Images de page
PDF
ePub

demnités arbitrées ne semble pas davantage pouvoir soulever de doute, le quantum du taux à fixer prêtant seul à discussion. En cette matière et d'après les principes généralement suivis, l'intérêt alloué se règle d'ordinaire selon le chiffre de l'intérêt commercial admis légalement dans le pays débiteur, lequel dépasse rarement 6 p. 100.

Quant au préjudice qu'aurait occasionné la résolution prise par certains armateurs américains, pour échapper aux corsaires confédérés, de neutraliser leurs navires en les vendant fictivement ou non à des neutres, c'est là un genre de perte indirecte que nous ne croyons pas de nature à fournir matière à réclamation de la part des États-Unis contre l'Angleterre. D'une part, en effet, il faudrait établir que tous ces changements de pavillon ont eu lieu bona fide et ont été commandés d'une manière absolue non par les circonstances mêmes de la guerre de sécession, mais par le seul fait de l'existence des corsaires sortis des ports du Royaume Uni; d'autre part, il serait indispensable de justifier que toutes les ventes de navires ont été effectuées à titre onéreux, par conséquent sans profit pour les propriétaires.

$ 2286. Enfin, quant à la perte indirecte résultant de la perturbation générale survenue dans les transactions du commerce américain, en d'autres termes du manque à gagner, il n'est pas un publiciste qui en principe ne se refuse à voir là matière à indemnité pécuniaire de gouvernement à gouvernement. Aussi bien d'après les règles du droit des gens que d'après celles du droit civil, la réparation du préjudice éprouvé ne saurait équitablement dépasser les limites de la perte directe. Qui ne voit en effet qu'une fois engagé sur le terrain des hypothèses de ce que la victime violemment ou injustement dépossédée aurait pu, certaines combinaisons étant données, faire de son bien en en tirant tel ou tel parti, on se place en plein arbitraire, vu l'impossibilité de tenir compte des circonstances contraires ou défavorables qui, en matière commerciale surtout, peuvent renverser les projets et les calculs les plus habilement combinés. Ici encore tous les précédents consacrés entre les grandes puissances du monde civilisé condamnent d'une manière absolue tout projet, toute idée de poursuivre par la voie internationale le paiement d'indemnités pour des bénéfices que des particuliers auraient été hypothétiquement empêchés de réaliser à la suite de dénis de justice, d'actes rentrant dans le domaine de l'administration intérieure d'un pays, de vio

Pertes

indirectes.

Le tribunal arbitral déci

statuer sur les

rectes.

lation de neutralité, de troubles civils, de brigandage, même de faits de guerre proprement dits.

§ 2287. Les principes que nous venons d'émettre au sujet des perde de ne pas tes indirectes, et que nous avions déjà exposés dans notre deuxième pertes indi- édition, semblent avoir guidé la conduite des arbitres, qui, avant de procéder à l'examen final du litige, ont jugé à propos de déclarer « que, après une étude attentive de tout ce qui a été avancé de la part du gouvernement des États-Unis en faveur de ces réclamations, ils sont arrivés, tous et chacun en particulier, à la conclusion que ces réclamations, d'après les principes du droit international applicables en pareil cas, ne constituent pas une base suffisante pour fonder un jugement de compensation ou un calcul d'indemnités entre nations, et que, d'après ces mêmes principes, les dites réclamations devraient être exclues de la prise en considération par le tribunal dans son jugement, quand même il n'y eût pas eu de désaccord entre les deux gouvernements relativement à la compétence du tribunal. »

En communiquant cette décision aux agents respectifs, le président du tribunal fit observer qu'il désirait que cette notification fût pour le moment considérée comme confidentielle, c'est-à-dire remise à la discrétion des deux gouvernements.

