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BAJAZET, frère du sultan Amurat.

ROXANE, sultane favorite du sultan Amurat.

ATALIDE, fille du sang ottoman.

ACOMAT, grand-visir.

OSMIN, confident du grand-visir.
ZATIME, esclave de la sultane.
ZAIRE, esclave d'Atalide.
GARDES.

La scène est à Constantinople, autrement dite Bysance, dans le sérail du grand-seigneur.

TRAGÉDIE.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

ACOMAT, OSMIN.

ACOMAT.

VIENS, suis-moi.La sultane en ce lieu se doit rendre. Je pourrai cependant te parler et t'entendre.

OSMIN.

Et depuis quand, Seigneur, entre-t-on dans ces lieux,
Dont l'accès était même interdit à nos yeux?
Jadis une mort prompte eût suivi cette audace.

ACOMAT.

Quand tu seras instruit de tout ce qui se passe, Mon entrée en ces lieux ne te surprendra plus. Mais laissons, cher Osmin, les discours superflus. Que ton retour tardait à mon impatience!

Et que, d'un œil content, je te vois dans Bysanee! Instruis-moi des secrets que peut t'avoir appris

Un voyage si long pour moi seul entrepris.

De ce qu'ont vu tes yeux, parle en témoin sincère ;
Songe que du récit, Osmin, que tu vas faire,
Dépendent les destins de l'empire ottoman.
Qu'as-tu vu dans l'armée, et que fait le sultan?

OSMIN.

Babylone, Seigneur, à son prince fidèle,

Voyait, sans s'étonner, notre armée autour d'elle;
Les Persans rassemblés marchaient à son secours,
Et du camp d'Amurat s'approchaient tous les jours.
Lui-même fatigué d'un long siége inutile,
Semblait vouloir laisser Babylone tranquille;
Et sans renouveler ses assauts impuissans,
Résolu de combattre, attendait les Persans.
Mais, comme vous savez, malgré ma diligence,
Un long chemin sépare et le camp et Bysance,
Mille obstacles divers m'ont même traversé;
Et je puis ignorer tout ce qui s'est passé.

ACOMAT.

Que faisaient cependant nos braves janissaires? Rendent-ils au sultan des hommages sincères? Dans le secret des cœurs, Osmin, n'as-tu rien lu? Amurat jouit-il d'un pouvoir absolu?

OSMIN.

Amurat est content, si nous le voulons croire,
Et semblait se promettre une heureuse victoire.
Mais en vain par ce calme il croit nous éblouir,
Il affecte un repos dont il ne peut jouir.
C'est en vain que forçant ses soupçons ordinaires,
Il se rend accessible à tous les janissaires.
Il se souvient toujours que son inimitié

Voulut de ce grand corps retrancher la moitié,
Lorsque pour affermir sa puissance nouvelle,
Il voulait, disait-il, sortir de leur tutelle.
Moi-même j'ai souvent entendu leurs discours;
Comme il les craint sans cesse, ils le craignent toujours.
Ses caresses n'ont point effacé cette injure.
Votre absence est pour eux un sujet de murmure.
Ils regrettent le temps, à leur grand cœur si doux,
Lorsqu'assurés de vaincre ils combattaient sous vous.

ACOMAT.

Quoi, tu crois, cher Osmin, que ma gloire passée
Flatte encor leur valeur et vit dans leur pensée ?
Crois-tu qu'ils me suivraient encor avec plaisir,
Et qu'ils reconnaîtraient la voix de leur visir?

OSMIN.

Le succès du combat réglera leur conduite.
Il faut voir du sultan la victoire ou la fuite.
Quoiqu'à regret, Seigneur, ils marchent sous ses lois,
Ils ont à soutenir le bruit de leurs exploits.
Ils ne trahiront point l'honneur de tant d'années.
Mais enfin le succès dépend des destinées.
Si l'heureux Amurat, secondant leur grand cœur,
Aux champs de Babylone est déclaré vainqueur,
Vous les verrez soumis rapporter dans Bysance
L'exemple d'une avengle et basse obéissance.
Mais si dans le combat le destin plus puissant,
Marque de quelque affront son empire naissant;
S'il fuit, ne doutez point que, fiers de sa disgrâce,
A la haine bientôt ils ne joignent l'audace,
Et n'expliquent, Seigneur, la perte du combat,
Comme un arrêt du Ciel qui réprouve Amurat.

Cependant, s'il en faut croire la renommée,
Il a depuis trois mois fait partir de l'armée
Un esclave chargé de quelque ordre secret.
Tout le camp interdit tremblait pour Bajazet.
On craignait qu'Amurat, par un ordre sévère,
N'envoyât demander la tête de son frère.

ACOMAT.

Tel était son dessein. Cet esclave est venu;
Il a montré son ordre, et n'a rien obtenu.

OSMIN.

Quoi, Seigneur, le sultan reverra son visage,
Sans que de vos respects il lui porte ce gage?

ACOMAT.

Cet esclave n'est plus. Un ordre, cher Osmin,
L'a fait précipiter dans le fond de l'Euxin.

OSMIN.

Mais le sultan, surpris d'une trop longue absence, En cherchera bientôt la cause et la vengeance.

Que lui répondrez-vous ?

ACOMAT.

Peut-être, avant ce temps,

Je saurai l'occuper de soins plus importans.
Je sais bien qu'Amurat a juré ma ruine.

Je sais à son retour l'accueil qu'il me destine.
Tu vois, pour m'arracher du cœur de ses soldats,
Qu'il va chercher sans moi les siéges, les combats:
Il commande l'armée; et moi, dans une ville,

Il me laisse exercer un pouvoir inutile.

Quel emploi, quel séjour, Osmin, pour un vizir!
Mais j'ai plus dignement employé ce loisir.
J'ai su lui préparer des craintes et des veilles;

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