Images de page
PDF
ePub

qu'il y avait dans Saint Domingue des ports et des endroits qui n'étaient plus non seulemeut en la possession, mais encore sous la domination de la France. En l'espèce la cour avait seulement à examiner si le port mentionné dans la cause rentrait dans cette catégorie.

La même jurisprudence a été suivie par la cour suprême des États-Unis.

§ 1703. Le fait de l'occupation d'un pays par des forces ennemies n'entraine pas le changement du caractère national des habitants, qui continuent de devoir allégeance à leur gouvernement légitime; il ne convertit pas nécessairement le territoire occupé en territoire hostile, ni ses habitants en ennemis. C'est dans ce sens que le conseil privé de la reine en Angleterre s'est prononcé dans le cas du Gerasimo.

Ce navire, naviguant sous pavillon valaque, sortait de la Soulima, une des bouches du Danube, avee un chargement de maïs, qu'il venait d'embarquer à Galatz, en Moldavie, à destination de Trieste, lorsque le 19 juillet 1854 il fut pris par le vaisseau anglais de guerre Vesuvius. Le capteur n'avait fait aucune des démarches ordinaires pour se faire adjuger sa prise, quand il fut assigné devant la haute cour de l'amirauté par les propriétaires du chargement, qui au mois de juin 1855 en réclamèrent la restitution avec frais et dommages-intérêts.

Le juge déclara le chargement de bonne prise, en se fondant sur ce que ceux qui en réclamaient la propriété n'avaient pas suffisamment prouvé leur titre de possesseurs.

Cette décision fut cassée en appel par les lords du conseil privé. Voici les points principaux de leur jugement :

La première question à examiner est celle de savoir si les propriétaires du chargement doivent dans l'espèce être considérés comme des étrangers ennemis ; et pour cela il est nécessaire d'étudier avec soin les principes de jurisprudence applicables à l'affaire et la nature de la possession de la Moldavie par les Russes au moment de l'embarquement du chargement.

Quant aux principes généraux de jurisprudence, il n'y a pas lieu à discussion. Le caractère national d'un négociant doit être déterminé pour les affaires commerciales par le caractère national de

'Twiss, War, § 165; Wildman, v. II, pp. 116, 117; Halleck, ch. 29, § 33; Duer, v. I, leci. 6, § 34.

[blocks in formation]

l'endroit où se fait le commerce. Si une guerre vient à éclater, un négociant étranger qui fait du commerce dans le pays d'un belligérant a un délai raisonnable pour se transporter, personne et biens, dans un autre pays. S'il ne profite pas de l'occasion, il doit être traité pour les affaires commerciales comme un sujet de la puissance sous le gouvernement duquel il fait son commerce, et par conséquent comme un ennemi de ceux avec qui cette puissance est en guerre. Rien de plus juste que ce principe; mais il est fondé absolument sur ce que le pays où le négociant fait du commerce est un pays ennemi.

Or le point à examiner consiste dans les circonstances nécessaires pour convertir un territoire ami ou neutre en territoire ennemi. Pour cela suffit-il que le territoire en question soit occupé par des forces ennemies et soumis pendant son occupation à l'autorité de la puissance ennemie ? ou est-il nécessaire que soit par cession, soit par conquête, soit par quelque autre moyen, le territoire soit d'une manière permanente ou temporairement incorporé ou réuni aux possessions de l'envahisseur au moment où est soulevée la question du caractère national? Leurs Seigneuries sont d'avis que le premier point n'est pas soutenable.

