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par le chef de la force armée, qui y fait prévaloir le système administratif et fiscal que la guerre comporte et sanctionne dans une certaine mesure; mais comme ce ne sont pas des territoires fédéraux et moins encore des États libres et souverains, on ne les considère que comme des régions soumises à l'Union par une souveraineté de fait, que les nations étrangères sont tenues de respecter tant qu'elle subsiste.

Cette distinction entraîne des conséquences dont le caractère anormal, au point de vue du droit, est assez saillant. Ainsi, politiquement parlant, les habitants de la contrée occupée sont par rapport aux tiers traités comme étant placés sous la dépendance de la grande république sans avoir acquis droit de cité dans son intérieur; d'un autre côté, tant que l'incorporation n'a pas été accomplie par un acte spécial du congrès, cette même contrée conserve aux yeux du fisc son caractère étranger: de sorte que le navire américain qui y aborde devient passible du régime exceptionnel et transitoire établi par l'autorité militaire locale, et qu'au retour dans un port de l'Union i subit les lois de douane applicables aux provenances étrangères, cela en vertu du principe qui refuse au président ou à ses délégués, pour le concentrer exclusivement entre les mains du congrès, le pouvoir d'étendre les limites territoriales de la confédération. C'est donc exclusivement dans le congrès fédéral que réside le droit de statuer à titre définitif sur le régime gouvernemental et politique des contrées dont la guerre opère l'incorporation au domaine de l'Union. Son omnipotence à cet égard n'est limitée que par l'obligation morale de ne pas enfreindre les principes généraux de la constitution et de respecter les règles du droit des gens et les stipulations conventionnelles conclues par le président avec l'assentiment de la majorité légale du sénat.

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Tant que le pouvoir exécutif et le législatif ne se sont point entendus pour l'établissement d'un régime nouveau, le territoire conquis conserve sa situation intérieure, sauf les changements que l'autorité militaire a pu y introduire à titre transitoire. C'est ce que la cour suprême de Washington à elle-même proclamé par l'organe du juge Wayne, à la suite de la guerre du Mexique, en disant que le silence gardé par l'autorité compétente ou le retard mis par elle à modifier le statu quo autorise la présomption légale du maintien de ce qui peut exister comme conforme aux intérêts du pays et à la politique générale de son gouvernement. »

la Californie

en Etat membre de l'Union.

S2158. Comme preuve à l'appui de cette doctrine nous citerons Erection de le maintien du statu quo dans les deux vastes provinces que la de 1846-1848 détacha du Mexique, et où le gouvernement guerre établi par ordre du président des États-Unis dès que l'armée américaine s'en fut emparée continua de subsister même après la ratification du traité de paix qui en consacrait la cession aux ÉtatsUnis. Ce ne fut que beaucoup plus tard, lorsque le flot des immigrants américains et étrangers en eut augmenté la population, que la Californie, secondée par les nouvelles autorités qui présidaient à ses destinées, se donna une constitution, ratifiée par le vote unanime de ses habitants, et put au mois de décembre 1849 être élevée au rang d'État avec le consentement tacite du président. L'ancienne province du Nouveau Mexique, qui comptait, il est vrai, une population moins compacte et moins nombreuse, essaya en vain de suivre l'exemple de la Californie en votant une constitution; on refusa de l'admettre comme État ; cependant le régime transitoire qui avait été maintenu jusqu'alors cessa de fonctionner, et l'on organisa tout le pays en un simple territoire, gouverné sous l'autorité du président de la confédération *.

$2159. Les considérations que nous venons d'exposer montrent suffisamment ce qu'il y a d'illogique et de contradictoire dans la doctrine américaine en matière d'occupation militaire; pourtant elle a reçu sa consécration juridique de diverses sentences rendues par la cour suprême des États-Unis à propos de faits de guerre. Les espèces que nous croyons utile de rapporter ici s'appliquent : 1° à un territoire neutre momentanément au pouvoir de l'ennemi; 2o à l'occupation par un belligérant d'une portion même du territoire fédéral; 3° enfin à la prise de possession par les troupes des États-Unis du territoire étranger servant de théâtre aux hostilités.

