ch. 8, § 4; Vattel, Le droit, liv. 3, ch. 5, §§ 77; ch. 14, § 212; Wolff, Jus gent., §§ 833, 864; Puffendorf, De jure, tit. 8, cap. 6; Gentilis, De jure belli, lib. 3, cap. 5; Quintilien, Inst., liv. 5, ch. 10; Phillimore, Com., v. III, §§ 549 et seq., 560 et seq.; Massé, t. I, §§ 139, 140; Heffter, § 134; Halleck, ch. 19, § 8; ch. 32, § 27; Fiore, t. II, pp. 309 et seq.; Wildman, v. II, p. 11; Burlamaqui, Droit de la nature, pte. 3, ch. 7, § 14, ch. 8; Pfeiffer, Das recht, pp. 165 et seq.; Réal, Science, t. V, ch. 2, sect. 5; Schwartz, De jure victoris; Kamptz, Beitrage, n. 9; Hotman, Quæst. illustr., sect. 5; Brumleger, Diss. de occupatione, p. 38; SainteCroix, Des anciens gouv., p. 52; Schweikart, Napoléon, pp. 74 et seq.; Kamptz, Lit., § 307; Tittmann, Ueber den Bund, p. 135; Pradier-Fodéré, Vattel, t. II, pp. 422-425; Pradier-Fodéré, Grotius, t. III, pp. 194-196.

(1) Revue des Deux Mondes, 1856, Biographie du comte Mollien par M. Michel Chevalier.

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pendant Réintégration de l'ancien gouvernement.

$ 1979. La réintégration du gouvernement légitime dans le ter- Dettes payées ritoire dont l'occupation ennemie l'avait temporairement dépouillé l'occupation. peut éveiller des doutes sur la validité des paiements faits pendant la durée de la dépossession. C'est naturellement au débiteur qu'incombe le devoir d'établir qu'il a reçu décharge et de prouver: 1° que la somme due a été réellement payée; 2° que la dette était échue lorsqu'elle a été soldée; et 3° qu'il n'a point agi avec l'intention délibérée de porter préjudice au créancier primitif.

A ces preuves le débiteur citoyen du pays conquis ou sujet du conquérant doit encore ajouter celle que le paiement a eu lieu par cas de force majeure, en démontrant, par exemple, que la dette a été acquittée en vertu d'un ordre auquel il était impossible de se soustraire sans s'exposer à un châtiment personnel.

Si le débiteur est de nationalité étrangère, c'est-à-dire neutre, il ne peut justifier sa conduite qu'en prouvant que la loi constitutionnelle de l'État auquel il appartient reconnaît la validité de paiements effectués de bonne foi entre les mains d'une autorité de fait*.

tirés de l'histoire ancienne.

§ 1980. Dans la guerre entre César et Pompée le premier fit Exemples remise à la ville de Dyrracchium du paiement d'une dette contractée envers Caïus Flavius, ami de Décius Brutus. Les juristes qui ont commenté cet acte en reconnaissent l'illégalité, attendu que dans une guerre civile il ne peut, à proprement parler, y avoir d'occupation, et de plus parce que la dette dont il s'agit n'était pas publique, mais privée. Un autre exemple classique est celui de la confiscation des maisons et des obligations rhodiennes opérée par Antiochus, roi de Syrie, laquelle fut annulée par la paix qui rétablit le statu quo ante bellum**.

• Pfeiffer, Das recht, pp. 161-164; Phillimore, Com., v. III, §§ 557, 558; Klüber, Droit, §§ 258, 259; Massé, t. I, §§ 139 et seq.; Twiss, War, § 55; Dana, Elem. by Wheaton, note 169; Halleck, ch. 32, § 28; Wolff, Jus gent., § 840; Vattel, Le droit, liv. 3, ch. 5, § 77; Grotius, Le droit, liv. 3, ch. 4, § 2; Heffter, § 134; Fiore, t. II, pp. 311, 312; Voet, Com., lib. 19, tit. 2, § 28; Schmalz, p. 267; Kamptz, Beitrage, § 8; Pradier-Fodéré, Vattel, t. II, pp. 422-425.

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Pfeiffer, Das recht, pp. 165 et seq.; Phillimore, Com., v. III, §§ 561-564; Puffendorf, De jure, lib. 8, cap. 6, § 23; Grotius, Le droit, liv. 3, ch. 8, §4; Vattel, Le droit, liv. 3, ch. 5, § 77; Gentilis, De jure belli, lib. 3, cap. 5; Quintilien, Instit. orat., liv. 5, ch. 10; Polybe, Hist. excerptæ, cap. 35; Heffter, § 134; Halleck, ch. 32, § 29; Twiss, War, § 55; Ærodius, Rerum judicatarum, lib. 2, tit. 2, cap. 1, 2; Cocceius, Grotius illustr., t. III, pp. 202, 236, 237; Tittman, Ueber den Bund, p. 135; Holman, Quæst. illustr., qu. 5; Schweikart, Napoléon, pp. 53 et seq.; Sainte-Croix, Des anciens gouv. féd., p. 52.