Le 25 juin l'agent des États-Unis fit connaître la détermination de son gouvernement conçue dans ces termes :

[ocr errors]

Nous ne désirons aucune compensation pécuniaire; mais nous demandons l'opinion du tribunal sur la responsabilité d'un neutre dans les affaires de cette nature. Le président accepte donc l'avis du conseil tel qu'il est donné ci-dessus, et consent qu'on annonce au tribunal que sa déclaration est acceptée comme établissant sa manière de juger l'importante question de droit public sur laquelle le président avait cru devoir rechercher l'expression de son opinion. En conséquence le président regarde les réclamations présentées dans le mémoire des États-Unis pour les pertes résultant du transfert du commerce maritime américain au pavillon britannique, pour le renchérissement des primes d'assurance, pour la prolongation de la guerre et la somme considérable qu'elle a ajoutée aux dépenses encourues pour la répression de la rébellion, comme jugées et réglées; elles ne seront pas plus longtemps soumises au tribunal, qui n'aura pas à les prendre en considération en rendant sa décision. »>

Deux jours après l'agent britannique annonçait également l'acquiescement de son gouvernement à cet arrangement. Dès lors la

décision que le tribunal arbitral avait à rendre n'avait donc plus pour objet que les pertes directes, c'est-à-dire effectives résultant réellement de la non-observation ou de la violation des devoirs de la neutralité.

S2288. Le 14 septembre les arbitres rendirent leur sentence définitive, par laquelle une somme de 15,500,000 dollars en or, avec intérêts, devait être payée par la Grande-Bretagne aux États

Unis.

Pour arriver à cette décision les arbitres s'étaient renfermés dans les limites des trois règles énoncées à l'article VI du traité du 8 mai 1871, sans exclure toutefois les autres principes du droit des gens non incompatibles avec ces règles et applicables dans l'espèce.

Dans leur opinion, en ce qui concerne les obligations imposées aux neutres par les trois règles, « les dues diligences, dont il est parlé dans la première et la troisième, doivent être employées par les gouvernements neutres en raison directe des dangers qui pourraient résulter pour l'un ou l'autre des belligérants du manque d'observance des devoirs de la neutralité de leur part..... »

Quant aux approvisionnements de charbon, « pour qu'on puisse leur attribuer un caractère contraire à la deuxième règle concernant l'interdiction pour un port ou pour des eaux neutres de servir de base d'opérations navales pour un belligérant, il faut que ces approvisionnements se rattachent à des circonstances particulières de temps, de personnes et de lieux qui concourent pour leur attribuer ce caractère. »

Rétorquant les principaux arguments de la défense du gouvernement anglais, les arbitres considèrent que « les conséquences de la violation de neutralité commise par la construction, l'équipement et l'armement d'un navire ne s'effacent point par le fait d'une commission que le belligérant au profit duquel la neutralité a été violée aurait par la suite accordée à ce navire; qu'il est en effet inadmissible que la cause finale du délit devienne le motif de l'absolution du délinquant, et que de l'œuvre de la fraude accomplie surgisse le moyen d'innocenter le fraudeur.... »

Ils regardent « le privilége d'exterritorialité accordé aux navires de guerre non comme un droit absolu, mais seulement comme un procédé de courtoisie et de déférence entre les différentes nations » ; par conséquent ce privilége« ne saurait être invoqué pour couvrir des actions contraires à la neutralité...» Enfin, selon eux, « l'absence

III.

28

Décision définitive du

tribunal arbitral.

Signature de la décision.

Un arbitre dissident.

d'un avis préalable ne peut être envisagée comme un manque aux égards commandés par le droit des gens là où le navire porte avec lui sa propre condamnation. >>

Après avoir insisté sur ce point que « les circonstances au milieu desquelles se produisirent les faits qui formaient le sujet de la cause étaient de nature à éveiller toute la sollicitude du gouvernement de Sa Majesté Britannique touchant les droits et les devoirs de la neutralité proclamée par le gouvernement de la reine le 15 mai 1865», le tribunal, faisant application des doctrines ci-dessus exposées à chacun des corsaires confédérés incriminés en particulier, a reconnu que l'Angleterre avait manqué par omission ou négligence aux devoirs prescrits par l'une ou l'autre des trois règles ou par toutes à la fois dans le cas de l'Alabama, de la Florida et du Shenandoah, ainsi que de leurs tenders, et s'est prononcé pour l'allocation d'une somme en bloc au profit des États-Unis à titre d'indemnité pour toutes les réclamations déférées à son examen (1). $ 2289. Cette décision n'était signée que de quatre des arbitres : M. le comte Frédéric Sclopis, l'arbitre nommé par l'Italie et président du tribunal arbitral; M. Staempfli, l'arbitre choisi par le président de la Confédération Suisse; M. le vicomte d'Itajuba, celui désigné par l'empereur du Brésil, et M. C. F. Adams, nommé par le président des États-Unis. Quant à l'arbitre qu'avait choisi la reine d'Angleterre, Sir Alexandre Cockburn, au lieu de joindre sa signature à celles de ses collègues, il avait déposé un long mémoire, dans lequel il développait les « raisons qui l'ont empêché d'adhérer à la décision». Un des principaux arguments mis en avant par le dissident consiste dans les entraves apportées à la liberté de jugement des arbitres par les règles que leur avait imposées le traité de Washington.