La première de ces questions fut soulevée au sujet de l'ile Sainte Croix, qui appartenait au roi de Danemark, mais se trouvait au pouvoir de troupes anglaises alors en guerre avec les États-Unis. La cour suprême de Washington déclara que, « bien que les acquisitions opérées pendant la guerre ne fussent pas considérées comme définitives tant qu'elles n'ont pas été confirmées par un

Gardner, Inst., p. 208; Cushing, Opinions, v. VIII, pp. 365 et seq.; Halleck, ch. 32, §§ 8, 9; Dana, Elem. by Wheaton, noté 169; Holland, Reports, v. IX, pp. 603, 615; v. XVI, p. 164; U. S. statutes at large, v. IX, pp. 446, 452, 453; Story, Com., § 668; Dunlop, Digest., pp. 1238 et seq.; Brightly, Digest., pp 195, 693, 890.

Jurisprudence des

tribunaux

américains.

traité, on devait cependant pour tout ce qui touchait au commerce les regarder comme faisant partie du domaine de l'occupant.

La seconde question se rattache à la prise de Castine, ville des États-Unis (État du Maine), dont l'armée anglaise s'était emparée au mois de septembre 1804 et qu'elle garda en son pouvoir jusqu'à la ratification du traité de paix du 24 décembre 1814 (1). La décision intervenue peut se résumer en ces termes : « Par suite de la conquête et de l'occupation militaire de Castine l'ennemi y a acquis une possession assez légitime pour avoir le droit d'y exercer les droits de souveraineté les plus amples. Par contre, le domaine souverain des États-Unis y étant virtuellement suspendu, les lois fédérales ont cessé d'y être applicables et obligatoires pour les habitants qui se sont soumis au conquérant et sont par leur séjour continu restés soumis à son autorité. « Par le fait de leur reddition les habitants de Castine ont assumé une fidélité temporaire envers le gouvernement britannique, et se sont moralement obligés à observer et à respecter les lois qu'il leur a imposées. Le fait matériel de l'occupation explique par lui-même qu'aucune autre loi ne pouvait régir les habitants, puisque là où la protection cesse le droit à obtenir l'obéissance n'existe plus. Castine devait donc forcément durant toute la période de l'occupation être considérée comme port étranger, et les marchandises importées par ses habitants être soumises uniquement aux droits fiscaux que le gouvernement anglais jugeait à propos d'y exiger, attendu qu'à la rigueur elles n'étaient pas importées aux États

Unis. »

La troisième question se rapporte à la prise de possession de Tampico par les troupes nord-américaines lors de la guerre du Mexique. L'autorité militaire, voulant se créer des ressources et mettre un terme à la contrebande, prescrivit à la douane de substituer au tarif mexicain le tarif en vigueur aux États-Unis. Le commerce local s'étant élevé contre cette exigence, la cour suprême dut intervenir, et déclara que les chargements débarqués à Tampico pendant l'occupation pouvaient légalement être assujettis au paiement des droits imposés par les autortés fédérales, soit qu'ils provinssent des ports de l'Union, soit qu'ils arrivassent d'une contrée étrangère quelconque *.

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(1) Elliot, v. I, p. 268; Herstlet, v. II, p. 378; Martens, Nouv. recucil, t. II, 'Halleck, ch. 32, § 10; Cranch, Reports, v. IX, p. 191; Wheaton, Reports, t. IV, p. 246; Howard, Reports, v. IX, p. 603; v. XVI, p. 164.

p.

76.

président pour la perception

sur des territoires occupés.

$ 2160. En l'absence d'acte spécial voté par le congrès, le droit Pouvoir du de faire des réglements pour la perception de taxes et d'impôts sur le territoire ennemi occupé par des troupes américaines appar- de revenus tient au président de la Confédération en sa qualité de chef du pouvoir exécutif, ou aux officiers des armées de terre et de mer qu'il a commissionnés à cet effet. Le produit des revenus qui ont une semblable origine peut être employé soit aux frais d'administration de la région occupée, soit aux dépenses générales de la guerre, le trésor fédéral n'étant autorisé à le revendiquer que lorsqu'un vote du congrès lui en a directement fait l'attribution *.

$2461. Lors de la guerre de 1846 et aussitôt après l'occupation de quelques ports du littoral mexicain par les forces navales nordaméricaines, le président des États-Unis fit sans retard mettre en vigueur un tarif qui fixait les droits de douane à payer sur les marchandises importées. Le commandant de l'escadre de l'Océan Pacifique décréta en même temps pour la Californie un tarif distinct, qui, à part quelques modifications de détail, fut maintenu jusqu'à la fin de la guerre. Les sommes perçues par application de ces deux tarifs furent en majeure partie employées aux besoins des territoires occupés; et à la conclusion de la paix l'excédant net disponible fut versé dans les coffres du trésor à Washington **.

