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E Roy, voulant donner aux Reynes et à toute sa Cour le plaisir de quelques festes peu communes, dans un lieu orné de tous les agrémens qui peuvent faire admirer une maison de campagne, choisit Versailles, à quatre lieuës de Paris. C'est un chasteau qu'on peut nommer un palais enchanté, tant les adjustemens de l'art ont bien secondé les soins que la nature a pris pour le rendre parfait il charme en toutes manieres, tout y rit dehors et dedans, l'or et le marbre y disputent de beauté et d'esclat, et, quoy qu'il n'ayt pas cette grande estenduë qui se remarque en quelques autres palais de Sa Majesté, toutes choses sont si polies, si bien entenduës et si achevées, que rien ne le peut esgaler. Sa symetrie, la richesse de ses meubles, la beauté de ses promenades, et le nombre infiny de ses fleurs comme de

ses orangers, rendent les environs de ce lieu dignes de sa rareté singuliére; la diversité des bestes contenues dans les deux parcs et dans la mesnagerie, où plusieurs courts en estoilles sont accompagnées de viviers pour les animaux aquatiques, avec de grands bastimens, joignent le plaisir avec la magnificence et en font une maison accomplie.

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PREMIERE JOURNÉE

DES

PLAISIRS DE L'ISLE ENCHANTÉE.

Ce fut en ce beau lieu, où toute la Cour se rendit le cinquiesme de may, que le Roy traitta plus de six cent personnes jusques au quatorziesme, outre une infinité de gens necessaires à la danse et à la comedie, et d'artisans de toutes sortes venus de Paris, si bien que cela paroissoit une petite armée.

Le ciel mesme sembla favoriser les desseins de Sa Majesté, puis qu'en une saison presque toûjours pluvieuse on en fut quitte pour un peu de vent, qui sembla n'avoir augmenté qu'afin de faire voir que la prevoyance et la puissance du Roy estoient à l'espreuve des plus grandes incommoditez : de hautes toilles, des bastimens de bois, faits presque en un instant, et un nombre prodigieux de flambeaux de cire blanche pour suppléer à plus de quatre mille bougies chaque journée, resisterent à ce vent, qui par tout ailleurs eust rendu ces divertissemens comme impossibles à achever.

M. de Vigarini, gentilhomme modenois, fort sçavant en toutes ces choses, inventa et proposa celles-cy; et le Roy commanda au duc de S. Aignan, qui se trouva lors en fonction de premier gentilhomme de sa chambre, et qui avoit déja donné plusieurs sujets de ballets fort agreables, de faire un dessein où elles fussent toutes comprises avec liaison et

avec ordre, de sorte qu'elles ne pouvoient manquer de bien reussir.

Il prit pour sujet le palais d'Alcine, qui donna lieu au tiltre des Plaisirs de l'Isle Enchantée, puis que, selon l'Arioste, le brave Roger et plusieurs autres bons chevaliers y furent retenus par les doubles charmes de la beauté, quoy qu'empruntée, et du sçavoir de cette magicienne, et en furent délivrez, aprés beaucoup de temps consommé dans les delices, par la bague qui destruisoit les enchantemens : c'estoit celle d'Angelique, que Melisse, sous la forme du vieux Atlas, mit enfin au doigt de Roger.

On fit donc en peu de jours orner un rond, où quatre grandes allées aboutissent entre de hautes palissades, de quatre portiques de trente-cinq pieds d'élevation, et de vingtdeux en quarré d'ouverture, de plusieurs festons enrichis d'or, et de diverses peintures avec les armes de Sa Majesté.

Toute la Cour s'y estant placée le septiesme, il entra dans la place, sur les six heures du soir, un heraut d'armes, representé par M. des Bardins, vestu d'un habit à l'antique couleur de feu en broderie d'argent et fort bien monté.

Il estoit suivy de trois pages; celuy du Roy, M. d'Artagnan, marchoit à la teste des deux autres, fort richement habillé de couleur de feu, livrée de Sa Majesté, portant sa lance et son escu, dans lequel brilloit un soleil de pierreries

avec ces mots :

Nec cesso nec erro,

faisant allusion à l'attachement de Sa Majesté aux affaires de son Estat, et à la maniere avec laquelle il agit, ce qui estoit encore representé par ces quatre vers du President de Perigny, autheur de la mesme devise :

Ce n'est pas sans raison que la terre et les cieux
Ont tant d'estonnement pour un objet si rare,
Qui, dans son cours penible autant que glorieux,
Jamais ne se repose et jamais ne s'égare.

Les deux autres pages estoient aux ducs de S. Aignan et de Noailles, le premier mareschal de camp et l'autre juge des courses.

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