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Et je croyais toucher au bienheureux moment, Où j'allais, par ses mains, couronner mon amant. Le Ciel s'est déclaré contre mon artifice.

Et, que fallait-il donc, Zaïre, que je fisse ?
A l'erreur de Roxane ai-je dû m'opposer,
Et perdre mon amant pour la désabuser?
Avant que dans son cœur cette amour fût formée,~
J'aimais, et je pouvais m'assurer d'être aimée.
Dès nos plus jeunes ans, tu t'en souviens assez,
L'amour serra les nœuds par le sang commencés.
Elevée avec lui dans le sein de sa mère,
J'appris à distinguer Bajazet de son frère;
Elle-même, avec joie, unit nos volontés :

Et, quoiqu'après sa mort l'un de l'autre écartés;
Conservant, sans nous voir, le désir de nous plaire,
Nous avons su toujours nous aimer et nous taire,
Roxane qui depuis, loin de s'en défier,

A ses desseins secrets voulut m'associer,

Ne put voir, sans amour, ce héros trop aimable.
Elle courut lui tendre une main favorable.
Bajazet étonné rendit grâce à ses soins,

Lui rendit des respects. Pouvait-il faire moins!
Mais qu'aisément l'amour croit tout ce qu'il souhaite!
De ses moindres respects Roxane satisfaite
Nous engagea tous deux, par sa facilité,
A la laisser jouir de sa crédulité.

Zaïre, il faut pourtant avouer ma faiblesse,
D'un mouvement jaloux je ne fus pas maîtresse.
Ma rivale, accablant mon amant de bienfaits,
Opposait un empire à mes faibles attraits;

Mille soins la rendaient présente à sa mémoire;

Elle l'entretenait de sa prochaine gloire :

Et moi, je ne puis rien. Mon cœur, pour tout discours,
N'avait que des soupirs qu'il répétait toujours.

Le Ciel seul sait combien j'en ai versé de larmes.
Mais, enfin, Bajazet dissipa mes alarmes

Je condamnai mes pleurs, et, jusques aujourd'hui,
Je l'ai pressé de feindre, et j'ai parlé pour lui.
Hélas, tout est fini! Roxane méprisée,
Bientôt de son erreur sera désabusée.
Car, enfin, Bajazet ne sait point se cacher;
Je connais sa vertu prompte à s'effaroucher.
Il faut qu'à tous momens, tremblante et secourable,
Je donne à ses discours un sens plus favorable.
Bajazet va se perdre. Ah! si, comme autrefois,
Ma rivale eût voulu lui parler par ma voix !
Au moins si j'avais pu préparer son visage!
Mais, Zaïre, je puis l'attendre à son passage.
D'un mot ou d'un regard je puis le secourir.
Qu'il l'épouse, en un mot plutôt que de périr.
Si Roxane le veut, sans doute, il faut qu'il meure.
Il se perdra, te dis-je. Atalide, demeure.
Laisse, sans t'alarmer, ton amant sur sa foi.
Penses-tu mériter qu'on se perde pour toi?
Peut-être Bajazet, secondant ton envie,
Plus que tu ne voudras, aura soin de sa vie..

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Ah! dans quels soins, Madame, allez-vous vous plonger?
Toujours, avant le temps, faut-il vous affliger?
Vous n'en pouvez douter, Bajazet vous adore.
Suspendez ou cachez l'ennui qui vous dévore.
N'allez point par vos pleurs déclarer vos amours.

La main qui l'a sauvé le sauvera toujours, Pourvu qu'entretenue en son erreur fatale, Roxane, jusqu'au bout, ignore sa rivale. Venez en d'autres lieux enfermer vos regrets, Et de leur entrevue attendre le succès.

ATALIDE.

Hé bien, Zaïre, allons. Et toi, si ta justice
De deux jeunes amans veut punir l'artifice,
O Ciel, si notre amour est condamné de toi,
Je suis la plus coupable, épuise tout sur moi.

FIN DU PREMIER ACTE,

ACTE II.

SCÈNE PREMIÈRE.

BAJAZET, ROXANE.

ROXANE.

PRINCE, l'heure fatale est enfin arrivée

Qu'à votre liberté le Ciel a réservée,

Rien ne me retient plus ; et je puis, dès ce jour,
accomplir le dessein qu'a formé mon amour.
Non,que vous assurant d'un triomphe facile,
Je mette entre vos mains un empire tranquille;
Je fais ce que je puis, je vous l'avais promis.
J'arme votre valeur contre vos ennemis,
J'écarte de vos jours un péril manifeste,
Votre vertu, Seigneur, achevera le reste.
Osmin a vu l'armée; elle penche pour vous.
Les chefs de notre loi conspirent avec nous,
Le visir Acomat vous répond de Bysance,
Et moi, vous le savez, je tiens sous ma puissance
Cette foule de chefs, d'esclaves, de muets,
Peuple que dans ces murs renferme ce palais;
Et dont, à ma faveur, les âmes asservies

M'ont vendu dès long-temps leur silence et leurs vies.
Commencez maintenant. C'est à vous de courir

Dans le champ glorieux que j'ai su vous ouvrir.
Vous n'entreprenez point une injuste carrière,
Vous repoussez, Seigneur, une main meurtrière.
L'exemple en est commun; et, parmi les sultans,
Ce chemin à l'empire a conduit de tout temps.
Mais, pour mieux commencer, hâtons-nous l'un et l'autre
D'assurer à la fois mon bonheur et le vôtre.
Mentrez à l'univers, en m'attachant à vous,
Que quand je vous servais, je servais mon époux;
Et, par le nœud sacré d'un heureux hyménée,
Justifiez la foi que je vous ai donnée.

BAJAZET.

Ah, que proposez-vous, Madame!

ROXANE.

Hé quoi, Seigneur!

Quel obstacle secret trouble notre bonheur !

BAJAZET.

Madame, ignorez-vous que l'orgueil de l'empire....
Que ne m'éparguez-vous la douleur de le dire?

ROXANE.

Oui, je sais que, depuis qu'un de vos empereurs,
Bajazet, d'un barbare éprouvant les fureurs,
Vit au char du vainqueur son épouse enchaînée,
Et par toute l'Asie à sa suite traînée,

De l'honneur ottoman ses successeurs jaloux
Ont daigné rarement prendre le nom d'époux.
Mais l'amour ne suit point ces lois imaginaires;
Et, sans vous rapporter des exemples vulgaires,
Soliman, vous savez qu'entre tous vos aïeux,
Dont l'univers a craint le bras victorieux,
Nul n'éleva si haut la grandeur ottomane,
3.- Racine,

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