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texte qu'aucune forteresse ou batterie ne protégeait la côte où la capture s'était effectuée.

Capture du navire Anna

$ 2355. L'Angleterre s'est conformée aux mêmes principes, en faisant restituer aux ayant droit le navire Anna, qu'un croiseur en 1805. anglais avait capturé en 1805 dans la zone juridictionnelle des ÉtatsUnis; elle ne craignit même pas d'accompagner cet acte de justice d'une ample satisfaction écrite pour l'atteinte morale portée à l'inviolabilité des eaux territoriales.

Chesapeake

en 1863.

§ 2356. La guerre de la sécession aux États-Unis a fait surgir Capture du en 1863 une affaire de prise assez remarquable, puisqu'elle impliquait à la fois violation de territoire, atteinte au pavillon, piraterie et extradition des complices de la capture. Il s'agit du vapeur américain Chesapeake, expédié de New York avec des marchandises à fret pour la destination apparente de Portland. A peine venait-il de quitter Hudson qu'il fut accosté par seize individus qui se présentèrent en qualité de passagers. Mais, une fois arrivés à bord, sous la conduite d'un nommé Braine, ces individus s'emparèrent de vive force du Chesapeake, tuèrent un des officiers, en blessèrent deux autres, et, s'étant saisis du capitaine, le forcèrent à descendre dans un canot avec la majeure partie de son équipage pour gagner le port de Saint Jean (Nouveau Brunswick). Devenus ainsi maîtres du navire et de sa manoeuvre, les révoltés se dirigèrent sur divers points de la Nouvelle Écosse, descendirent à terre, déclarèrent que le bâtiment s'appelait la Rétribution et appartenait à la marine de guerre des Confédérés du Sud; la cargaison fut débarquée, et l'on renouvela les approvisionnements de vivres et de charbon. Ces faits ayant éveillé l'attention, les autorités anglaises s'opposèrent à la continuation des opérations commencées, et le Chesapeake fut contraint de reprendre la mer.

Sur ces entrefaites les propriétaires de la cargaison dénoncèrent à Washington la spoliation dont ils étaient victimes, et le gouvernement des États-Unis, mis en demeure d'intervenir, réclama les bons offices du ministre d'Angleterre pour que les autorités de la Nouvelle Écosse détinssent le Chesapeake au retour de sa croisière et procédassent à l'emprisonnement des pirates qui s'en étaient emparés jusqu'au moment où, conformément aux dispositions du traité de 1842 (1), on pourrait solliciter leur extradition.

(1) Herstlet, v. VI, p. 853; State papers, v. XXX, p. 360; Martens-Murhard, t. III, P. 456.

III.

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En même temps qu'il faisait cette démarche, le cabinet de Washington expédiait à la recherche des coupables plusieurs navires de guerre, dont l'un finit par rencontrer le Chesapeake en vue de Samboro, abandonné par tous les pirates moins le nommé Wade et n'ayant plus à bord que les deux mécaniciens, qui étaient sujets anglais, et quelques hommes de son ancien équipage; ceux-ci sans résistance aucune remirent le navire entre les mains du commandant du croiseur fédéral. Le vapeur nord-américain le Dacotah, capitaine Clary, étant arrivé au moment où s'opérait la capture, son commandant prit la haute direction de l'affaire et conduisit le bâtiment à Halifax, où il informa le gouverneur de la colonie des circonstances dans lesquelles la capture avait été effectuée. Il offrit en même temps de mettre le Chesapeake, le pirate Wade et les deux prisonniers anglais à la disposition des autorités compé ́tentes, jusqu'à ce que les deux gouvernements eussent pu se concerter sur les mesures à prendre ultérieurement.

D'après le rapport qu'il reçut du commandant du Dacotah sur cette affaire si singulièrement compliquée, le cabinet de Washington proposa au ministre d'Angleterre de consentir que le navire et les coupables fussent amenés aux États-Unis, à charge de les mettre de nouveau à la disposition des tribunaux britanniques, si ceux-ci en revendiquaient le jugement. Cette proposition fut repoussée par les autorités de la Nouvelle Écosse, qui, se fondant sur ce que la capture du navire, l'emprisonnement de deux sujets anglais et surtout l'arrestation du pirate Wade constituaient une violation flagrante de la souveraineté nationale, exigèrent la relaxation du Chesapeake, la mise en liberté de tous les prisonniers, et enfin, à titre de réparation, le désaveu formel de la part du gouvernement américain de la conduite tenue par le Dacotah. Le navire fut en effet relâché, et l'on remit ses prisonniers entre les mains du shériff du comté. Aussitôt nouvelle complication le consul des États-Unis intervint pour réclamer l'extradition des délinquants; mais le sheriff, sans attendre l'arrivée de l'acte d'écrou, avait fait relâcher les détenus, qui, secondés par des personnes influentes de la ville, étaient parvenus à quitter le pays sains et saufs.

