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Le mémoire des

Brésil. Chaque gouvernement était représenté par un agent muni de pleins pouvoirs M. J.-C. Bancroft Davis, secrétaire pour les États-Unis de la commission mixte de Washington, et lors de sa nomination sous-secrétaire d'État, représentait les États-Unis; le gouvernement anglais était représenté par Lord Tenterden, secrétaire pour l'Angleterre de la commission mixte et assistant soussecrétaire d'État. En outre chaque partie était assistée d'un conseil légal, composé d'un ou de plusieurs jurisconsultes: Sir Roundell Palmer, avocat général sous l'administration de Lord Palmerston, était le seul conseiller légal du gouvernement anglais; le gouvernement américain en avait trois M. Caleb Cushing, ancien avocat général des États-Unis ; M. William Ewarts, aussi ancien avocat général, et M. Morrison Waite. A la conférence d'ouverture du tribunal, qui eut lieu à Genève le 15 décembre 1871, chaque agent présenta le mémoire de son gouvernement.

2283. Le mémoire des États-Unis avait été rédigé par Etats-Unis. M. Bancroft Davis. Les réclamations présentées par les États-Unis y sont classées sous différents chefs, qui peuvent être ramenés à deux grandes catégories, savoir: I. Réclamations pour pertes directes, provenant de la destruction de navires et de leurs cargaisons par les croiseurs insurgés, lesquelles se subdivisent: 1° ent réclamations pour destruction de vaisseaux et de propriétés du gouvernement des États-Unis; 2o en réclamations pour la destruction de navires et de propriétés sous pavillon des États-Unis ; 3° en réclamations pour dommages ou préjudices occasionnés aux personnes par la destruction de chaque catégorie de vaisseaux. II. Réclamations pour pertes ou dommages indirects, comprenant : dépenses faites par la nation pour poursuivre les croiseurs, pertes éprouvées par suite du transfert sous pavillon anglais de la marine marchande des États-Unis, élévation du prix des assurances, prolongation de la guerre et augmentation considérable des frais causés par elle pour arriver à dompter la rébellion. Sur tous ces points les États-Unis présentent des preuves propres à mettre le tribunal en mesure de reconnaître et de déterminer le total auquel s'élèvent les pertes et les dommages qui font l'objet de leurs plaintes ; mais à ces totaux ils demandent que soit ajouté l'intérêt de 7 p. 100 jusqu'au jour où les sommes qui seront allouées seront payables aux termes du traité, c'est-à-dire douze mois à partir du jour de la décision; de plus ils expriment l'espoir que le tribunal allouera une somme en bloc, que l'Angleterre devra leur payer.

A l'appui de ces réclamations le mémoire des États-Unis reproduit en grande partie les griefs et les arguments que M. Adams et après lui M. Reverdy Johnson avaient développés dans leurs pourparlers et leur correspondance avec le Foreign office anglais. En résumé le mémoire américain s'attache à démontrer que l'Angleterre a témoigné, depuis le jour où éclata l'insurrection du Sud jusqu'à celui où elle fut réprimée, une malveillance étudiée à l'égard des États-Unis. Il en voit la preuve manifeste, entre autres, dans la précipitation avec laquelle le gouvernement britannique a reconnu aux rebelles le droit de belligérants par sa proclamation du 13 mai 1861, « la veille du jour où le nouveau représentant des États-Unis devait débarquer à Londres, et précisément au moment où les insurgés n'existaient pas encore comme puissance navale et ne possédaient ni marine ni tribunaux de prises ». « Les États-Unis, dit le mémoire, n'entendent pas contester le droit souverain que l'Angleterre avait de déterminer par elle-même si les circonstances justifiaient cette reconnaissance, et l'exercice qui a été fait de ce droit ne donne pas lieu à une demande d'indemnités; mais là ne se sont pas bornés les torts de l'Angleterre. Celle-ci en effet a manqué aux obligations de la neutralité en général, et en particulier à celles que lui imposaient sa propre lẻgislation et le caractère de ses relations avec les États-Unis. Elle a donc mis ces derniers dans le cas de réclamer une réparation des pertes subies par la nation et ses concitoyens. Or le tribunal trouvera dans les preuves fournies par le gouvernement des ÉtatsUnis tous les éléments nécessaires pour estimer le chiffre des dommages.» Enfin le mémoire oppose comme contraste à la conduite de l'Angleterre celle de tous les autres gouvernements qui ont imposé la neutralité à leurs sujets, et notamment du gouvernement français, qui avait interdit formellement l'armement dans ses ports de navires pour le compte des Confédérés et empêché la consommation de marchés ayant reçu déjà un commencement d'exécution.

de la GrandeBretagne.

