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SECTION III.

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PRATIQUES ILLICITES DE LA GUERRE MARITIME.

ADOPTION DU PRINCIPE DE L'INVIOLABILITÉ DE LA PROPRIÉTÉ

PRIVÉE SUR MER.

Considéra

§ 2057. Bien qu'en droit strict la guerre ait pour objet de faire tions prélimitout le mal possible à son adversaire afin de le contraindre à sous- naires. crire aux conditions qu'on veut lui imposer, l'application rigoureuse de la maxime: « Tous les moyens sont bons contre un ennemi>> entraînerait la mise en pratique d'atrocités révoltantes, qui dépasseraient souvent le but qu'on se propose d'atteindre. Aussi la morale universelle a-t-elle soumis l'exercice du droit de guerre à de nombreuses rectrictions: quoiqu'elles ne soient consignées dans aucune convention internationale, ces restrictions n'en sont pas moins admises d'un commun accord et respectées par tous les peuples civilisés, qui même en accroissent chaque jour la force, l'étendue et la portée.

Comme nous avons vu que dans la guerre de terre certains procédés, certaines opérations, l'emploi de certaines armes sont généralement condamnés, la même réprobation s'attache dans les guerres maritimes à certaines pratiques, aujourd'hui considérées universellement comme déloyales et illicites. Assurément il reste encore beaucoup à gagner sous ce rapport; on ne saurait nier toutefois que des progrès notables n'aient été réalisés dans ces derniers temps; car si l'abolition de la course, entre autres réformes, n'est pas encore inscrite en termes exprès et formels dans la loi des nations, elle y figure au moins implicitement, et il y a tout lieu d'espérer que le jour approche où prévaudra partout définitivement, sans conteste comme sans réserve, le principe de l'inviolabilité de la propriété privée sur mer.

L'examen des pratiques réputées illicites dans la guerre de mer

feuille, Des droits, disc. prélim., t. I, p. 25; tit. 3, sect. 3, p. 162, note; Massé, t. I, § 338; Pistoye et Duverdy, Traité, tit. 6, ch. 1; tit. 9, ch. 2, sect. 2; Halleck, ch. 20, §§ 22 et seq.; Cussy, Phases, liv. 1, tit. 3, §§ 33, 34, 36; liv. 2, chs. 12, 20; Emerigon, ch. 12, sect. 19.

Emploi d'un pavillon supposé.

Stratagèmes déloyaux.

déloyal em

lais en 1755.

va nous mettre à même de constater les pas en avant que le droit des gens a déjà faits dans cette voie.

S2058. Le droit des gens autorise en temps de guerre pour se soustraire aux poursuites de l'ennemi l'emploi d'un pavillon supposé; mais il l'interdit rigoureusement comme moyen d'attaque ou de surprise. Dès que le feu est ouvert, l'usage invariable des peuples civilisés veut que chaque navire établisse loyalement sa nationalité et combatte sous ses propres couleurs. Le fait de combattre sous pavillon étranger est une violation du droit des gens, qui fait considérer et traiter comme pirates ceux qui s'en rendent coupables*.

S2059. On appelle stratagèmes ou ruses de guerre les piéges tendus à l'ennemi, les tromperies qu'on lui fait, telles que les démarches simulées, les fausses attaques, etc.

Les stratagèmes ne constituent pas réellement par eux-mêmes un acte de perfidie; les circonstances qui les accompagnent peuvent seules les rendre blåmables et leur imprimer un caractère délictueux. Il est certains stratagèmes dont l'usage a toujours été reconnu pour légitime. Vattel en justifie ainsi l'emploi : « Comme l'humanité, dit-il, nous oblige à préférer les moyens les plus doux dans la poursuite de nos droits, si par une ruse de guerre, une feinte exempte de perfidie, on peut s'emparer d'une place forte, surprendre l'ennemi et le réduire, il vaut mieux, il est réellement plus louable de réussir de cette manière que par un siége meurtrier ou par une bataille sanglante. Mais, ajoute-t-il, cette épargne du sang humain ne va jamais jusqu'à autoriser la perfidie, dont l'introduction aurait des suites trop funestes et ôterait aux souverains, une fois en guerre, tout moyen de traiter ensemble et de rétablir la paix.

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Stratageme § 2060. Comme exemple de stratagème déloyal nous citerons ployé à Ca- celui auquel recourut une frégate anglaise, qui pendant la guerre de 1755 entre la France et la Grande-Bretagne s'approcha de la côte de Calais en faisant des signes de détresse et captura comme prisonniers de guerre la chaloupe et les hommes partis de terre pour lui porter secours.