S 1981. Le premier exemple que les temps modernes présentent de l'histoire de faits de cette nature eut lieu en 1349.

Exemples

tirés

moderne.

Un Flamand ayant prêté mille couronnes à un Français, ce dernier en retarda le remboursement jusqu'au moment où la guerre éclata entre la Flandre et la France, et alors il en versa le montant dans le trésor de son pays. Mais dès que la paix fut rétablie le créancier réclama le paiement, auquel le débiteur se refusa en alléguant qu'il l'avait opéré dans les caisses du trésor public; cela ne l'empêcha pas cependant d'être condamné à rembourser sur la somme payée la portion qu'il serait reconnu avoir utilisée à son propre bénéfice.

Pendant la guerre qui eut lieu vers la fin du XVe siècle entre Pise et Florence on obligea par des menaces les citoyens de la première de ces républiques à payer au gouvernement pisan tout ce qu'ils devaient aux Florentins. Un d'eux, nommé Ludovic, ayant obéi à cet ordre, son créancier protesta et soumit la question à Philippe Decio, jurisconsulte milanais d'une grande réputation, qui conclut en ces termes : « Ex quibus omnibus concludo et indubitanter existimo quod Ludovicus mediante tali solutione fuerit liberatus. »

En 1495, lorsque le roi de France Charles VIII parcourut l'Italie pour réintégrer la maison d'Anjou sur le trône de Naples, on contraignit le parti opposé à verser entre les mains de l'État le montant des dettes échues. Quelques débiteurs s'acquittèrent intégralement; d'autres se libérèrent en partie; un grand nombre enfin refusèrent tout paiement, quoiqu'ils eussent l'habileté de se faire remettre des quittances mensongères. Peu de temps après Français et Angevins étaient expulsés de Naples, et Ferdinand d'Aragon était rétabli sur le trône ce qui fit aussitôt surgir la question de la validité des paiements effectués. Pour résoudre la difficulté on invoqua l'opinion de Matthæus de Afflictis, jurisconsulte de grand crédit, qui formula les conclusions suivantes :

« Prima conclusio: Quod illi debitores regum de Aragonia qui fuerunt in mora solvendi dictis regibus pecuniam debitam in genere et jussu regis Caroli et suorum officialium solverunt ipsis. donatariis, non sunt liberati et tenentur solvere dictis regibus, veris creditoribus.

« Secunda conclusio sit ista: Quod illi debitores, qui non fuerunt in mora solvendi dictis creditoribus, sed jussi fuerunt ab officialibus regis Franciæ quod solvant illis Gallis, virtute largitatis

regis, et ipsi fecerunt quidquid eis fuit possibile ut non solverent, et realiter eis solverunt propter jussum pœnalem, et isti sunt liberati.

« Tertia conclusio sit ista: Quod si debitor fuit in mora, sed erat infra tempus purgandi moram, et infra illud tempus sit exactus ab illis Gallis jussu magistratus, tunc solvendo Gallis perinde habetur ac si non esset in mora, et sic erit liberatus.

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Quarta conclusio sit ista: Quod debitor qui solvit Gallis illam pecuniam debitam regibus de Aragonia virtute jussus magistratus cui non potuit resistere, et pecuniam illam debitam post diem solutionis faciendæ solitum, quod ipsi debitores penes se retinebant pro expensis occurrentibus in administratione officii nomine regio, si ipsam pecuniam Gallis solverunt, sunt liberati, etiam quod fuerint in mora.

Quinta conclusio sit ista: Quod illi debitores qui solutionem probant per confessionem Gallorum publicam vel privatam, ita quod non probant veram numerationem pecuniæ eis factam, non sunt liberati, sed debent solvere veris creditoribus, quantumcunque ostenderint dictum jussum.

« Sexta conclusio: Quod illi debitores qui se concordaverunt et non ostendunt veram solutionem in totum vel in partem, non sunt liberati.

<< Exitus rei approbavit istas conclusiones. >>

Première conclusion. Les débiteurs des rois d'Aragon qui ont été en retard de payer aux dits rois l'argent dû en espèces, et, sur l'ordre du roi Charles et de ses employés, ont payé aux donataires eux-mêmes, ne sont pas libérés et sont tenus de payer aux dits rois, les vrais créanciers.

Seconde conclusion. Les débiteurs qui n'ont pas été en retard de payer aux dits créanciers, mais ont reçu des employés du roi de France l'ordre de payer à ces Français, en vertu des largesses du roi, ont fait tout ce qui leur était possible pour ne pas payer et ont en réalité payé à cause de l'ordre pénal, ceux-là sont libérés.

Troisième conclusion. Si le débiteur était en retard, mais dans les délais de purger ce retard, et si dans l'intervalle de ces délais. le paiement a été exigé de lui par ces Français en vertu d'un ordre du magistrat, dans ce cas, en payant aux Français, il est considéré comme s'il n'était pas en retard, et ainsi il sera libéré.

Qnatrième conclusion. Les débiteurs qui ont payé aux Français, par suite d'un ordre du magistrat auquel ils n'ont pu résister,

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