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CHEZ L'ÉDITEUR, M. ANTENOR DE CAMPESTRE,
EX-LIEUTENANT D'INFANTERIE,

RUE MONTMARTRE, N. 5,

ET CHEZ LES MARCHANDS DE NOUVEAUTÉS.

DE

MADAME DE CAMPESTRE.

Je laisse à ceux qui voudront s'en donner la peine le soin de coudre une préface au récit fidèle que je vais tracer de mes infortunes. Elles ont eu trop d'éclat pour que je puisse garder le silence. Je me dois à moi-même, au rang honorable où je suis née, d'en tracer le triste tableau.

Dans l'histoire d'une femme qui a vu la cour et le grand monde, la description des avantages extérieurs pourrait peut-être tenir une place intéressante; mais j'ai à m'occuper de bien d'autres soins. A quoi servirait d'ailleurs le panégyrique d'une chose, hélas, si passagère! Je ne suis ni assez jeune pour m'en prévaloir, ni assez âgée pour en esquisser le souvenir avec quelque complaisance. Ce n'est pas de ma personne, mais de ma vie que j'ai à parler. C'est dans la captivité

que j'écris, loin de ce monde que j'ai vu, où j'ai été accueillie avec empressement et dont je me trouve aujourd'hui abandonnée.

Je dirai avec une égale franchise et mes torts et ceux des autres, et, dût s'en offenser mon amour-propre, j'acquitterai tout ce que je dois à la vérité et à ma conscience. Née avec une sensibilité extrême, une imagination ardente, je suis un composé bizarre de douceur et de violence, de tristesse et de gaîté, et dans des temps moins pénibles, cette gaîté allait quelquefois jusqu'à la folie. Jours de bonheur, qu'êtes-vous devenus! On dirait que la nature s'est plu à me composer d'éléments opposés et contradictoires. On vante ma bonté; plus juste envers moi-même, je dois avouer qu'elle n'est, le plus souvent, que l'effet d'une faiblesse paresseuse. Mais ces disparates, quelque singulières qu'elles puissent paraître, m'ont souvent préservée des plus noirs chagrins, du plus sombre désespoir; car dans les tristes circonstances où je me suis trouvée, comment n'aurais-je pas succombé à leurs déchirantes atteintes?

Sans doute j'ai eu des torts; une imprévoyance habituelle, le penchant qui me porte à bien penser, au premier coup-d'œil, des personnes qui se présentent à moi, à les parer des qualités que je

leur désire, m'ont rendue souvent dupe de ma trop facile imagination.

Je parlais d'elles avec emphase, je les louais outre mesure; puis, revenue de mes illusions, obligée de convenir de mon erreur, je passais ensuite avec la rapidité de l'éclair d'une extrémité à l'autre; je brisais ce que j'avais adoré. L'éloignement, le dégoût que je manifestais pour ceux que j'avais d'abord jugés avec tant d'avantage, m'ont fait des ennemis irréconciliables. Mais si j'ai manqué d'expérience, je me dois cette justice que je n'ai jamais manqué d'obligeance et de générosité. Comment se fait-il donc que dans l'abîme de l'infortune, je sois demeurée sans un ami consolateur? Est-ce ma faute, est-ce celle des personnes que j'ai connues? je ne veux point m'appesantir sur ce triste sujet. Mais je devais ces détails à ceux qui voudront bien me lire, afin qu'ils puissent mieux me juger.

Hélas! pourquoi suis-je réduite à chercher des lecteurs, à entretenir de moi le public? Ma triste destinée m'a fait naître dans l'abondance et les honneurs; était-ce pour me livrer ensuite au sort déplorable qui m'accable? O chère montagne où je suis née, pourquoi t'avoir quittée, pourquoi n'avoir pas su jouir en paix de l'ombre de tes bois, de tes odoriférants berceaux d'orangers!

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