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faire abandon de la rigueur de son droit s'exposerait à être considéré par les autres États comme violant la foi publique. Quoiqu'elle soit trop souvent influencée dans son application par les considé rations politiques, c'est cependant cette doctrine que le droit international moderne a définitivement acceptée.

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Nous ferons toutefois remarquer qu'en cette matière il faut qu'il ait parité de situation entre les parties en cause, de sorte que, si l'un des belligérants confisquait les biens ennemis qui se trouvent sur son territoire et prononçait la déchéance des dettes passives de ses nationaux, l'autre belligérant serait légitimement fondé à user de réciprocité et à suivre la même ligne de conduite. Ces principes sont pleinement consacrés par la jurisprudence anglaise *.

§ 1678. Pendant la lutte qui s'était engagée en 1812 entre l'Angleterre et les États-Unis, la cour suprême de Washington fut appelée à formuler un arrêt de principe touchant la portée des déclarations de guerre à l'égard de la propriété ennemie. S'appuyant sur la lettre et l'esprit de la constitution des États-Unis, la cour reconnut que la proclamation de l'état de guerre par le président a bien pour effet de légitimer les hostilités entre les deux nations, et partant l'exercice des droits inhérents à la guerre; mais elle ne dépossède pas ipso facto l'ennemi de sa propriété. Pour que la confiscation des biens, la capture des navires marchands et la détention des personnes ennemies comme prisonniers de guerre deviennent possibles et légales, il faut de toute nécessité un vote spécial du Congrès, qui délègue à cet égard des pouvoirs discrétionnaires et illimités au président de la confédération. Or comme au début des hostilités l'acte fédéral qui déclarait la guerre à l'Angleterre s'était borné à investir le chef du pouvoir exécutif du droit de faire usage de toutes les forces de terre et de mer de la république et de délivrer des lettres de marque ou de représailles générales contre les navires, les biens et les effets du gouvernement anglais et de ses sujets, la cour suprême, attribuant à l'acte une portée limitative, révoqua la sentence du tribunal de district qui avait prononcé la confiscation des propriétés britanniques trouvées sur le territoire de l'Union au moment de l'ouverture des hostilités. Il y a tout lieu de penser que les États-Unis, s'ils ve

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Twiss, War, § 53; Phillimore, Com., §53; Vattel, Le droit, liv. 3, § 77; Manning, pp. 129, 130.

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Guerre de Crimée.

Créances

actives

naient à être engagés dans une guerre étrangère, suivraient encore cette doctrine, si importante pour la sauvegarde des intérêts du commerce étranger et pour la sécurité des sujets des autres nations*.

$1679. Au commencement de la guerre de Crimée, au mois d'octobre 1853, le gouvernement de Saint Pétersbourg, en réciprocité d'une autorisation analogue accordée par la Porte Ottomane à la marine marchande russe, publia un ukase qui permettait aux navires turcs de sortir librement des ports de la Russie. De leur côté, l'Angleterre et la France assignèrent aux bâtiments russes mouillés dans leurs ports un délai de six semaines pour achever leurs opérations commerciales et rentrer dans leur pays. Elles firent plus encore: ce délai ayant paru insuffisant, le bénéfice de l'exemption de capture fut ultérieurement étendu à tous les navires qui auraient pris la mer avant le 15 mai 1854. Entraîné par cet exemple, le gouvernement russe autorisa la libre sortie des navires anglais et français qui se trouvaient dans les ports de la Baltique, de la Mer Noire et de la Mer d'Azof, avec un délai supplémentaire de six semaines à dater de l'ouverture de la navigation pour les bâtiments ancrés dans les ports de la Mer Blanche. Comme complément à ces mesures libérales, on décida de part et d'autre que les propriétés privées de toute espèce seraient respectées, et que les sujets ennemis pourraient continuer de résider dans les États belligérants à la seule condition d'en observer les lois.

Nous croyons superflu d'insister sur l'immense progrès que de semblables principes, déjà consacrés dans un certain nombre de traités de commerce et de navigation, ont fait faire, au point de vue de l'humanité et de l'équité, à la loi générale des nations**.

S 1680. Le peu d'accord qui à première vue semble exister de l'ennemi. entre les publicistes relativement aux effets que la déclaration de guerre produit sur les dettes actives de l'ennemi est plus appa

Kent, Com, v. I, p. 67; Twiss, War, § 56; Phillimore, Com., § 87; Wildman, v. II, pp. 10, 11; Halleck, ch. 15, § 15; Lawrence, Elem. by Wheaton, note 173; Dana, Elem. by Wheaton, note 156.