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Pistoye et Duverdy, Traité des prises, t. I, tit 5, ch. 1, pp. 230 et seq.; Valin. Traité des prises, ch. 2, sect. 1, § 9; Ortolan, Règles, t. II, liv. 3, ch. 1, pp. 29 et seq; Hautefeuuille, Des droits, t. III, p. 8; Halleck, ch. 16, § 24; Wildman, vol. II, p. 25; Phillimore, Com., vol. III, §94; Cussy, Phases, liv. 1, tit. 3, §§ 24, 25; Lebeau, Nouveau code, t. VI, pp. 223, 283; Robinson, Admiralty reports, vol. IV, p. 187 ; Heffter, § 125; Bouchaud, Theorie, p. 377.

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La frégate française Sy

2061. Au commencement de l'année 1783 la Sybille, frégate française de vingt-huit canons, trompa le navire anglais le Hussard, byllë. de vingt canons, en déployant une enseigne anglaise renversée aux grands haubans et le pavillon anglais au dessus du pavillon français au bâton du commandement. Elle était en outre sous mâts de nécessité, avait des trous de boulets et donnait à entendre de toute façon qu'elle était une prise en détresse de quelque navire anglais. Le capitaine du Hussard s'approcha sans retard pour venir à son secours; mais aussitôt la Sybille, par un mouvement rapide prémédité, tâcha de faire sauter le beaupré du navire, puis tenta l'abordage en faisant feu de ses canons. Cette ruse de guerre n'échoua que grâce à la promptitude du capitaine anglais, qui réussit à faire tourner son navire de manière à ne recevoir que la moitié de la bordée rasante. Ensuite il engagea le combat avec la Sybille, qui finit par être capturée. En en prenant possession, le capitaine du Hussard brisa l'épée du capitaine français, à qui il reprocha d'avoir terni sa réputation en cherchant à surprendre son adversaire au moyen d'un faux pavillon et de signaux de détresse. Il arrêta le capitaine de la Sybille comme prisonnier d'État. Il paraît que celui-ci fut plus tard mis en jugement par son gouvernement; il fut acquitté.

S2062. En 1815 deux négociants de New York, encouragés par la promesse d'une récompense du gouvernement américain, formèrent le plan de détruire le navire anglais Ramilies, de soixantequatorze canons. Ils chargèrent une goëlette de barils de poudre, mis en communication avec une platine de fusil, qu'au moyen d'un ressort on faisait mouvoir au moment donné. Sur le pont on avait placé quelques barils de farine, dans l'attente que le Ramilies, qu'on savait à court de vivres, s'empresserait de s'emparer de la goëlette pour se ravitailler. La goëlette s'approcha donc du navire, qui détacha aussitôt un bateau avec treize hommes et un lieutenant pour l'intercepter. L'équipage de la goëlette se hâta de l'abandonner; elle fut occupée par le lieutenant; mais quelques heures après elle sautait en l'air; le lieutenant et dix matelots furent tués et les trois autres grièvement blessés.

§ 2063. Un autre cas digne d'être cité s'est produit en 1800 dans le port de Barcelone. Une frégate et deux navires anglais qui se trouvaient dans les eaux environnantes s'emparèrent vivement d'un navire suédois, dont ils empruntèrent le pavillon pour pénétrer dans le port de Barcelone, où ils firent main basse sur deux

Le navire anglais Ramilies.

Capture dans
Barcelone,

le port de

1800.

Actes hostiles commis

par des particuliers.

frégates espagnoles. Ici nous nous trouvons en présence de deux faits l'acte de violence consommé sur le navire suédois, et la capture sous faux pavillon neutre des navires espagnols. Tout ce qu'on peut dire à l'égard de ce dernier fait, c'est qu'il est conforme à la pratique de la marine anglaise, mais dépasse les bornes de la stricte loyauté. Au surplus, dans l'espèce, la réussite d'un pareil stratagème est essentiellement imputable à la coupable incurie des deux frégates espagnoles, qui n'auraient pas dû se laisser surprendre. Toutefois, la capture ayant eu lieu à l'abri d'un pavillon autre que celui des capteurs, le gouvernement espagnol était pleinement autorisé à exiger la restitution des prises faites en dehors des lois de la guerre. En ce qui concerne la capture du navire neutre et l'emploi frauduleux de son pavillon, il n'est personne qui n'admette que l'Angleterre avait violé outrageusement les lois de la neutralité et commis contre le droit des gens un attentat auquel la Suède était de tout point fondée à répondre par une déclaration de guerre *.

