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lence, épithète que les Celtes appliquaient au chêne, ⚫ parce qu'il produisait le gui sacré, objet de leur culte. » Il avait, d'ailleurs, son nom particulier en leur lan» gue; ils l'appelaient derw. De derw, les Celtes » avaient fait druïdes, prêtres du chêne. La ville de » Dreux en tire aussi son nom. César dit, en effet, que » le grand collège des Druïdes était situé aux confins du » pays Chartrain, précisément où est Dreux. C'est de ce › même mot que les Grecs ont fait drus, chêne, et ▸ par suite druades et amadruades, divinités du chêne. › Il paraît même que l'idée d'attacher des divinités aux › chênes était, parmi les Grecs, un rite de la religion › des Celtes, leurs ancêtres. En mythologie, le chêne › était consacré à Jupiter, le premier des dieux; il en » est de même des célèbres oracles des chênes de » Dodone. »

C'est par ce procédé, appliqué à un nombre infini de noms et de mots de toute origine, que M. de Théis a contribué à rendre plus facile et presque populaire une science, longtemps réservée à quelques élus et à laquelle ne suffisaient pas les plus prodigieux efforts de mémoire. Les savants peuvent se passer de ce livre; mais il est indispensable à qui voudra le devenir.

Nous vous prions, Messieurs, de nous pardonner si nous nous sommes un peu étendu sur cette première production de M. de Théis; mais ce qui nous a frappé dans son travail, ce que nous ne saurions assez faire remarquer, ce n'est pas seulement le mérite réel, c'est l'esprit de suite, c'est l'opiniâtreté du laborieux auteur, c'est ensuite le besoin de vulgariser la science, qui sera le caractère dominant de tous ses écrits.

Après l'enfantement de cette œuvre d'érudition et dans les intervalles de loisir que lui laissaient d'impor

tantes fonctions publiques et d'autres sévères études dont nous parlerons bientôt, M. de Théis voulut prouver que l'imagination, cette folle du logis, comme l'appellent les poètes, le visitait encore familièrement comme au temps de sa jeunesse. Il y avait, en effet, sous cette figure grave et sereine, dans cette tête que l'âge commençait à blanchir, un coin de poésie toujours prêt à se révéler.

Il publia deux romans, l'un en 1818, les Mémoires d'un Espagnol; l'autre en 1825, les Mémoires d'un Français : faciles délassements d'une plume qui annotait alors, pour le grand ouvrage qui devait assurer sa renommée, Tite-Live, Salluste, Polibe, Plutarque et toute l'antiquité grecque et romaine.

Les Mémoires d'un Espagnol nous reportent d'abord aux souvenirs de l'invasion de la péninsule en 1808. Don Alphonse de Péraldo, jeune Castillan, sortant des mains d'une mère chrétienne et veuve, est appelé au Mexique pour y recueillir la riche succession d'un oncle. Au retour, jeté seul, par un naufrage, sur une île déserte de la mer du Sud, il y rencontre une jeune fille, une enfant, sauvage et presque nue, qui devient sa compagne, qu'il instruit selon le dieu de vérité, qu'il élève selon son cœur, en développant chez elle tous les instincts d'une pudeur charmante. La jeune sauvage, ainsi transformée, devient épouse et mère. Heureuse, elle va voir l'Espagne, la patrie qui lui est promise; mais elle meurt dans la traversée, à Manille, laissant un fils, beau comme elle, qui vient vaillamment tomber, à vingt ans, à côté de son père, en défendant le château de ses aïeux, sous les balles d'une bande de soldats français.

Tel est le sujet de ce premier roman réduit à sa plus simple expression.

L'autre est encore un épisode de nos guerres impériales, de la gigantesque campagne de Russie en 1812. Le héros est un jeune gentilhomme français, revenu de l'émigration à la suite de son père, à qui l'Empereur, partant pour Moscou, a envoyé un brevet de sous-lieutenant de cavalerie. Il s'éloigne du château paternel, laissant derrière lui une famille désolée, dont il est le dernier et cher rejeton, et une femme généreuse et belle, dont il n'est pas l'époux, qu'il aime pourtant d'une passion profonde, secrètement partagée, amie trop tendre qui a gardé, dans son innocence violemment troublée, la foi jurée à un vieillard, aimable et bon, devenu son père sous le titre de son mari. — Il part, et, dès les premiers pas, dans une sanglante escarmouche, aux bords de la Moskowa, il tombe, blessé et prisonnier, aux mains de l'ennemi, mais après avoir eu le bonheur de sauver la vie à un vaillant officier russe qui, jeté à terre et renversé, allait périr sous le sabre de nos soldats. Emmené sur un charriot, à travers des steppes incultes et des forêts sans fin, le hasard lui fait trouver un asile dans un château où il est reçu par une jeune femme en deuil qui a juré haine et malédiction aux Français qui envahissent sa patrie et à qui elle impute la mort de son mari tué dans les derniers combats. Mais ce mari qu'elle pleurait est vivant; c'est ce même seigneur russe sauvé par notre officier français. Ils se retrouvent, ils se reconnaissent; une vive et charmante amitié s'établit entre eux. Comment le jeune seigneur, guéri de ses blessures, poussé par l'ambition, s'élance à d'autres périls, remettant sa femme, belle et sensible, à l'honneur de son ami, comment un amour ardent, trop partagé, s'allume eutre l'épouse délaissée et l'ami trop confiant en sa propre vertu, comment enfin se dé