Quant à la signification de l'expression « possessions de l'ennemi » et aux conditions nécessaires pour constituer la possession, le juge rappelle l'opinion de Lord Stowell: que pour que le droit de propriété soit complet il faut qu'il existe à la fois le droit à la chose et la possession, jus ad rem et jus in re; telle est la loi générale de la propriété, et elle ne s'applique pas moins au droit de territoire qu'aux autres droits. Au sujet même des pays découverts nouvellement, quand on veut établir un titre pour la première fois, on accomplit ordinairement quelque acte de possession, que l'on proclame comme notification du fait. Dans un transfert, lorsqu'il s'agit de se substituer à autrui et d'en supprimer les droits, il ne saurait être moins nécessaire d'indiquer ce changement par quelque acte public, afin que tous ceux qui y ont un intérêt essentiel comme habitant le pays sachent sous quelle domination et sous quelles lois ils sont appelés à vivre.

D'après la nature de la possession de la Moldavie par les Russes à l'époque où avait été embarqué le chargement dont il s'agit, il semble impossible de soutenir qu'au moyen d'une occupatiou opérée, continuée comme elle l'a été et ayant eu le dénoûment qu'elle a eu, la Moldavie ait jamais fait partie des possessions de la Russie,

et que ses sujets aient été jamais sujets de la Russie et par conséquent ennemis de ceux avec qui la Russie était en guerre. L'effet que pouvait avoir l'occupation équivalait tout au plus à une suspension temporaire de la suzeraineté de la Porte et à l'usurpation temporaire de cette suzeraineté par la Russie; mais le caractère national du pays demeurait intact, et toute intention d'y porter atteinte était désavouée par la Russie. A quelle époque donc pourrait-on dire que les étrangers résidant dans la principauté avaient reçu cette notification, à laquelle Lord Stowell fait allusion, du changement de la domination et des lois sous lesquelles ils allaient vivre désormais? A quelle époque ont-ils été mis dans l'obligation de changer de domicile, sous peine, faute de le faire, d'être traités comme ennemis de l'Angleterre ?

La Moldavie et la Valachie n'étaient pas traitées en ennemis par la Porte, et il serait étrange que ces pays, quoique n'étant pas regardés comme ennemis par la Turquie, fussent considérés comme ennemis des alliés de la Turquie.

Les pièces soumises à la cour démontrent suffisamment que le pavillon valaque était reconnu par les autorités russes comme par les autorités turques. De plus Leurs Seigneuries, en se mettant en communication avec le ministère des affaires étrangères, ont constaté les autres faits ci-dessus relatés, et se sont assurées que le gouvernement anglais n'avait jamais fait d'acte de nature à changer le caractère national des provinces par rapport à l'Angleterre, et sans acte de ce genre l'occupation par les Russes dans les circonstances données ne pouvait produire l'effet qu'on supposait.

En conséquence les lords du conseil privé ordonnèrent la restitution du chargement avec dommages et intérêts à payer par le capteur.

Mais si l'occupation militaire est effectuée par une puissance amie du souverain auquel appartient le territoire occupé, le caractère national des habitants change avec l'allégeance qu'on suppose dans ce cas transmise à la puissance occupante *.

Effets produits par la

1704. Nous devons toutefois faire observer qu'en principe la cession d'une portion de territoire par voie de traité ne détruit pas cession sans de plein droit et instantanément le caractère national et les liens

Twiss, War, § 164; Wildman, v. II, pp. 115, 116; Halleck, ch. 29, § 30; Duer, vol. I, lect. 4, § 39; Halleck, ch. 15, § 30, note.

l'occupation.

[blocks in formation]

de fidélité politique. Ce double changement ne se réalise légalement qu'au moment de la remise et de la réception effectuées dans les formes solennelles, usitées en pareil cas, du territoire cédé conventionnellement *.

§ 1705. C'est ce principe que l'amirauté britannique appliqua à la capture faite par un croiseur anglais, peu de temps après la cession de la Louisiane par l'Espagne à la France, d'un navire appartenant à un négociant de la Nouvelle Orléans, lequel devait être considéré comme propriété ennemie, si son propriétaire était sujet français, et comme propriété neutre, si son propriétaire était encore sujet espagnol.