Phillimore, Com., v. III, pt. 9, ch. 6; Ortolan, Règles, t. II, pp. 443 et seq ; Hautefeuille, Des droits, t. III, p. 427; Pistoye et Duverdy, Traité, t. II, pp. 467 et seq.; Twiss, War, § 60; Halleck, ch. 15, § 16; Lawrence, Elem. by Wheaton, note 173; Dana, Elem. by Wheaton, note 156; Annuaire, 1853-1854, pp. 913 et seq.; Moniteur universel, 28 mars 1854; London Gazette, 18 avril 1854; Gazette du commerce, 19 avril 1854; Parliamentary papers, 1862, p. 108; Bluntschli, § 669.

rent que réel; car tous, et principalement les publicistes mcdernes, reconnaissent que depuis Vattel la tendance générale du droit des gens sur ce point est contraire à l'application rigoureuse de la règle citée plus haut. C'est ce qu'avoue Halleck lui-même, bien qu'il soutienne que théoriquement les obligations contractées envers l'ennemi par un belligérant ou par ses alliés avant la déclaration de guerre sont éteintes de plein droit par le fait de cette déclaration. Phillimore établit une distinction entre les obligations publiques embrassant les fonds d'État et les obligations privées. Il admet la confiscation de ces dernières stricto jure; mais lui aussi déclare que la coutume moderne, basée sur les opinions de Vattel, d'Émerigon, de Martens, de Kent et de Wheaton, est contraire à l'exercice de ce droit.

§ 1681. A l'issue des grandes guerres qui ont marqué la fin du siècle dernier et le commencement de celui-ci la conduite des puissances belligérantes n'a pas toujours été conforme à cette doctrine. Ainsi, si le traité qui reconnut l'indépendance des ÉtatsUnis fit revivre réciproquement les dettes que les citoyens américains et anglais avaient contractées les uns envers les autres avant la révolution et qui ne se trouvaient pas définitivement frappées de confiscation, si le traité de commerce anglo-américain de 1794 (1) sanctionna le même principe, nous voyons par contre pendant la guerre de 1793 entre la France et la Grande-Bretagne les deux gouvernements recourir encore à la confiscation de toutes les valeurs mobilières et autres propriétés ennemies.

Dans sa guerre avec le Danemark en 1807 l'Angleterre s'empara de tous les navires, de toutes les propriétés ennemies qu'elle rencontra soit dans ses ports, soit en pleine mer, en les confisquant comme droits d'amirauté en vertu d'un effet rétroactif de la déclaration de guerre. Le gouvernement danois répondit à cet acte de déprédation violente par un décret qui adjugeait au trésor toutes les sommes dues par des sujets danois à des commerçants anglais. Chose remarquable, la cour du Banc du roi à Londres, saisie d'un débat privé à propos de ce décret de rétorsion, ne craignit pas de proclamer que l'ordonnance danoise en question n'était pas conforme à l'usage des nations et n'était pas par conséquent un obstacle légal au recouvrement de la dette par voie de

(1) Elliot, v. I, p. 242; State papers, v. I, p. 784; Martens. 1re édit., t. VI, p. 336; 2e édit., t. V, p. 641.

Preuves historiques.

Effets de la déclaration

le commerce

et les contrats.

poursuites devant les tribunaux anglais. Cette décision fournit un curieux exemple de plus de la facilité avec laquelle les juges anglais savent suivant les circonstances ériger en axiome de droit international des pratiques inspirées par l'unique besoin de sauvegarder les intérêts de leurs compatriotes.

C'est dans le traité de paix du 30 mai 1814 (1) que nous trouvons pour la première fois la trace d'une restitution des propriétés. confisquées pendant la guerre, et d'une liquidation générale des créances et des réclamations pécuniaires des belligérants.

Le traité de Paris du 30 mars 1856 (2) n'a consacré aucun principe général sur cette matière ; mais nous avons déjà fait voir que les États engagés dans la guerre d'Orient, et quelques années plus tard dans celles d'Italie et d'Allemagne, se sont en ce qui regarde les personnes et la propriété privée des ennemis strictement conformés aux principes du droit des gens moderne.