noue ce drame triste, douloureux, plein d'intérêt, c'est ce qu'il serait trop long de raconter, ce qui suffit cependant pour donner une idée de tes compositions légères où se délassait le talent de M. de Théis dans les loisirs occupés de son âge mûr.

Dans l'une et l'autre, il faut le dire, l'invention est faible; mais si la fable et les situations n'offrent pas ces péripéties inattendues qui s'attaquent aux nerfs et ont fait la fortune de nos romans modernes, si quelques peintures trop vives de l'amour, toutes gracieuses qu'elles soient, peuvent effrayer la pudeur inquiète de la mère de famille, il faut tout pardonner à ce style simple, clair, naturel surtout, qui, quoique fort soigné dans sa facile abondance, semble couler comme d'une source pure et intarissable; puis, en définitive, on y retrouve, toujours et partout, un hommage à la vertu et l'austère devoir triomphant des folles passions du monde et de la jeunesse.

C'est à travers ces jeux un peu frivoles d'une imagination encore pleine de jeunesse que nous arrivons aux rudes travaux, je veux dire à l'ouvrage, devenu classique, qui a consacré le nom de M. de Théis parmi les plus estimables écrivains de notre âge. En 1821, entre les Mémoires d'un Espagnol et les Mémoires d'un Français, avait paru le Voyage de Polyclète. Qu'il nous soit permis de nous étendre un peu sur cette œuvre qui est le titre considérable de M. de Théis à un regard de la postérité.

Le Voyage de Polyclète a pour objet de nous faire connaître ou plutôt de nous faire voir Rome, à cette époque, si célèbre dans ses annales, où Marius et Sylla, représentant, l'un sa farouche démocratie, l'autre le fier orgueil de ses patriciens, se disputaient, le glaive à la main,

le droit de vie ou de mort sur leurs ennemis; à cette époque où, victorieuse au dehors par ses armes, vaincue au dedans par ses dissensions, se débattant au nom de la liberté dans le sang et la plus dégradante servitude, cette conquérante du monde tendait la gorge à qui daignerait l'opprimer et proscrire ses plus illustres citoyens. C'était à la fois un tableau d'histoire et un tableau de mœurs que M. de Théis s'était donné à peindre, et il le fallait assez instructif pour attacher les esprits sérieux, assez dramatique pour plaire aux esprits frivoles.

Polyclète est un jeune et noble Athénien qui a vaillamment défendu sa patrie, la ville de Minerve, assiégée par Sylla, et que Sylla vainqueur envoie à Rome comme ôtage. Polyclète y devient l'hôte honoré et chéri du vertueux consul Octavius, et, mêlé à sa famille, observateur attentif et curieux de tout ce qui se dit, de tout ce qui se passe autour de lui, il le raconte à son père et à ses amis d'Athènes dans des lettres où l'intérêt le plus vif, qui s'attache à la nostalgie du jeune étranger, se confond toujours avec l'intérêt des terribles évènements dont il est le témoin, et du spectacle, si nouveau à ses yeux, de la ville éternelle s'agitant dans sa grandeur et dans ses misères. Sylla, devenu dictateur, sauvé du poignard d'un assassin par le généreux dévouement de Polyclète, le renvoie dans sa patrie avec le titre, alors si envié, de citoyen romain.

Voilà la fable où M. de Théis a fait entrer les trésors accumulés de vingt ans de lecture. Qu'on y trouve une imitation du voyage d'Anacharsis en Grèce ; qui le peut nier? Mais l'abbé Barthélemy n'avait-il pas été, vers la fin du 18e siècle, l'imitateur ingénieux des Lettres Persanes dont l'idée avait été fournie, dit-on, à Montesquieu lui-même par le Siamois de Dufresny? Ce qui importe

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