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<«< Dans le cas où des navires marchands appartenant aux États du sud de l'Union américaine et ne reconnaissant pas l'autorité du gouvernement des États-Unis d'Amérique arriveront dans les ports russes, ces navires devront être reçus et traités comme ils l'ont été jusqu'à ce jour conformément au traité de commerce conclu le 10 décembre 1832 entre la Russie et les États-Unis, quand même leurs papiers de bord ne seraient pas en règle, ce qui peut arriver par suite de la situation politique actuelle des États-Unis d'Amérique.

«Si les équipages des navires appartenant aux États dissidents ne veulent pas reconnaitre l'autorité des consuls nommés par le gouvernement fédéral de Washington, alors, en cas de différend, ils doivent s'en remettre aux décisions des autorités locales russes de la même manière que les étrangers dont les gouvernements n'ont pas de représentants en Russie. »>

§ 2265. Une conduite analogue fut adoptée par l'Espagne; mais elle Conduite du souleva des protestations de la part du gouvernement de Washington.

Le gouverneur de Cuba ayant publié un ordre aux termes duquel les navires venant de la Confédération du sud et en portant le pavillon devaient avoir la permission d'entrer et de sortir «< comme navires venant d'une nation étrangère qui n'aurait pas accrédité de consul sur le territoire de l'ile », M. Seward écrivit à M. Schurz pour lui exprimer son mécontement. « Son gouvernement s'attendait, dit-il, à ce que ces navires fussent traités sous tous les rapports comme des américains, sujets aux lois et à l'autorité consulaire des États-Unis.» « Le peu de compte tenu de l'irrégularité des papiers dans ces cas, ajoutait-il, est consenti par nécessité et quant à présent seulement; mais on ne doit point l'ériger en précédent; et lorsque le gouvernement espagnol jugera à propos de retirer cette concession, il en sera donné dûment connaissance aux puissances étrangères.

M. Calderon Collantes refusa d'accéder à cette demande. Il répondit que l'Espagne ne pouvait pas contraindre de force ces navires à se soumettre aux agents consulaires des États-Unis. Il ne reconnaissait pas non plus que l'admission de navires sans papiers réguliers dépendit d'une concession de la part du gouvernement des États-Unis, pouvant être accordée ou retirée à volonté. Le gouvernement espagnol revendiquait le droit de s'en tenir à la règle d'action tant que la nécessité existerait.

gouvernement

espagnol.

dra.

$ 2266. Une affaire plus importante est celle du navire L'Alexanl'Alexandra, alors en construction dans les chantiers de Liverpool.

Le ministre des États-Unis à Londres appela sur ce sujet l'attention du gouvernement de la reine Victoria, et démontra que c'était un agent spécial des sudistes, le capitaine Bullock, qui avait fourni les fonds nécessaires à l'armement de ce navire. L'Alexandra fut en conséquence séquestré; mais sur la réclamation des ayant droit, MM. Sillem, l'affaire fut portée en justice, et les magistrats ordonnèrent la relaxation du navire, bien qu'il eût été constaté que ses dimensions et sa structure, loin d'être celles d'un bâtiment marchand, correspondaient plutôt à celles d'un bâtiment de guerre. Dans sa sentence le magistrat énonçait même que pour lui il n'était pas douteux que l'Alexandra était construit en vertu d'un marché d'agents du gouvernement confédéré et sous leur direction, pour être armé en guerre et employé comme croiseur contre les États-Unis du Nord. Se prévalant toutefois de ce double fait que la construction et l'armement n'étaient pas achevés, le président de la cour de l'Échiquier concluait que le délit principal d'équiper réellement dans des intentions hostiles, prévu par l'acte de 1819, ne pouvait légalement être considéré comme accompli qu'autant que l'équipement était parvenu au point de mettre le bâtiment en état de servir à des opérations hostiles, et que s'il n'était pas prouvé que le plan auquel les défendeurs avaient pris part consistait à faire de l'Alexandra un bâtiment prêt à se livrer à des opérations hostiles pendant qu'il se trouvait encore dans le territoire britannique, le délit n'était pas commis. Il ajoutait que ce n'était pas violer la loi que de construire, d'équiper et d'armer un navire entièrement construit en guerre, par suite d'un marché avec un gouvernement belligérant, avec la parfaite connaissance de l'intention de ce gouvernement d'employer ce bâtiment dans la guerre existante, lorsque les parties qui ont fait l'équipement et l'armement n'ont pas eu l'intention de s'en servir elles-mêmes pour des actes hostiles, mais seulement de le vendre et de le laisser au gouvernement belligérant pour qu'il en use à son gré.