Le juge sir William Scott décida que la capture devait être invalidée et le navire rendu à son propriétaire, par la raison qu'il n'existait pas de preuve suffisante et satisfaisante de la remise effective à une autorité française du territoire cédé, cette remise n'ayant pas encore été entourée des formalités légalement requises **.

$ 1706. Il peut arriver aussi que la cession n'ait pas lieu au moyen d'un traité, mais par la remise volontaire du pays par une puissance à une autre qui l'occupe et le possède de fait. Dans ce cas le fait de cette remise volontaire, en l'absence d'un traité formel, établit la présomption légale du transfert de tous les droits inhérents à la possession.

Nous avons l'exemple d'une situation semblable dans celle qui fut faite en 1807 aux îles Ioniennes. La Russie venait de remettre à la France la possession de ces sept iles, où une partie des troupes françaises avaient été transportées à bord de navires. russes. Aucun traité de cession n'avait été annoncé publiquement; mais la France et la Russie avaient réglé leurs différends par le traité de Tilsitt du 7 juillet 1807 (1), et, les deux pays étant dès lors en paix l'un avec l'autre, il n'y avait pas lieu de douter que la remise des îles Ionniennes à la France n'eût été un acte volontaire de la part de la Russie.

Dans ces circonstances un corsaire anglais captura un navire danois, parti de Zante à destination de Copenhague et chargé de

* Twiss, War, § 161; Kent, Com., v. I, p. 179; Duer, v. I, lect. 4, § 37; Halleck, ch, 29, § 32; Wildman, v. II, p. 115.

[ocr errors]

Twiss, War, § 161; Duer, v. I, lect. 4, § 38; Halleck, ch. 29, § 32.

(1) De Clercq, t. II, p. 207; State papers, v. II, p. 18; Martens. 1re édit., Suppl.,

t. IV, p. 436; 2e édit., t. VIII, p. 637; Bulletin des lois, 1807, no 151.

marchandises déclarées appartenir à des négociants résidant dans les sept iles. Sir W. Scott, appelé à se prononcer dans cette affaire, soutint que « la remise volontaire des îles Ioniennes par la Russie équivalait à un transfert réel à la France, et que par suite les habitants étaient devenus sujets français ». En conséquence il maintint la confiscation du chargement comme appartenant à des ennemis *.

SECTION III. DU COMMERCE AVEC L'ENNEMI ET DES

LICENCES.

Les lois de la guerre et le commerce avec l'enne

$1707. Nous avons vu que la guerre modifie les conditions générales des États et des individus; qu'elle donne aux belligérants sur la personne et les biens de l'ennemi des droits assez étendus mi. pour ne pouvoir se concilier avec le maintien des relations intimes et journalières que le commerce fait naître et développe entre les particuliers, abstraction faite de leur nationalité. Dans la mesure où il s'exploite de nos jours, le commerce, abandonné à lui-même, devient une véritable puissance capable d'imposer des lois aux gouvernements, et trop souvent porté, dans des vues d'étroit égoïsme, à entraver le but de la guerre et à étouffer les impulsions les plus généreuses. Aussi, devant le caractère cosmopolite de ce grand élément de vie, les États belligérants n'ont-ils pu souscrire en temps de guerre à la conservation d'une complète liberté des échanges commerciaux. Aller jusque là semblerait en effet vouloir augmenter les ressources et les moyens de défense de l'ennemi, gêner sensiblement les opérations militaires, imprimer à la guerre un caractère indéfini et équivoque; ce serait enfin s'exposer à prolonger la lutte au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but qui motive les hostilités. L'intérêt public, qui domine toute autre considération, réclame done que le commerce reste subordonné à la raison d'État et s'incline devant les exigences impérieuses de la guerre.

Mais jusqu'à quel point la guerre doit-elle paralyser le trafic

'Twiss, War, § 161; Duer, vol. I, lect. 4, § 40.

« PrécédentContinuer »