(1) Notre seconde édition avait déjà paru lorsque le tribunal arbitral de Genève rendit sa décision; quelque temps après le président de ce tribunal, le comte Sclopis, nous écrivait : « Je ne puis que me réjouir en voyant dans votre livre un examen préalable des points capitaux que nous avions à juger, qui s'est trouvé parfaitement d'accord avec notre sentence. Il me paraît qu'à tout prendre, notre jugement a été bien compris par la partie sage et raisonnable des deux nations auxquelles il se réfère. De notre côté, nous avons la conviction de ne pas nous être départis des règles de la justice et de l'équité. Maintenant il nous reste encore à désirer que les fondements sur lesquels se trouve assise notre décision soient trouvés bons aussi par les autres nations et puissent servir comme de point de ralliement aux opinions favorables à quelque progrès dans le droit international. Il faudrait pour cela faire agréer en droit public le système des arbitrages.... Vous qui avez tracé d'avance la ligne sur laquelle, après un mûr examen des faits les plus compliqués, nous nous sommes rencontrés, prêchez dans ce sens, et vous rendrez service à l'humanité. » (Voir Dalloz, 9o cahier, 1872; Revue de droit int., 1873, p. 296.)

La France et les Etats

la guerre de

§ 2290. La France n'a pas échappé non plus aux difficultés que a guerre civile des États-Unis suscita entre ceux-ci et plusieurs Unis pendant gouvernements; mais, par sa prudence et en se renfermant dans sécession. l'observation d'une stricte neutralité, elle sut les aplanir et éviter des complications du genre de celles qui compromirent si gravement l'Angleterre.

§ 2291. Le 16 avril 1863 la maison A. H... de Bordeaux s'engagea envers un agent du gouvernement de Richmond à livrer quatre navires disposés de manière à porter de dix à douze canons. Il fut convenu postérieurement que deux de ces navires seraient construits par la maison V. H... de Nantes. Les constructeurs avaient besoin de l'autorisation du gouvernement. Pour l'obtenir ils prétendirent que les navires étaient destinés à faire le service de messageries entre Shanghai, Yeddo et San Francisco par le détroit de Van Diemen, mais qu'ils seraient armés de manière à pouvoir être vendus à la Chine ou au Japon, si l'occasion s'en présentait. Le gouvernement accorda l'autorisation. Le 16 juillet suivant la maison A. H. s'engagea à livrer deux autres navires dans un délai de six mois. Informé de ces faits, le ministre plénipotentiaire du gouvernement de Washington les signala à l'attention de M. Drouyn de Lhuys. Des mesures immédiates furent prises par le gouvernement français, et le 22 octobre le ministre des affaires étrangères répondit : « M. le ministre de la marine vient de notifier à M. V. H... le retrait de l'autorisation qu'il avait obtenue pour l'armement de quatre navires en construction à Nantes et à Bordeaux. Il en a été également donné avis à M. A. H... dont l'attention a été en même temps appelée sur la responsabilité qu'il pouvait encourir par des actes en opposition avec la déclaration de neutralité du 10 juin 1861. » Cet avertissement suffit. Des six navires commandés à MM. A. H... et V. H... deux furent vendus au Pérou et trois à la Prusse; le sixième, il est vrai, parvint en la possession des confédérés, mais par un détour, dont les constructeurs pouvaient contester l'illégalité et qu'en tout cas le gouvernement français n'aurait pas pu prévenir.

§ 2292. Dans le courant de la même année (1863) les Confédérés avaient fait acheter en Angleterre un navire réformé, connu depuis sous le nom de Rappahannock. Pendant qu'on le réparait, le bruit courut que, sur les représentations du ministre plénipotentiaire américain, il allait être saisi par le gouvernement anglais. Le Rappahannock s'empressa de prendre le large et de gagner Calais, où il entra en

Cas d'un armateur de Bordeaux, s'engageant à livrer des navires au gouvernement

confédéré.

Cas du Rappahan

nock.

« PrécédentContinuer »