Comme on le voit, ce jugement ne résolvait rien quant au point de droit international et se bornait à décider que dans l'espèce la loi anglaise était inapplicable.

Cette décision donna lieu à un échange de correspondances entre le cabinet de Washington et celui de Londres. M. Seward, secrétaire d'État des États-Unis, écrivit le 15 juillet 1865 à M. Adams, ministre américain en Angleterre, que si l'avis du pré

sident de la cour de l'Échiquier était confirmé par la cour suprême d'appel et devenait la règle de conduite du gouvernement anglais, il ne resterait au président des États-Unis qu'à comprendre qu'il n'y avait point dans la Grande-Bretagne de loi capable de maintenir les relations mutuelles de conciliation entre les sujets de Sa Majesté Britannique et le gouvernement et le peuple des États-Unis sur le seul point où elles étaient exposées à être enfreintes; qu'en conséquence il suggérait au gouvernement de Sa Majesté de proposer au parlement d'amender la loi existante de manière à la rendre propre à produire le résultat que les deux gouvernements avaient alors en vue. Dans ce cas le président des États-Unis, de son côté, s'empresserait de solliciter du congrès un amendement équivalent de la législation américaine, si le gouvernement de Sa Majesté le désirait, quoiqu'un tel amendement ne parût pas nécessaire; mais s'il fallait s'en tenir à l'interprétation donnée à la loi anglaise par la cour de l'Échiquier, les États-Unis n'auraient d'autre alternative que de se protéger, eux et leur commerce, contre les croiseurs armés sortant des ports britanniques comme contre les forces navales d'un ennemi public, et de réclamer des indemnités pour tous les torts que de telles expéditions avaient causés jusqu'alors ou causeraient par la suite au gouvernement et aux citoyens de l'Union. En cas d'insuffisance de leur marine les États-Unis n'hésiteraient pas à avoir recours à l'armement

de corsaires.

M. Adams proposa au chef du Foreign office de donner une portée plus précise à la loi anglaise, dont vers la même époque un mémoire des armateurs de Liverpool dénonçait l'inefficacité. Le comte Russell se montra disposé à proposer au parlement les amendements suggérés, à condition qu'ils seraient simultanément introduits dans la législation américaine : ce à quoi le gouvernement de Washington consentit; mais lorsque M. Adams lui fit part de ce consentement, le comte Russell répondit que le gouvernement de la reine avait de nouveau examiné la matière et refusait d'amender l'acte de neutralité (foreign enlistment act), qui échappa ainsi à toute modification parlementaire pendant la durée de la guerre de sécession *.

Dana, Elem. by Wheaton, note 25; The case of the United States before the tribunal of arbitration, pp. 161, 257 et seq.; Beaman, The national and private « Alabama claims », pp. 150-158; Montague Bernard, Neutrality of Great Britain, p. 247.

L'Alabama.

La Florida,

la

S 2267. Nous arrivons à une autre affaire qui a eu des conséquences beaucoup plus sérieuses encore, celle de la canonnière l'Alabama. Sorti de la Mersey le 29 juillet 1882 (1) sans emporter ni un canon ni même un fusil, tant était active la surveillance exercée à la fois par les autorités anglaises et par le consul des États-Unis à Liverpool, M. Dudley, ce bâtiment se dirigea vers les Açores, après avoir reçu en mer le supplément d'équipage que des barques de la côte étaient chargées de conduire à son bord. Arrivé en vue de Terceire, il fut rejoint par deux navires, venant l'un de Londres, l'autre de Liverpool, qui lui amenaient un commandant (le capitaine Semmes) et des officiers, avec un armement complet, des uniformes pour l'équipage, de la houille et des vivres. Le transbordement eut lieu à une certaine distance du littoral portugais; quand il fut terminé, le pavillon confédéré fut hissé au haut du grand mât, et aussitôt commença pour l'Alabama cette série de croisières qui rendirent son nom et celui de son commandant aussi célèbres dans les fastes de la marine sudiste que funestes pour la marine marchande des États du Nord. Poursuivi avec acharnement par la corvette de guerre Kearsage, il fut enfin rejoint dans la Manche en vue de Cherbourg et coulé à fond après un brillant combat naval*.