Cependant lors de la guerre de sécession aux États-Unis le congrès des Confédérés du Sud s'en écarta complètement; car il confisqua toutes les propriétés mobilières et immobilières ainsi que les droits et les créances possédés sur son territoire par les citoyens du Nord, à la seule exception des valeurs et des fonds publics*. S 1682. Une des conséquences immédiates et les plus imporde guerre sur tantes des hostilités, c'est l'interdiction de toutes relations commerciales entre les sujets des États qui sont en guerre, à moins d'exceptions spécialement autorisées. Bynkershoek concède aux gouvernements le droit absolu de décréter ces exceptions en faveur de personnes déterminées ou de la généralité de leurs sujets; il envisage toutefois cette dérogation à la règle comme une suspension partielle des lois de la guerre, qui place simultanément les sujets des deux pays belligérants partie en état de paix, partie en état de guerre. Sir W. Scott partage cette manière de voir, qu'il base sur la faculté, que l'autorité qui a le pouvoir de décla

(1) De Clercq, t. II, p. 426.

(2) De Clercq, t. VII, p. 595.

*Wheaton, Élém., pte. 4, ch. 1, § 12; Kent, Com., vol. I, §§ 62-65; Vattel, Le droit, liv. 3, ch. 5, § 77; Bynkershoek, Quæst., lib. 1, cap. 7; Massé, Le droit com., t. I, pp. 117 et seq.; Twiss, War, §§ 53 et seq.; Phillimore, Com., vol. III, §§ 87-89; Wildman, vol. II, pp. 10, 11; Halleck, ch. 15, §§ 17 et seq.; Puffendorf, De jure, lib. 8, cap. 6, 19, 20; Bello, pte. 2, cap. 2, § 2; Fiore, t. II, pp. 311-313; Manning, pp. 129131; Polson, sect. 6, § 4; Hale, Pleas of the Crown, p. 95; Thompson, Laws of war, p. 7; Vergé, Précis de Martens, t. II, pp. 194-195; Lawrence, Elem. by Wheaton, note 174; Pradier-Fodéré, Vattel, t. II, pp. 422-425; Cranch, Reports, vol. VIII, p. 140.

rer la guerre possède seule en droit rigoureux, de déterminer l'étendue que cette guerre doit avoir, et sur l'impossibilité de la part des sujets de l'un des États belligérants de soutenir aucun contrat par un appel aux tribunaux de l'autre État. A l'appui de son opinion il cite la jurisprudence constante des cours d'amirauté anglaises, qui ont invariablement appliqué cette règle, même dans des cas où les dispositions du gouvernement tendaient à la méconnaître. Kent soutient aussi qu'en temps de guerre il ne saurait légalement exister aucune relation de commerce, aucune communication pacifique entre les parties belligérantes, et que dès lors une autorisation spéciale est indispensable pour légitimer la continuation des rapports antérieurs.

§ 1685. Pendant la guerre que les États-Unis soutinrent contre la Grande-Bretagne pour conquérir leur indépendance, un négociant américain avait antérieurement à la déclaration des hostilités acheté en Angleterre des marchandises qu'il avait déposées dans une île située près de la frontière. Au début de la guerre ses agents affrétèrent un navire pour aller prendre ces marchandises au lieu du dépôt et les transporter à leur destination. A son retour ce navire fut capturé par un croiseur anglais et déclaré de bonne prise. Le négociant soutint que tout citoyen avait le droit d'enlever au moment où la guerre éclatait des propriétés acquises par lui avant la guerre et se trouvant sur le territoire ennemi. Mais la cour suprême d'amirauté déclara «que le sentiment universeldes nations avait reconnu les conséquences immorales qui résulteraient de l'admission de relations individuelles entre les États en guerre. La nation entière, ajoutait la sentence, est engagée dans une affaire et doit être soumise au même sort. Chaque individu de l'une des nations doit considérer celui de l'autre nation comme son propre ennemi, parce que celui-ci est l'ennemi de son pays. Tel étant le devoir des citoyens, quelle est la conséquence d'une infraction à ce devoir ? Le droit de prises est une partie du droit des gens; il exprime un caractère hostile au commerce, abstraction faite de la personne qui s'y livre. De ces principes il résulte que tout ce qui vient d'un pays ennemi est primâ facie propriété de l'ennemi, et qu'il y a obligation pour le réclamant de prouver le contraire.»« Cette doctrine, disait en terminant le tribunal, ne repose pas seulement sur un raisonnement abstrait; elle est soutenue par la pratique des nations les plus éclairées, on pourrait même dire de toutes les nations commerçantes. » La réclamation fut dé

Décisions des nord-américette matière.

tribunaux

cains sur

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