§ 2284. Le mémoire anglais, dû à la collaboration de lord Ha- Le mémoire therley, président de la haute cour de chancellerie, de lord Tenterden et de M. Montague Bernard, professeur de droit international à Oxford, reproduisait, de son côté, l'argumentation précédemment développée par lord Russell et lord Stanley sur les droits et les devoirs des belligérants et des neutres, sur la législation intérieure de la Grande-Bretagne, et particulièrement sur la portée de l'acte du parlement relatif aux enrôlements étrangers. Il pré

Opinion de

l'auteur

claims.

sur

sentait ensuite une analyse des faits et de la correspondance concernant chaque navire en cause, dans le but de démontrer que le gouvernement anglais n'avait pas enfreint les lois de la plus stricte neutralité et qu'on ne saurait imputer à sa négligence ou à sa mauvaise foi les infractions commises dans ses ports par des bâtiments confédérés. De l'ensemble de cet exposé il résulte que pendant les quatre années qu'a duré la guerre civile aux États-Unis aucun bâtiment n'a été expédié d'un port britannique pour servir à des usages de guerre; qu'en fait de vaisseaux adaptés par leur construction à ces usages, deux seulement, le Florida et l'Alabama, ont été livrés dans les conditions susénoncées; encore n'y a-t-il eu qu'un de ces bâtiments qui soit parvenu à s'échapper et à passer dans les mains du gouvernement confédéré sans avoir subi de saisie ou de jugement préalable. La conclusion du mémoire anglais est que non seulement le gouvernement de la reine Victoria a fait tous ses efforts, exercé toute sa sollicitude pour remplir les devoirs que lui prescrivait le droit des gens, mais encore que pour empêcher dans le Royaume Uni tout navire construit ou armé en vue de la guerre de passer entre les mains d'un belligérant il s'est imposé spontanément de lourdes charges pécuniaires, sans compter les frais que lui ont occasionnés les procès soutenus devant les tribunaux à la suite des saisies-arrêts ordonnées par ses soins *.

§ 2285. Tels étaient, sans nous occuper des pièces justificatives les Alabama accessoires, les éléments constitutifs de la grave affaire dite de l'Alabama, sur laquelle le tribunal arbitral de Genève était appelé à se prononcer. Les arbitres devaient statuer à la fois sur une question de principe: l'étendue des devoirs que l'état de guerre impose au neutre; sur une, question de droit: l'obligation éventuelle de réparer par des indemnités pécuniaires les dommages occasionnés par l'oubli ou par la violation des règles de la neutralité; enfin sur une appréciation de faits la nature et l'étendue des pertes causées par le neutre au belligérant.

La théorie générale de la neutralité que nous avons exposée au commencement de ce chapitre, et les développements particuliers dans lesquels nous sommes entrés à propos de l'affaire de l'Ala

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Beaman, pp. 308 et seq.; The case of the United States to be laid before the tribunal of arbitration, etc.; Correspondence concerning claims against Great Britain; Mémoire de la Grande-Bretagne, dans le Journal des Débats, février et mars 1872.

bama font ressortir à nos yeux que l'Angleterre avait donné aux États-Unis un grief sérieux par la marche qu'elle avait suivie à l'égard des corsaires au début de la guerre de sécession. La réalité du grief une fois admise et les conséquences matérielles qui en étaient résultées au préjudice de la marine marchande des ÉtatsUnis ne pouvant être contestées, nous n'hésitons pas à penser que la Grande-Bretagne était tenue d'indemniser les parties que l'oubli de ses devoirs ou la négligence de ses autorités avait lésées dans leurs intérêts.