S 2268. D'autres navires au service des Confédérés du sud, Georgia, ete. tels que la Florida, la Georgia, le Shenandoah, etc., purent, par suite du manque de surveillance des autorités anglaises, s'équiper et s'armer dans des ports de l'Angleterre, puis sortir de ces ports; mais ils eurent une existence moins aventureuse que l'Alabama et firent peu de mal à leurs ennemis; un seul, la Georgia, fut pris et vendu à Liverpool; les autres finirent par être désemparés ou rendus par des avaries incapables de tenir la mer **. Réclamations § 2269. L'apathie que l'Angleterre paraissait avoir montrée pour Etats-Unis. mettre obstacle à la sortie de ces bâtiments ne pouvait manquer

des

(1) Historical account of the neutrality of Great Britain during the american civil war, by Montague Bernard, Londres, 1870; History of the San Juan water boundary question, by viscount Milton, London, 1869; L'Angleterre pendant la guerre d'Amérique, par H. Blerzy, Revue des Deux Mondes, 1er et 15 septembre 1870.

* The case of the United States to be laid before the tribunal of arbitration, pp. 243, 254, 364 et seq.; Beaman, The national and private « Alabama claims », pp. 69-100.

**The case of the United States, etc., pp. 246, 247, 254, 256, 293, 332 et seq., 392 et seq., 416 et seq.; Beaman, pp. 49-68, 101-149, 158-161; Montague Bernard, Neutrality of Great Britain

Première

note de

Lord Russell, le 7 avril

1865.

d'éveiller la susceptibilité des États-Unis. En conséquence M. Adams, leur ministre à Londres, adressa le 7 avril 1865 au gouverne- M. Adarns à ment de la reine une note tendant à rejeter directement sur lui la responsabilité des faits accomplis. Cette note allait jusqu'à articuler le reproche de connivence coupable; elle exposait que les préjudices éprouvés par la marine américaine avaient eu pour cause principale la précipitation, sans précédent dans l'histoire, que l'Angleterre avait mise à reconnaître aux sudistes le caractère de belligérants, puisque, privés de cette reconnaissance, les rebelles auraient été dans l'impossibilité d'armer cette multitude de corsaires qui avaient forcé le pavillon des États-Unis du Nord à abandonner le parcours de la haute mer.

$2270. Lord Russell répondit le 4 mai, en repoussant les accusations dirigées contre le ministère dont il faisait partie, et en discutant longuement la question de l'armement et de l'équipement de l'Alabama, du Shenandoah et de la Florida. Il s'efforça de prouver que le gouvernement de la reine avait fait tout ce qui lui était possible pour éviter ces infractions au foreign enlistment act; mais il soutint qu'il ne pouvait être responsable de faits consommés hors du territoire britannique, quand même les navires qui les avaient commis fussent sortis de ports anglais. A l'appui de son raisonnement il se prévalut de la conduite tenue par les États-Unis eux-mêmes lors de la guerre de l'émancipation des colonies espagnoles, pour montrer qu'une nation n'est tenue à aucune indemnité lorsqu'elle a agi conformément aux lois qui la régissent et que les infractions à la neutralité, ainsi que les préjudices qui ont pu en être la suite, ont été commises à son insu et sans sa participation.

Réponse de Lord Russell.

de

M. Adams.

$ 2271. Seize jours après, Lord Russell recevait de M. Adams Seconde note une nouvelle note, dans laquelle le ministre américain maintenait ses appréciations. Abordant ensuite les débats relatifs à l'équipement et à la sortie des navires, il établissait qu'en ce qui concernait spécialement l'Alabama il y avait eu partialité et négligence incontestables de la part du gouvernement anglais, ce gouvernement ayant refusé d'apporter à son acte de neutralité les modifications sollicitées par les États-Unis pour le rendre plus efficace. Quant à la conduite tenue à d'autres époques envers l'Espagne et le Portugal, M. Adams faisait remarquer qu'outre l'empressement qu'il avait mis à déférer aux réclamations du Portugal, le gouvernement des États-Unis avait invariablement pour

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