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Ce chagrin, qu'en sortant il m'a fait remarquer?

ATALIDE.

Madame, ce chagrin n'a point frappé ma vue.
Il m'a de vos bontés long-temps entretenue,
Il en était tout plein quand je l'ai rencontré.
J'ai cru le voir sortir tel qu'il était entré.
Mais, Madame, après tout, faut-il être surprise
Que, tout près d'achever cette grande entreprise,
Bajazet s'inquiète, et qu'il laisse échapper
Quelque marque des soins qui doivent l'occuper?

ROXANE.

Je vois qu'à l'excuser votre adresse est extrême. Vous parlez mieux pour lui qu'il ne parle lui-même.

ATALIDE.

Et quel autre intérêt....

ROXANE.

Madame, c'est assez.

Je conçois vos raisons mieux que vous ne pensez.
Laissez-moi. J'ai besoin d'un peu de solitude.
Ce jour me jette aussi dans quelque inquiétude.
J'ai, comme Bajazet, mon chagrin et mes soins,
Et je veux un moment y penser sans témoins.

SCÈNE VII.

ROXANE seule.

De tout ce que je vois que faut-il que je pense? Tous deux à me tromper sont-ils d'intelligence? Pourquoi ce changement, ce discours, ce départ? N'ai-je pas même entre eux surpris quelque regard?

Bajazet interdit! Atalide étonnée!

O Ciel, à cet affront m'auriez-vous condamnée?
De mon aveugle amour seraient-ce là les fruits,
Tant de jours douloureux, tant d'inquiètes nuits,
Mes brigues, mes complots, ma trahison fatale,
N'aurais-je tout tenté que pour une rivale?
Mais peut-être qu'aussi, trop prompte à m'affliger,
J'observe de trop près un chagrin passager.
J'impute à son amour l'effet de son caprice.
N'eût-il pas jusqu'au bout conduit son artifice?
Prêt à voir le succès de son déguisement,

Quoi, ne pouvait-il pas feindre encore un moment?
Non, non,rassurons-nous. Trop d'amour m'intimide.
Et pourquoi dans son cœur redouter Atalide?
Quel serait son dessein? Qu'a-t-elle fait pour lui?
Qui de nous deux enfin le couronne aujourd'hui ?
Mais, hélas, de l'amour ignorons-nous l'empire!
Si par quelque autre charme Atalide l'attire,
Qu'importe qu'il nous doive et le sceptre et le jour ?
Les bienfaits dans un cœur balancent-ils l'amour?
Et, sans chercher plus loin, quand l'ingrat me sut plaire,
Ai-je mieux reconnu les bontés de son frère?
Ah, si d'une autre chaîne il n'était point lié,
L'offre de mon hymen l'eût-il tant effrayé ?
N'eût-il pas, sans regret, secondé mon envie?
L'eût-il refusé même aux dépens de sa vie?
Que de justes raisons... Mais qui vient me parler?
Que veut-on ?

SCÈNE VIII.

ROXANE, ZATIME.

ZATIME.

Pardonnez, si j'ose vous troubler.

Mais, Madame, un esclave arrive de l'armée;
Et, quoique sur la mer la porte fût fermée,
Les gardes, sans tarder l'ont ouverte à genoux
Aux ordres du sultan qui s'adressent à vous.
Mais, ce qui me surprend, c'est Orcan qu'il envoie,

Orcan!

ROXANE.

ZATIME.

Oui, de tous ceux que le sultan emploie,
Orcan le plus fidèle à servir ses desseins,
Né sous le Ciel brûlant des plus noirs Africains.
Madame, il vous demande avec impatience.
Mais j'ai cru vous devoir avertir par avance;
Et, souhaitant surtout qu'il ne vous surprît pas,
Dans votre appartement j'ai retenu ses pas.

ROXANE.

Quel malheur imprévu vient encor me confondre? Quel peut être cet ordre, et que puis-je répondre? Il n'en faut point douter, le sultan inquiet

Une seconde fois condamne Bajazet.

On ne peut sur ses jours, sans moi, rien entreprendre.
Tout m'obéit ici; mais dois-je le défendre ?
Quel est mon empereur? Bajazet? Amurat?
J'ai trahi l'un; mais l'autre est peut-être un ingrat.
Le temps presse, que faire en ce doute funeste?

Allons. Employons bien le moment qui nous reste. Ils ont beau se cacher, l'amour le plus discret Laisse par quelque marque échapper son secret. Observons Bajazet. Étonnons Atalide;

Et couronnons l'amant; ou perdons le perfide.

FIN DU TROISIÈME ACTE.

ACTE IV.

SCÈNE PREMIÈRE.

ATALIDE, ZAIRE.

ATALIDE.

AH! sais-tu mes frayeurs? Sais-tu que dans ces lieux
J'ai vu du fier Orcan le visage odieux?

En ce moment fatal que je crains sa venue!
Que je crains... Mais dis-moi, Bajazet t'a-t-il vue?
Qu'a-t-il dit? Se rend-il, Zaïre, à mes raisons?
Ira-t-il voir Roxane, et calmer ses soupçons?

ZAÏRE.

Il ne peut plus la voir sans qu'elle le commande.
Roxane ainsi l'ordonne, elle veut qu'il l'attende.
Sans doute à cet esclave elle veut le cacher.
J'ai feint, en le voyant, de ne le point chercher.
J'ai rendu votre lettre, et j'ai pris sa réponse.
Madame, vous verrez ce qu'elle vous annonce.

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ATALIDE.

Après tant d'injustes détours,

‹ Faut-il qu'à feindre encor votre amour me convie?

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Mais je veux bien prendre soin d'une vie

<< Dont vous jurez que dépendent vos jours. « Je verrai la sultane; et, par ma complaisance,

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