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ACOMAT.

Hé bien !

L'usage des sultans à ses vœux est contraire;
Mais cet usage, enfin, est-ce une loi sévère,
Qu'aux dépens de vos jours vous deviez observer!
La plus sainte des lois, ah, c'est de vous sauver!
Et d'arracher, Seigneur, d'une mort manifeste,
des Ottomans, dont vous faites le reste.

Le

sang

BAJAZET.

Ce reste malheureux serait trop acheté,
S'il faut le conserver par une lâcheté.

ACOMAT.

Et pourquoi vous en faire une image si noire?
L'hymen de Soliman ternit-il sa mémoire ?
Cependant Soliman n'était point menacé
Des périls évidens dont vous êtes pressé.

BAJAZET.

Et ce sont ces périls, et ce soin de ma vie,
Qui d'un servile hymen feraient l'ignominie.
Soliman n'avait point ce prétexte odieux.
Son esclave trouva grâce devant ses yeux;
Et, sans subir le joug d'un hymen nécessaire,
Il lui fit de son cœur un présent volontaire.

ACOMAT.

Mais vous aimez Roxane.

BAJAZET.

Acomat, c'est assez;

Je me plains de mon sort moins que vous ne pensez. La mort n'est point pour moi le comble des disgrâces: J'osai, tout jeune encor, la chercher sur vos traces; Et l'indigne prison où je suis renfermé

A la voir de plus près m'a même accoutumé.
Amurat à mes yeux l'a vingt fois présentée.
Elle finit le cours d'une vie agitée.

Hélas! si je la quitte avec quelque regret...
Pardonnez, Acomat, je plains avec sujet

Des cœurs dont les bontés, trop mal récompensées,
M'avaient pris pour objet de toutes leurs pensées.

ACOMAT.

Ah! si nous périssons, n'en accusez que vous,
Seigneur. Dites un mot, et vous nous sauvez tous.
Tout ce qui reste ici de braves janissaires,
De la religion les saints dépositaires,

Du peuple bysantin ceux qui, plus respectés,
Par leur exemple seul règlent ses volontés,
Sont prêts de vous conduire à la porte sacrée,
D'où les nouveaux sultans font leur première entrée.

BAJAZET.

Hé bien, brave Acomat, si je leur suis si cher,
Que des mains de Roxane ils viennent m'arracher;
Du sérail, s'il le faut, venez forcer la porte.
Entrez accompagné de leur vaillante escorte.
J'aime mieux en sortir sanglant, couvert de coups,
Que chargé, malgré moi, du nom de son époux.
Peut-être je saurai, dans ce désordre extrême,
Par un beau désespoir me secourir moi-même;
Attendre, en combattant, l'effet de votre foi,
Et vous donner le temps de venir jusqu'à moi.

ACOMAT.

Hé, pourrai-je empêcher, malgré ma diligence, Que Roxane, d'un coup, n'assure sa vengeance?

Alors qu'aura servi ce zèle impétueux,
Qu'à charger vos amis d'un crime infructueux ?
Promettez. Affranchi du péril qui vous presse,
Vous verrez de quel poids sera votre promesse.

Moi!

BAJAZET.

ACOMAT.

Ne rougissez point. Le sang des Ottomans Ne doit point en esclave obéir aux sermens. Consultez ces héros, que le droit de la guerre Mena victorieux jusqu'au bout de la terre. Libres dans leur victoire, et maîtres de leur foi, L'intérêt de l'état fut leur unique loi;

Et d'un trône si saint la moitié n'est fondée
Que sur la foi promise et rarement gardée.
Je m'emporte, Seigneur.

BAJAZET.

Oui, je sais, Acomat,

Jusqu'où les a portés l'intérêt de l'état.

Mais ces mêmes héros, prodigues de leur vie,
Ne la rachetaient point par une perfidie.

ACOMAT.

O courage inflexible! O trop constante foi,
Que, même en périssant, j'admire malgré moi!
Faut-il qu'en un moment un scrupule timide
Perde... Mais quel bonheur nous envoie Atalide?

SCÈNE IV.

ATALIDE, BAJAZET, ACOMAT.

ACOMAT.

Ah, Madame! venez avec moi vous unir.

Il se perd.

ATALIDE.

C'est de quoi je viens l'entretenir.
Mais laissez-nous. Roxane, à sa perte animée,
Veut que de ce palais la porte soit fermée.
Toutefois, Écomat, ne vous éloignez pas,
Peut-être on vous fera revenir sur vos pas.

SCÈNE V.

BAJAZET, ATALIDE.

BAJAZET.

Hé bien! C'est maintenant qu'il faut que je vous laisse.
Le Ciel punit ma feinte, et confond votre adresse.
Rien ne m'a pu parer contre ces derniers coups;
Il fallait ou mourir, ou n'être plus à vous.
De quoi nous a servi cette indigne contrainte?
Je meurs plus tard. Voilà tout le fruit de ma feinte.
Je vous l'avais prédit; mais vous l'avez voulu.
J'ai reculé vos pleurs autant que je l'ai
pu.

Belle Atalide, au nom de cette complaisance,
Daignez de la sultane éviter la présence.

Vos pleurs vous trahiraient, cachez-les à ses yeux,
Et ne prolongez point de dangereux adieux.

ATALIDE.

Non, Seigneur. Vos bontés pour une infortunée Ont assez disputé contre la destinée.

Il vous en coûte trop pour vouloir m'épargner, Il faut vous rendre. Il faut me quitter et régner.

Vous quitter?

BAJAZET.

ATALIDE.

Je le veux. Je me suis consultée. De mille soins jaloux jusqu'alors agitée, Il est vrai, je n'ai pu concevoir sans effroi, Que Bajazet pût vivre et n'être plus à moi; Et lorsque quelquefois de ma rivale heureuse Je me représentais l'image douloureuse, Votre mort (pardonnez aux fureurs des amans), Ne me paraissait pas le plus grand des tourmens. Mais à mes tristes yeux votre mort préparée Dans toute son horreur ne s'était pas montrée. Je ne vous voyais pas ainsi que je vous vois, Prêt à me dire adieu pour la dernière fois. Seigneur, je sais trop bien avec quelle constance Vous allez de la mort affronter la présence. Je sais que votre cœur se fait quelques plaisirs De me prouver sa foi dans ses derniers soupirs. Mais, hélas, épargnez une âme plus timide! Mesurez vos malheurs aux forces d'Atalide; Et ne m'exposez point aux plus vives douleurs, Qui jamais d'une amante épuisèrent les pleurs.

BAJAZET.

Et que deviendrez-vous, si dès cette journée, Je célèbre à vos yeux ce funeste hyménée ?

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