Mais ici surgit la double question de savoir à quelles personnes des indemnités pouvaient être dues, et quelle était la nature des pertes à réparer.

Le mémoire américain confondait deux choses absolument distinctes le grief national et la lésion des intérêts privés; c'est par suite de cette confusion qu'il était arrivé à formuler un chiffre d'indemnités dont l'élévation a, non sans raison, vivement ému l'opinion publique en Angleterre et suspendu les travaux du tribunal arbitral de Genève.

Sans revenir sur les détails qui précèdent et sans entrer sur une appréciation d'espèce peu conciliable avec le caractère et la nature d'un traité de droit international, il nous suffira de rappeler les principes généralement suivis et dont n'ont pas suffisamment tenu compte les publicistes qui ont représenté le cabinet de Washington.

Constatons tout d'abord que dans les relations internationales les griefs résultant des actes et de la conduite d'un gouvernement à l'égard d'un autre, ne se traduisent d'ordinaire en demandes d'indemnités que suivant la mesure du préjudice occasionné à des particuliers. Sauf les cas d'attaques dirigées contre son domaine ou d'affronts impliquant des casus belli, le souverain, l'État, en tant qu'il représente la nation tout entière, se considère comme un être moral qui s'offense avec raison des atteintes portées à son prestige, aux égards qui lui sont dus; mais, placé au dessus de la sphère des préoccupations matérielles, il ne songe qu'à sauvegarder son honneur et à réclamer des satisfactions d'un certain ordre, en dehors de tout intérêt d'argent. A ce point de vue, nous sommes d'avis que pour avoir négligé ou laissé violer sur son territoire les devoirs stricts de la neutralité l'Angleterre devait au gouvernement des États-Unis une réparation diplomatique et internationale, mais non, suivant l'expression du droit civil privé, des

dommages et intérêts à fixer par sentence arbitrale. Il n'est pas à notre connaissance qu'à aucune époque, dans aucun pays, et pour des espèces analogues à celle de l'Alabama, la solution du conflit de gouvernement à gouvernement se soit résolue par l'allocation d'indemnités pécuniaires versées directement et exclusivement entre les mains de la puissance lésée ou outragée. S'il fallait des exemples à l'appui de notre proposition, il nous suffirait de rappeler ce qui s'est passé pour les réclamations de divers gouvernements européens contre certaines Républiques de l'Amérique du Sud, et le réglement de compte entre les États-Unis et la France pour les prises faites sous le premier Empire, consacré par le traité du 4 juillet 1831 (1) et connu sous la dénomination de traité des vingt-cinq millions. En résumé nous considérons done comme absolument contraires aux vrais principes du droit international et à la pratique invariablement suivie entre nations civilisées les dédommagements revendiqués par le cabinet de Washington au nom du trésor fédéral à titre de pertes indirectes, soit pour frais d'armement des navires de guerre lancés à la poursuite des corsaires confédérés, soit pour dépenses résultant de la prolongation de la guerre sur terre.

Maintenant quelles sont les pertes essuyées par des particuliers dont la réparation puisse être mise à la charge de l'Angleterre ? Le mémoire américain, sans poser des chiffres précis, en énumère cinq espèces différentes: 1° la valeur des prises faites (navires et cargaisons); 2o le montant des primes d'assurances contre les risques de guerre; 5° le changement de pavillon par ventes effectives ou simulées des navires américains; 4° l'immobilisation de capitaux ou le manque à gagner; enfin 5o l'intérêt à 7 p. 100 sur le chiffre des indemnités allouées.

Les deux premiers chefs de réclamation, sauf appréciation des sommes revendiquées par les ayant droit, ne sauraient être contestés et rentrent dans ce qu'on peut appeler les pertes directes. Le point de départ des déprédations imputables aux corsaires sudistes sortis des ports anglais une fois admis, il est clair que la valeur des prises faites doit être compensée au profit de ceux à qui appartenaient les navires et les chargements capturés ou incendiés en mer.

La question des intérêts dus jusqu'au jour du paiement des in

(1) De Clercq, t. IV, p. 111 ; Elliot, v. I, p. 525.

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