Le cabinet de Washington fut tout d'abord tenté de voir dans ce dernier fait un nouveau sujet de récrimination contre les autorités d'Halifax; mais, mieux avisé, M. Seward se décida au mois de janvier 1864 à prévenir le ministre d'Angleterre à Washington que le président Lincoln considérait la capture du Chesapeake et

de ses pirates comme un acte commis sous l'influence d'un zèle patriotique intrinsèquement louable, quoique injustifiable au point de vue légal, et que par suite il ne pouvait s'abstenir de le désapprouver. Lord John Russell répondit par une note datée du 5 février 1864 que le gouvernement de la reine se tenait pour satisfait par la déclaration si explicite adressée à Lord Lyons, et l'affaire se termina en fin de compte par une sentence judiciaire ordonnant la restitution du navire à ses légitimes propriétaires *.

S2357. Les atteintes portées à l'inviolabilité des territoires neutres ont suscité de nombreux conflits, qui ont fourni aux tribunaux de prises l'occasion de consacrer une jurisprudence conforme aux principes et aux opinions soutenus par les publicistes les plus éminents. Nous en citerons ici quelques exemples.

§ 2558. En 1759 une escadre anglaise, composée de seize bâtiments de haut bord, attaqua une escadre française, qui n'en comptait que quatre, et qui, ne pouvant résister à des forces si supérieures, se dirigea sur les côtes du Portugal, où elle s'engrava volontairement. L'escadre anglaise n'interrompit pas sa poursuite; affrontant le feu des batteries portugaises, elle incendia deux des navires échoués et s'empara des deux autres, qu'elle emmena à la remorque. Ce procédé inqualifiable provoqua une vive correspondance entre les cours de Lisbonne et de Londres. Le marquis de Pombal mit tant de chaleur à soutenir la justice de sa cause qu'il finit par obtenir que la Grande-Bretagne chargeât un envoyé extraordinaire de donner au Portugal les satisfactions qui lui étaient dues pour l'outrageante violation de son territoire. Comme preuve de l'énergie du marquis de Pombal dans cette question, nous citerons ce passage d'une de ses notes au chef du Foreign office anglais « Je sais que votre gouvernement a pris une grande prépondérance sur le nôtre; mais il est temps que cela finisse. Si mes prédécesseurs ont eu la faiblesse de lui accorder tout ce qu'il a

Bynkershoek, Quæst., lib. 1, cap. 8; Hautefeuille, Des droits, t. I, pp. 317, 318; Klüber, Droit, § 285; Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 3, § 10; Bello, pte. 2, cap. 7, § 6; Ortolan, Règles, t. II, pp. 287, 288; Pistoye et Duverdy, Traité, t. I, tit. 2, sect. 2; Dana, Elem by Wheaton, note 207; Phillimore, Com., v. III, §§ 154 et seq.; Twiss, War, § 217; Kent, Com., v. I, pp 121 et seq.; Hubner, De la saisie des bâtiments neutres; Halleck, ch. 22, §§ 6, 21; Bluntschli, § 786; Fiore, t. II, pp. 399 et seq.; Azuni, Droit marit., pte. 1, ch. 4, art. 1; Valin, Traité, ch. 4, § 3, no 4, art. 1; Abreu, Tratado, pte. 1, cap. 4, § 15; Riquelme, lib. 1, tit. 2, cap. 17; Robinson, Adm. reports, v. V, p. 385; U. S. dip. correspondence, 1864, pte. 1, pp. 46, 72, 77, 121, 196, 431; pte. 2, pp. 401-407, 468, 474, 482-490, 511, 538, 562, 650.

du

1814. Destruction

nord-améri

demandé, moi, je ne lui accorderai que ce qui lui est dù. La satisfaction que j'exige est conforme au droit des gens et ne saurait être refusée. Une nation qui se prête à ce qui est juste donne une grande opinion d'elle-même, et le pouvoir des États dépend toujours de cette opinion. » Toutefois le gouvernement britannique ne restitua pas les navires capturés, et, malgré les pressantes réclamations du représentant de la France en Portugal, il refusa toute compensation pécuniaire. Ce refus, on le sait, fut une des causes de la guerre de 1762.

