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Considérez l'honneur qui doit en rejaillir.
Voyez tout l'Hellespont blanchissant sous nos rames,
Et la perfide Troie abandonnée aux flammes,
Ses peuples dans vos fers, Priam à vos genoux,
Hélène, par vos mains, rendue à son époux.
Voyez de vos vaisseaux les poupes couronnées,
Dans cette même Aulide avec vous retournées;
Et ce triomphe heureux, qui s'en va devenir
L'éternel entretien des siècles à venir.

AGAMEMNON.

Seigneur, de mes efforts je connais l'impuissance.
Je cède, et laisse aux dieux opprimer l'innocence.
La victime bientôt marchera sur vos pas,
Allez. Mais cependant faites taire Calchas;
Et, m'aidant à cacher ce funeste mystère,
Laissez-moi de l'autel écarter une mère.

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE II.

SCENE PREMIÈRE.

ÉRIPHILE, DORIS.

ÉRIPHILE.

NE les contraignons point, Doris, retirons-nous, Laissons-les dans les bras d'un père et d'un époux. Et tandis qu'à l'envi leur amour se déploie, Mettons en liberté ma tristesse et leur joie.

DORIS.

Quoi, Madame, toujours irritant vos douleurs,
Croirez-vous ne plus voir que des sujets de pleurs?
Je sais que tout déplaît aux yeux d'une captive;
Qu'il n'est point, dans les fers, de plaisir qui la suive.
Mais, dans le temps fatal que, repassant les flots,
Nous suivions, malgré nous, le vainqueur de Lesbos;
Lorsque, dans son vaisseau, prisonnière timide,
Vous voyiez devant vous ce vainqueur homicide,
Le dirai-je? Vos yeux, de larmes moins trempés,
A pleurer vos malheurs étaient moins occupés.
Maintenant tout vous rit. L'aimable Iphigénie
D'une amitié sincère avec vous est unie;

Elle vous plaint, vous voit avec des yeux de sœur ;
Et vous seriez dans Troie avec moins de douceur.

Vous vouliez voir l'Aulide, où son père l'appelle,
Et l'Aulide vous voit arriver avec elle.

Cependant, par un sort que je ne conçois pas,
Votre douleur redouble et croît à chaque pas.
ÉRIPHILE.

Hé quoi, te semble-t-il que la triste Ériphile
Doive être de leur joie un témoin si tranquille?
Crois-tu que mes chagrins doivent s'évanouir
A l'aspect d'un bonheur dont je ne puis jouir?
Je vois Iphigénie entre les bras d'un père;
Elle fait tout l'orgueil d'une superbe mère;
Et moi, toujours en butte à de nouveaux dangers,
Remise dès l'enfance en des bras étrangers,
Je reçus, et je vois le jour que je respire,
Sans que mère ni père ait daigné me sourire.
J'ignore qui je suis; et, pour comble d'horreur,
Un oracle effrayant m'attache à mon erreur,
Et, quand je veux chercher le sang qui m'a fait naître,
Me dit que, sans périr, je ne me puis connaître.

DORIS.

Non, non, jusques au bout vous devez le chercher, Un oracle toujours se plaît à se cacher;

Toujours, avec un sens, il en présente un autre.
En perdant un faux nom, vous reprendrez le vôtre.
C'est là tout le danger que vous pouvez courir;
Et c'est peut-être ainsi que vous devez périr.
Songez que votre nom fut changé dès l'enfance.
ÉRIPHILE.

Je n'ai de tout mon sort que cette connaissance;
Et ton père, du reste infortuné témoin,
Ne me permit jamais de pénétrer plus loin.

Hélas, dans cette Troie, où j'étais attendue,
Ma gloire, disait-il, m'allait être rendue!
J'allais, en reprenant et mon nom et mon rang,
Des plus grands rois, en moi, reconnaître le sang.
Déjà je découvrais cette fameuse ville,

Le Ciel mène à Lesbos l'impitoyable Achille;
Tout cède, tout ressent ses funestes efforts.
Ton père, enseveli dans la foule des morts,
Me laisse dans les fers à moi-même inconnue;
Et, de tant de grandeurs, dont j'étais prévenue,
Vile esclave des Grecs, je n'ai pu conserver
Que la fierté d'un sang que je ne puis prouver.

DORIS.

Ah, que perdant, Madame, un témoin si fidèle,
La main qui vous l'ôta vous doit sembler cruelle!
Mais Calchas est ici, Calchas si renommé,
Qui des secrets des dieux fut toujours informé.
Le Ciel souvent lui parle. Instruit par un tel maître,
Il sait tout ce qui fut, et tout ce qui doit être.
Pourrait-il de vos jours ignorer les auteurs?
Ce camp même est pour vous tout plein de protecteurs.
Bientôt Iphigénie, en épousant Achille,

Vous va, sous son appui, présenter un asile;
Elle vous l'a promis et juré devant moi.

Ce

gage

est le premier qu'elle attend de sa foi.
ÉRIPHILE.

Que dirais-tu, Doris, si, passant tout le reste,
Cet hymen, de mes maux, était le plus funeste?

DORIS.

Quoi, Madame!

ÉRIPHILE.

Tu vois, avec étonnement,

Que ma douleur ne souffre aucun soulagement:
Écoute, et tu te vas étonner que je vive.
C'est peu d'être étrangère, inconnue et captive.
Ce destructeur fatal des tristes Lesbiens,

Cet Achille, l'auteur de tes maux et des miens,
Dont la sanglante main m'enleva prisonnière,
Qui m'arracha, d'un coup, ma naissance et ton père,
De qui, jusques au nom tout doit m'être odieux,
Est de tous les mortels le plus cher à mes yeux.

DORIS.

Ah, que me dites-vous?

ÉRIPHILE.

Je me flattais sans cesse

Qu'un silence éternel cacherait ma faiblesse.

Mais mon cœur, trop pressé, m'arrache ce discours,
Et te parle une fois, pour se taire toujours.
Ne me demande point sur quel espoir fondée,
De ce fatal amour je me vis possédée.

Je n'en accuse point quelques feintes douleurs,
Dont je crus voir Achille honorer mes malheurs.
Le Ciel s'est fait, sans doute, une joie inhumaine
A rassembler sur moi tous les traits de sa haine.
Rappellerai-je encor le souvenir affreux
Du jour qui dans les fers nous jeta toutes deux;
Dans les eruelles mains par qui je fus ravie
Je demeurai long-temps sans lumière et sans vie ;
Enfin mes faibles yeux cherchèrent clarté,
Et, me voyant presser d'un bras ensanglanté,

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