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Tout le progrès qu'Achille avait fait dans votre âme?
IPHIGÉNIE.

Ah, cruel! cet amour, dont vous voulez douter,
Ai-je attendu si tard pour le faire éclater?
Vous voyez de quel œil, et comme indifférente
J'ai reçu de ma mort la nouvelle sanglante.
Je n'en ai point pâli. Que n'avez-vous pu voir
A quel excès tantôt allait mon désespoir,
Quand, presqu'en arrivant, un récit peu fidèle
M'a de votre inconstance annoncé la nouvelle !
Quel trouble! Quel torrent de mots injurieux
Accusait à la fois les hommes et les dieux!
Ah! que vous auriez vu, sans que je vous le die,
De combien votre amour n'est plus cher que ma vie!
Qui sait même, qui sait si le Ciel irrité
A pu souffrir l'excès de ma félicité ?

Hélas, il me semblait qu'une flamme si belle
M'élevait au-dessus du sort d'une mortelle !

ACHILLE.

Ah! si je vous suis cher, ma Princesse, vivez.

SCÈNE VII.

CLYTEMNESTRE, IPHIGÉNIE, ACHILLE,

AEGINE.

CLYTEMNESTRE.

Tout est perdu, Seigneur, si vous ne nous sauvez.
Agamemnon m'évite, et, craignant mon visage,
Il me fait de l'autel refuser le passage.

Des gardes, que lui-même a pris soin de placer,

Nous ont de toutes parts défendu de passer.
Il me fuit. Ma douleur étonne son audace.

ACHILLE.

Hé bien, c'est donc à moi de prendre votre place. Il me verra, Madame, et je vais lui parler,

IPHIGÉNIE.

Ah! Madame, ... Ah! Seigneur, où voulez-vous aller?

ACHILLE.

Et que prétend de moi votre injuste prière?
Vous faudra-t-il toujours combattre la première ?

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Madame, retenez un amant furieux.

De ce triste entretien détournons les approches.
Seigneur, trop d'amertume aigrirait vos reproches.
Je sais jusqu'où s'emporte un amant irrité ;
Et mon père est jaloux de son autorité.

On ne connaît que trop la fierté des Atrides.
Laissez parler, Seigneur, des bouches plus timides.
Surpris, n'en doutez point, de mon retardement,
Lui-même il me viendra chercher dans un moment.
Il entendra gémir une mère oppressée;
Et que ne pourra point m'inspirer la pensée
De prévenir les pleurs que vous verseriez tous;
D'arrêter vos transports, et de vivre pour vous!

ACHILLE.

Enfin, vous le voulez. Il faut donc vous complaire. Donnez-lui, l'une et l'autre, un conseil salutaire; Rappelez sa raison, persuadez-le bien,

Pour vous, pour mon repos, et surtout pour le sien. Je perds trop de momens en des discours frivoles; Il faut des actions, et non pas des paroles.

(à Clytemnestre.)

Madame, à vous servir je vais tout disposer;
Dans votre appartement allez vous reposer.
Votre fille vivra; je puis vous le prédire :
Croyez du moins, croyez que, tant que je respire,
Les dieux auront en vain ordonné son trépas:
Cet oracle est plus sûr que celui de Calchas.

FIN DU TROISIÈME ACTE.

ACTE IV.

SCÈNE PREMIÈRE.

ÉRIPHILE, DORIS.

DORIS.

AR! que me dites-vous? Quelle étrange manie
Vous peut faire envier le sort d'Iphigénie?
Daus une heure elle expire. Et jamais, dites-vous,
Vos yeux de son bonheur ne furent plus jaloux.
Qui le croira, Madame ? Et quel cœur si farouche...
ÉRIPHILE.

Jamais rien de plus vrai n'est sorti de ma bouche.
Jamais de tant de soins mon esprit agité
Ne porta plus d'envie à sa félicité.

Favorables périls! Espérance inutile!

N'as-tu pas vu sa gloire, et le trouble d'Achille?
J'en ai vu,
j'en ai fui les signes trop certains.

Ce héros, si terrible au reste des humains,

Qui ne connaît de pleurs que ceux qu'il fait répandre,
Qui s'endurcit contre eux dès l'âge le plus tendre,
Et qui, si l'on nous fait un fidèle discours,
Suça même le sang des lions et des ours,
Pour elle de la crainte a fait l'apprentissage:
Elle l'a vu pleurer et changer de visage.

Et tu la plains, Doris? Par combien de malheurs
Ne lui voudrais-je point disputer de tels pleurs?
Quand je devrais, comme elle,expirer dans une heure...
Mais, que dis-je, expirer! Ne crois pas qu'elle meure.
Dans un lâche sommeil crois-tu qu'enseveli,

Achille aura pour elle impunément pâli?

Achille son malheur saura bien mettre obstacle.
Tu verras que les dieux n'ont dicté cet oracle,
Que pour croître à la fois sa gloire et mon toumrent,
Et la rendre plus belle aux yeux de son amant.
Hé quoi! ne vois-tu pas tout ce qu'on fait pour elle?
On supprime des dieux la sentence mortelle;
Et, quoique le bûcher soit déjà préparé,
Le nom de la victime est encore ignoré.
Tout le camp n'en sait rien. Doris, à ce silence,
Ne reconnais-tu pas un père qui balance?
Et que fera-t-il donc ? Quel courage endurci
Soutiendra les assauts qu'on lui prépare ici?
Une mère en fureur, les larmes d'une fille,
Les cris, le désespoir de toute une famille,
Le sang
à ces objets facile à s'ébranler,
Achille menaçant tout prêt à l'accabler:

Non, te dis-je, les dieux l'ont en vain condamnée;
Je suis, et je serai la seule infortunée.

Ah, si je m'en croyais!

DORIS.

Quoi, que m'éditez-vous? ÉRIPHILE.

Je ne sais qui m'arrête et retient mon courroux;

Que, par un prompt avis de tout ce qui se passe,
Je ne coure des dieux divulguer la menace,

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