S 2064. Les publicistes ont établi des distinctions entre les actes en pleine mer hostiles commis par des particuliers en pleine mer et les mêmes actes accomplis sur terre. Ainsi Kent soutient que les premiers ne constituent pas un fait de piraterie, lors même que leurs auteurs n'y ont pas été autorisés par leur gouvernement; puis, par une singulière contradiction, le même écrivain, en parlant des faits accomplis sur terre, affirme, toutefois sans rien prouver, que ces faits n'ont aucun des caractères qui pourraient les rendre passibles des lois de la guerre; il émet en conséquence l'opinion qu'ils doivent être punis comme des délits ordinaires.

Pour nous ces distinctions sont d'une subtilité dont la portée pratique nous échappe. Nous ne saurions admettre que le lieu où

Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 2, § 18; Grotius, Le droit, liv. 3, ch. 1, §§ 8, 17; Vattel, Le droit, liv. 3, §§ 174,177, 178; Bynkershoek, Quæst., lib. 1, cap. 1; Puffendorf, De jure, lib. 8, cap. 6, § 6; Bello, pte. 2, cap. 6, §§ 1, 2; Halleck, ch. 16, §§ 22, 23; nouvelle édit., 1878, ch. 18, § 23, note; Lieber, Political ethics, b. 7, §§ 24, 25; Paley, Moral and polit. phil., b. 3, pt. 1, ch. 15; Martens, Précis, § 274; Garden, Traité, t. II, liv. 6, § 7, pp. 266-268; Bélime, Phil. du droit, t. I, pp. 321, 322; Rayneval, Inst., liv. 3, ch. 4, § 7; Riquelme, lib. 1, tit. 1, cap. 12; Cussy, Phases, liv. 1, tit. 3, § 24; Ortolan, Règles, t. II, liv. 3, ch. 1; Heffter, § 125; Klüber, Droit, § 266; Bouchaud, Théorie, p. 377; Wildman, vol. II, pp. 24, 25; Phillimore, Com., vol. III, § 94; Vergé, Précis de Martens, t. II, pp. 239, 240; Pinheiro Ferreira, Précis de Martens, § 274; Pradier-Fodéré, Vattel, t. III, pp. 51, 57; Frankenstein, Dissert. de dolo in bellis licito; Joly de Mezeroy, Traité des stratagèmes; Robinson, Admiralty reports, vol. II, p. 139.

s'accomplit un acte puisse en modifier en quoi que ce soit le caractère intrinsèquement hostile ou délictueux, surtout lorsqu'il s'agit du domaine de la pleine mer et de l'intérêt complexe des neutres; par contre nous comprenons qu'il est juste de ne pas placer sur la même ligne les mesures offensives et les mesures défensives, ces dernières étant en tout état de cause légitimées par les principes généraux du droit de la guerre. C'est au surplus ce qu'ont établi les réglements anglais de 1826, qui, conformément à ces principes, qualifient d'acte de piraterie toute agression commise en mer sans autorisation expresse, hors les cas de légitime défense.

Les auteurs qui, comme Wheaton, se sont ralliés à la doctrine d'une différence radicale entre les conditions et les exigences de la guerre sur terre et celles de la guerre sur mer, s'appuient avant tout sur la conséquence extrême du but poursuivi par les belligérants. La destruction du commerce et de la navigation de l'ennemi, l'affaiblissement de ses ressources et de ses richesses mercantiles étant, selon eux, l'objet primordial des guerres maritimes, la poursuite et la confiscation des navires marchands et la capture illimitée de tout instrument propre à la guerre sont tout justifiées à leurs yeux, que cette poursuite, cette confiscation ou cette capture ait lieu avec ou sans l'assentiment des autorités publiques.

En allant au fond de ce raisonnement, on reconnait sans peine qu'il pèche par la base et viole tous les principes de droit; il tient d'ailleurs à un ordre de choses que les progrès de la civilisation écartent de plus en plus du code des nations modernes, et dont les actes qui ont clos le congrès de Paris de 1856 (1) préviendront heureusement le retour.

S 2065. Dans le cours de XVII et du XVIIIe siècle on a vu certains gouvernements placer des navires de guerre à la disposition de simples particuliers pour mettre ceux-ci à même de poursuivre de vive force, à leurs risques et périls, la réparation de préjudices qu'ils avaient éprouvés ou des satisfactions pécuniaires qu'ils n'avaient pu obtenir par les voies amiables. Entre autres exemples de ce genre nous citerons celui de Duguay-Trouin, dirigeant une expédition navale française contre la ville de Rio de Janeiro au temps de Louis XIV (1711). Le roi avait accordé

(1) De Clercq, t. VII, p. 91; Savoie, t. VIII, p. 405; Archives diplom., 1862, t. I, p. 146; Bulletin des lois, 1856, no 381; Martens-Samwer, II, p. 791; Lesur, 1856, app., p. 19.

Expédition privée contre la ville de Rio

de Janeiro au

XVIII' siècle.

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