$ 2162. La consécration définitive donnée à la conquête agit rétroactivement sur le droit de propriété en ce qu'elle imprime au titre du conquérant la valeur légale dont il était dépositaire et rend définitifs et parfaits les contrats et les actes translatifs de propriété accomplis pendant l'occupation militaire. Cet effet rétroactif n'a cependant rien d'absolu et ne s'étend jamais, notamment en matières fiscales, à la condition légale du pays conquis. Ainsi, par exemple, le paiement des impôts effectués avant que la conquête ait revêtu son caractère définitif libère le contribuable, qui ne peut plus être recherché ni frappé de nouveau du même chef. On ne pourrait non plus songer à soumettre à des surtaxes complémentaires les marchandises qui seraient déjà sorties des mains de la douane après avoir acquitté les droits existant au moment où l'occupation a commencé. Donner à la conquête une sem

'Halleck, ch. 32, § 11; Dunlop, Digest., p. 1342; Howard, Reports, v. IX, p. 603; v. XVI, p. 164.

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1846. Dispositions

adoptées pention du litto

dant l'occupa

ral mexicain.

Effets rétroactifs de la

confirmation

de la conquè

te.

Transmission de la

blable portée serait violer la loi naturelle, manquer par conséquent aux principes du droit international comme à ceux du droit civil. La seule et vraie théorie admise en cette matière est que la rétroactivité se borne à consolider les actes émanés du conquérant pendant l'occupation militaire*.

$ 2165. Il est de droit naturel que la conquête ou la cession fidélité per- régulière d'un territoire délie les habitants de tout serment de

sonnelle due

tants du ter

par les habi- soumission envers l'ancien souverain, et entraîne fidélité absolue ritoire con- de leur part envers le nouveau. Même la fidélité perpétuelle si vantée

quis.

Conditions

requises pour

cette transmission.

de la loi anglaise s'incline devant ce principe: lorsque le roi cède par traité une portion de ses domaines, ce fait implique que les habitants perdent leur qualité de sujets britanniques et doivent être regardés comme étrangers **.

S 2164. Dans les temps les plus reculés, lorsque le principe la validité de monarchique dominait exclusivement, les publicistes s'en tenaient à la règle que la souveraineté, avec les devoirs de fidélité qui en découlent, se transmet d'une manière absolue et sans réserve aucune. La pratique généralement observée de nos jours est à la fois plus libérale et plus conforme à l'équité. Burlamaqui le dit avec raison la guerre seule ne crée d'autre titre que celui inhérent à la force, et n'attribue pas au vainqueur un droit illimité et perpétuel de souveraineté sur le pays conquis; pour que ce droit prenne naissance, il faut le consentement exprès ou tacite du vaincu. Autrement il n'existe qu'un fait matériel, subordonné quant à sa durée au temps pendant lequel le vaincu est dans l'impuissance de secouer le joug.

Sous l'empire des idées philosophiques que le XVIIIe siècle a propagées dans le monde on est bien forcé de reconnaître que les peuples ayant le droit imprescriptible de disposer d'eux-mêmes et de prendre part au gouvernement du pays, l'aliénation du domaine national est sortie des mains du souverain, et que la conquête, bien qu'assurée par traité, ne peut plus être considérée comme revêtue de son caractère définitif et solennel qu'autant qu'elle est ratifiée par l'assentiment des habitants dont elle affecte directement les intérêts moraux et matériels. Prétendre qu'un conquérant

* Wildman, v. I, p. 162; Halleck, ch. 33, § 4; Dana, Elem. by Wheaton, note 169. Vattel, Le droit, liv. 3, ch. 13, § 200; Grotius, Le droit, liv. 3, ch. 8, § 1; Puffendorf, De jure, lib. 8, cap. 6, § 24; Westlake, § 27; Halleck, ch. 33, §5; Dana, Elem. by Wheaton, note 169; Rayneval, Inst., liv. 3, ch. 20, §§ 5, 7; Riquelme, lib. 1, tit. 1, cap. 12.

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