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ÉRIPHILE.

Ah, je succombe enfin ! Je reconnais l'effet des tendresses d'Achille.

Je n'emporterai point une rage inutile.
Plus de raisons. Il faut ou la perdre ou périr.
Viens, te dis-je. A Calchas je vais tout découvrir.

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

ACTE V.

SCÈNE PREMIÈRE.

IPHIGÉNIE, AEGINE.

IPHIGÉNIE.

CESSE de m'arrêter. Va, retourne à ma mère,
AEgine. Il faut des dieux apaiser la colère.
Pour ce sang malheureux qu'on veut leur dérober,
Regarde quel orage est tout prêt à tomber.
Considère l'état où la reine est réduite.

Vois comme tout le camp s'oppose à notre fuite;
Avec quelle insolence ils ont de toutes parts
Fait briller à nos yeux la pointe de leurs dards.
Nos gardes repoussés, la reine évanouie...
Ah, c'est trop l'exposer, souffre que je la fuie!
Et, sans attendre ici ses secours impuissans,
Laisse-moi profiter du trouble de ses sens.
Mon père même, hélas ! puisqu'il faut te le dire,
Mon père, en me sauvant, ordonne que j'expire.

ÆGINE.

Lui, Madame! Quoi donc? Qu'est-ce qui s'est passé ? IPHIGÉNIE.

Achille trop ardent l'a peut-être offensé.

Mais le roi, qui le hait, veut que je le haïsse.

Il ordonne à mon cœur cet affreux sacrifice;
Il m'a fait par Arcas expliquer ses souhaits,
AEgine; il me défend de lui parler jamais.

Ah, Madame!

ÆGINE.

IPHIGÉNIE.

Ah, sentence! Ah, rigueur inouie ! Dieux plus doux, vous n'avez demandé que ma vie ! Mourons, obéissons... Mais qu'est-ce que je voi! Dieux, Achille !

SCÈNE II.

ACHILLE, IPHIGÉNIE.

ACHILLE.

Venez, Madame, suivez-moi.

Ne craignez ni les cris, ni la foule impuissante
D'un peuple qui se presse autour de cette tente.
Paraissez; et bientôt, sans attendre mes coups,
Ces flots tumultueux s'ouvriront devant vous.
Patrocle, et quelques chefs qui marchent à ma suite,
De mes Thessaliens vous amènent l'élite.
Tout le reste, assemblé près de mon étendard,
Vous offre de ses rangs l'invincible rempart.
A vos persécuteurs opposons cet asile.

Qu'ils viennent vous chercher sous les tentes d'Achille.
Quoi, Madame! est-ce ainsi que vous me secondez?
Ce n'est que par des pleurs que vous me répondez.
Vous fiez-vous encore à de si faibles armes?
Hâtons-nous. Votre père a déjà vu vos larmes.

IPHIGÉNIE.

Je le sais bien, Seigneur. Aussi tout mon espoir N'est plus qu'au coup mortel que je vais recevoir.

ACHILLE.

Vous, mourir! Ah, cessez de tenir ce langage!
Songez-vous quel serment vous et moi nous engage!
Songez-vous, pour trancher d'inutiles discours,
Que le bonheur d'Achille est fondé sur vos jours!
IPHIGÉNIE.

Le Ciel n'a point aux jours de cette infortunée
Attaché le bonheur de votre destinée.

Notre amour nous trompait; et les arrêts du sort
Veulent que ce bonheur soit un fruit de ma mort.
Songez, Seigneur, songez à ces moissons de gloire
Qu'à vos vaillantes mains présente la victoire.
Ce champ si glorieux, où vous aspirez tous,
Si mon sang ne l'arrose, est stérile pour vous.
Telle est la loi des dieux à mon père dictée.
En vain, sourd à Calchas, il l'avait rejetée.
Par la bouche des Grecs, contre moi conjurés,
Leurs ordres éternels se sont trop déclarés.
Partez. A vos honneurs j'apporte trop d'obstacles.
Vous-même dégagez la foi de vos oracles.
Signalez ce héros à la Grèce promis,

Tournez votre douleur contre ses ennemis.
Déjà Priam pâlit. Déjà Troie en alarmes
Redoute mon bûcher, et frémit de vos larmes.
Allez; et, dans ces murs vides de citoyens,
Faites pleurer mna mort aux veuves des Troïens.
Je meurs dans cet espoir satisfaite et tranquille;

Si je n'ai pas vécu la compagne d'Achille,
J'espère que du moins un heureux avenir
A vos faits immortels joindra mon souvenir;
Et qu'un jour mon trépas, source de votre gloire,
Ouvrira le récit d'une si belle histoire.

Adieu, Prince! vivez; digne race des dieux.

ACHILLE.

Non, je ne reçois point vos funestes adieux.
En vain par ce discours votre cruelle adresse
Veut servir votre père, et tromper ma tendresse.
En vain vous prétendez, obstinée à mourir,
Intéresser ma gloire à vous laisser périr.

Ces moissons de lauriers,ces honneurs, ces conquêtes,
Ma main, en vous servant, les trouve toutes prêtes.
Et qui de ma faveur se voudrait honorer,

Si mon hymen prochain ne peut vous assurer?
Ma gloire, mon amour, vous ordonne de vivre.
Venez, Madame; il faut les en croire, et me suivre.
IPHIGÉNIE.

Qui! moi? Que contre un père osant me révolter,
Je mérite la mort que j'irais éviter?

Où serait le respect, et ce devoir suprême...

ACHILLE.

Vous suivrez un époux avoué par lui-même.
C'est un titre qu'en vain il prétend me voler.
Ne fait-il des sermens que pour les violer?
Vous-même, que retient un devoir si sévère,
Quand il vous donne à moi, n'est-il point votre père?
Suivez-vous seulement ses ordres absolus,

Quand il cesse de l'être, et ne vous connaît plus?

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