§ 2359. Le 26 septembre 1814 un corsaire des États-Unis, le corsaire Général Armstrong, capitaine Reid, relâcha dans le port de Fayal, cain Général où il fut rejoint quelques heures après par une escadre anglaise dans le port commandée par le commodore Lloyd. Pendant la nuit plusieurs

Armstrong

de Fayal.

chaloupes de l'escadre, sous les ordres du sous-lieutenant Fawcett, s'étant approchées du corsaire, l'équipage de celui-ci, après les avoir sommées de s'éloigner, fit feu incontinent, tua et blessa plusieurs marins anglais, sans que l'équipage des chaloupes tentât immédiatement de repousser la force par la force. Le lendemain un des vaisseaux du commodore Lloyd vint se placer auprès du Général Armstrong pour le canonner ce qui détermina le capitaine Reid, suivi de son équipage, à abandonner son navire et à le détruire.

Justement ému de ce qui lui était représenté comme un défaut de protection et un manque absolu aux devoirs de l'hospitalité, le gouvernement américain formula auprès de la cour de Lisbonne une demande de réparation et exigea une large indemnité pécuniaire au profit des armateurs du Général Armstrong.

Le Portugal allégua, d'une part, que le capitaine Reid n'avait eu recours à la protection des autorités locales qu'après que le sang eût coulé par son fait, et que, le feu ayant cessé, le corsaire était venu jeter l'ancre sous le château; d'autre part, que le gouverneur de la ville était intervenu à plusieurs reprises auprès du commodore Llyod afin d'obtenir la cessation des hostilités et se plaindre de la violation du territoire neutre; enfin qu'il s'était efficacement opposé à ce que des matelots américains qui étaient à terre se rendissent à bord de l'Armstrong pour prolonger une lutte contraire à la loi des nations, et que d'ailleurs la faiblesse de la garnison de l'ile et le délabrement de l'artillerie des forts rendaient impossible toute intervention armée.

Les réclamations diplomatiques poursuivies à ce sujet pendant

plusieurs années n'ayant produit aucun résultat, le Portugal et les États-Unis convinrent enfin en 1851 de déférer la question de droit à l'arbitrage du président de la République Française. La sentence, qui fut rendue le 30 novembre 1852 (1), repoussa les plaintes et les réclamations du gouvernement américain, en se fondant « sur ce que le capitaine Reid, n'ayant pas recouru dès le principe à l'intervention neutre et ayant employé la voie des armes pour repousser une agression injuste dont il prétendait être l'objet, avait méconnu la neutralité du territoire du souverain étranger et dégagé par conséquent ce souverain de l'obligation où il se trouvait de lui assurer protection par toute autre voie que celle d'une intervention pacifique; que dès lors le gouvernement portugais ne pouvait être responsable des résultats d'une collision qui avait eu lieu au mépris de ses droits de souveraineté, en violation de la neutralité de son territoire et sans que les officiers locaux eussent été requis en temps utile et mis en demeure d'accorder aide et protection.

1838. Capture

du vapeur Carolina.

$ 2560. En 1858 les insurgés du Canada avaient employé un navire à vapeur appelé Carolina pour transporter des munitions et destruction de guerre et des volontaires de la frontière de l'État de New York sur le territoire de Navy Island, appartenant à la Grande-Bretagne. Le commandant anglais chargé d'en faire la capture le rencontra sur un point qui relevait de la juridiction canadienne; mais il ne put le rejoindre que dans les eaux des États-Unis; néanmoins il l'attaqua sans hésiter et le coula à fond. Sa conduite fut pleinement approuvée par le gouvernement anglais, tandis que le cabinet de Washington protesta contre la violation de son territoire, en disant qu'il lui importait peu de savoir si l'acte était ou non légal, et que s'il était possible de faire abstraction de la réparation pour le dommage causé, il n'en était pas de même de la satisfaction due en raison de l'offense faite au territoire.

Le secrétaire d'État de l'Union, M. Webster, soutint à cette occasion l'immunité absolue du territoire neutre contre l'agression de tout belligérant quelconque, sauf les nécessités de la défense propre dans un cas d'urgence. Il exigea des ministres anglais qu'ils justifiassent en due forme que les autorités canadiennes n'avaient pas abusé de leurs pouvoirs ou ne les avaient outre-passés que devant des exigences de force majeure tellement graves et pressantes que le temps leur avait manqué pour délibérer et adopter d'autres

(1) De Clercq, t. VI, p. 237; Castro, pte. 7, p. 382; Lesur, 1852, app., p. 188.

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