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N'importe. Poursuivons. Elle peut, comme moi,
Sur des gages trompeurs s'assurer de sa foi.
Pour le faire expliquer tendons-lui quelque piége.
Mais quel indigne emploi moi-même m'imposé-je?
Quoi donc! A me gêner appliquant mes esprits,
J'irai faire à mes yeux éclater ses mépris?
Lui-même il peut prévoir et tromper mon adresse.
D'ailleurs l'ordre, l'esclave et le visir me presse.
Il faut prendre parti, l'on m'attend. Faisons mieux.
Sur tout ce que j'ai vu fermons plutôt les yeux.
Laissons de leur amour la recherche importune.
Poussons à bout l'ingrat, et tentons la fortune.
Voyons si, par mes soins sur le trône élevé,
Il osera trahir l'amour qui l'a sauvé;
Et si de mes bienfaits lâchement libérale
Sa main en osera couronner ma rivale.
Je saurai bien toujours retrouver le moment
De punir, s'il le faut, la rivale et l'amant.
Dans ma juste fureur, observant la perfide,
Je saurai le surprendre avec son Atalide;
Et d'un même poignard les unissant tous deux,
Les percer l'un et l'autre, et moi-même après eux.
Voilà, n'en doutons point, le parti qu'il faut prendre.
Je veux tout ignorer.

SCÈNE V.

ROXANE, ZATIME.

ROXANE.

Ah, que viens-tu m'apprendre?

Zatime, Bajazet en est-il amoureux?

3. Racine.

6

Vois-tu dans ses discours qu'ils s'entendent tous deux ?

ZATIME.

Elle n'a point parlé. Toujous évanouie,
Madame, elle ne marque aucun reste de vie,
Que par de longs soupirs et des gémissemens,
Qu'il semble que son cœur va suivre à tous momens.
Vos femmes, dont le soin à l'envi la soulage,
Ont découvert son sein pour leur donner passage.
Moi-même, avec ardeur, secondant ce dessein,
J'ai trouvé ce billet enfermé dans son sein.
Du prince votre amant j'ai reconnu la lettre;
Et j'ai cru qu'en vos mains je devais le remettre.

ROXANE.

Donne. Pourquoi frémir? Et quel trouble soudain Me glace à cet objet, et fait trembler ma main ! peut l'avoir écrit sans m'avoir offensée.

Il

Il peut même... Lisons, et voyons sa pensée.

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Ni la mort, ni vous même, « Ne me ferez jamais prononcer que je l'aime, Puisque jamais je n'aimerai que vous. » Ah, de la trahison me voilà donc instruite! Je reconnais l'appât dont ils m'avaient séduite. Ainsi donc mon amour était récompensé, Lâche, indigne du jour que je t'avais laissé! Ah, je respire enfin ! et ma joie est extrême Que le traître, une fois, se soit trahi lui-même. Libre des soins cruels où j'allais m'engager, Ma tranquille fureur n'a plus qu'à se venger. Qu'il meure! Vengeons-nous.Courez. Qu'on le saisisse. Que la main des muets s'arme pour son supplice. Qu'ils viennent préparer ces nœuds infortunés,

Par qui de ses pareils les jours sont terminés.
Cours, Zatime, sois prompte à servir ma colère.

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Si, sans trop vous déplaire,

Dans les justes transports, Madame, où je vous vois,
J'osais vous faire entendre une timide voix :
Bajazet, il est vrai, trop indigne de vivre,
Aux mains de ces cruels mérite qu'on le livre.
Mais, tout ingrat qu'il est, croyez-vous aujourd'hui
Qu'Amurat ne soit pas plus à craindre que lui?
Et qui sait si déjà quelque bouche infidèle
Ne l'a point averti de votre amour nouvelle?
Des cœurs, comme le sien, vous le savez assez,
Ne se regagnent plus, quand ils sont offensés;
Et la plus prompte mort, dans ce moment sévère,
Devient de leur amour la marque la plus chère.

ROXANE.

Avec quelle insolence et quelle cruauté,
Ils se jouaient tous deux de ma crédulité!
Quel penchant, quel plaisir je sentais à les croire !
Tu ne remportais pas une grande victoire,
Perfide, en abusant ce cœur préoccupé,
Qui lui-même craignait de se voir détrompé.
Tu n'as pas eu besoin de tout ton artifice.
Et je veux bien te faire encor cette justice;
Toi-même, je m'assure, as rougi plus d'un jour,
Dupeu qu'il t'en coûtait pour tromper tant d'amour.

Moi qui, de ce haut rang, qui me rendait si fière,
Dans le sein du malheur t'ai cherché la première,
Pour attacher des jours tranquilles, fortunés,
Aux périls dont tes jours étaient environnés :
Après tant de bonté, de soin, d'ardeurs extrêmes!
Tu ne saurais jamais prononcer que tu m'aimes!
Mais dans quel souvenir me laissé-je égarer?
Tu pleures, malheureuse? Ah, tu devais pleurer,
Lorsque, d'un vain désir à ta perte poussée,
Tu conçus de le voir la première pensée!
Tu pleures ? Et l'ingrat, tout prêt à te trahir,
Prépare les discours dont il veut t'éblouir.
Pour plaire à ta rivale il prend soin de sa vie.
Ah, traître, tu mourras! Quoi, tu n'es point partie ?
Va. Mais nous-même allons, précipitons nos pas.
Qu'il me voie, attentive au soin de son trépas,
Lui montrer à la fois, et l'ordre de son frère,
Et de sa trahison ce gage trop sincère.
Toi, Zatime, retiens ma rivale en ces lieux.
Qu'il n'ait, en expirant, que ses cris pour adieux.
Qu'elle soit cependant fidèlement servie.

Prends soin d'elle. Ma haine a besoin de sa vie.
Ah si, pour son amant facile à s'attendrir,
La peur de son trépas la fit presque mourir;
Quel surcroît de vengeance et de douceur nouvelle,
De le montrer bientôt pâle et mort devant elle !
De voir sur cet objet ses regards arrêtés
Me payer les plaisirs que je leur ai prêtés!
Va, retiens-la. Surtout garde bien le silence.
Moi... Mais qui vient içi différer ma vengeauce?

SCÈNE VI.

ROZANE, ACOMAT, OSMIN.

ACOMAT.

Que faites-vous, Madame? En quels retardemens.
D'un jour si précieux perdez-vous les momens?
Bysance, par mes soins presque entière assemblée,
Interroge ses chefs, de leur crainte troublée;
Et tous, pour s'expliquer, ainsi que mes amis,
Attendent le signal que vous m'aviez promis.
D'où vient que, sans répondre à leur impatience,
Le sérail cependant garde un triste silence?
Déclarez-vous, Madame; et, saus plus différer....

ROXANE.

Oui, vous serez content, je vais me déclarer,

ACOMAT.

Madame, quel regard, et quelle voix sévère,
Malgré votre discours, m'assure du contraire?
Quoi, déjà votre amour des obstacles vaincu...

ROXANE.

Bajazet est un traître, et n'a que trop vécu.

Lui!

ACOMAT.

ROXANE.

Pour moi, pour vous-même également perfide,

Il nous trompait tous deux.

ACOMAT.

Comment?

ROXANE.

Cette Atalide,

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