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180 TRANSLATION AND READING.-(See the Dictionary at the end.)

Le prix du temps.

(FRANÇOIS D'AGUESSEAU (1668-1751) est principalement célèbre comme magistrat intègre et comme orateur éloquent; mais il n'était pas moins remarquable par ses qualités sociales, par ses sentiments religieux et par son instruction immense. On estime encore ses ouvrages, entre lesquels on remarque des Méditations métaphysiques, &c.)

Le chancelier d'Aguesseau, un des hommes qui avaient su le mieux mettre le temps à profit, et qui, par conséquent était très exact et toujours prêt à l'heure précise pour chaque chose, avait remarqué que, lorsqu'il se rendait à table pour le dîner au premier avis, sa femme le faisait toujours attendre pendant dix minutes. Au lieu de s'en plaindre, ce qui aurait bien pu être inutile, il prit un autre parti pour ne pas perdre chaque jour ces dix minutes. Il entreprit un travail avec la résolution d'y consacrer seulement et exclusivement ce temps-là. Le manuscrit était toujours ouvert sur une table à part; au moment où l'on annonçait au chancelier qu'il était servi, au lieu de se rendre à la salle manger, il se mettait à son manuscrit, posait sa montre devant lui, et écrivait juste pendant dix minutes, après quoi il allait dîner.

à

Au bout de quelques années, ce travail a formé plusieurs volumes, dont la postérité est redevable à l'inexactitude de la femme du chancelier, qui ne se doutait pas qu'elle fît une si belle œuvre.-LAURENT DE JUSSIEU.

Lettre de Racine à son fils.

(JEAN RACINE, l'un des plus grands poètes du siècle de Louis XIV, naquit à la Ferté-Milon en 1639. A l'exception de ses deux premières tragédies, il n'a écrit que des chefs-d'œuvre, parmi lesquels on admire surtout Britannicus, Iphigénie, Phèdre et Athalie. Il écrivait en prose presque aussi bien qu'en vers, comme on peut s'en assurer en lisant ses Lettres, qui sont remplies de naturel. Il mourut en 1699.)

PARIS, le 3 juin 1695.

MON CHER FILS,-C'est tout de bon' que nous partons pour notre voyage de Picardie. Comme je serai quinze jours sans vous voir, et que vous êtes continuellement présent à mon esprit, je ne puis m'empêcher de vous répéter encore deux ou trois choses que je crois très importantes pour votre conduite.

La première, c'est d'être extrêmement circonspect dans vos paroles, et d'éviter la réputation d'être un parleur, qui est la plus mauvaise réputation qu'un jeune homme puisse avoir dans le pays où vous entrez3. La seconde est d'avoir une extrême docilité pour les avis de M. et de Mme Vigan, qui vous aiment comme leur enfant.

N'oubliez point vos études, et cultivez continuellement votre mémoire, qui a grand besoin d'être exercée. Je vous demanderai compte à mon retour de vos lectures, et surtout de l'histoire de France, dont je vous demanderai à voir vos extraits.

Vous savez ce que je vous ai dit des opéras et des comédies: on en doit jouer à Marly3. Il est très important pour vous et pour moi-même qu'on ne vous y voie point, d'autant plus que vous êtes présentement à Versailles pour y faire vos exercices, et non point pour assister à toutes

1 i.e., sérieusement.

2 i.e., A Versailles, où se tenait la cour de Louis XIV (voyez p. 15). Marly est un bourg près de Paris; ce fut le séjour favori de Louis XIV dans sa vieillesse,

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ces sortes de divertissements. Le roi et toute la cour savent le scrupule que je me fais d'y aller; et ils auraient très méchante1 opinion de vous, si, à l'âge où vous êtes, vous aviez si peu d'égard pour moi et pour mes sentiments. Je devrais avant toutes choses vous recommander de songer toujours à votre salut, et de ne point perdre l'amour que je vous ai vu pour la religion. Le plus grand déplaisir qui puisse m'arriver au monde, c'est s'il me revenait que vous êtes un indévot et que Dieu vous est devenu indifférent. Je vous prie de recevoir cet avis avec la même amitié que je vous le donne. Adieu, mon cher fils: donnez-moi souvent de vos nouvelles. JEAN RACINE. Suscription:-A Monsieur Racine le jeune, gentilhomme ordinaire du roi, chez Monsieur Vigan, à Versailles.

Le retour dans la patrie.

Je me rappelle que lorsque j'arrivai en France sur un vaisseau qui venait des Indes, dès que les matelots eurent distingué la terre de la patrie, ils devinrent pour la plupart incapables d'aucune manœuvre. Les uns la regardaient sans pouvoir en détourner les yeux, d'autres mettaient leurs beaux habits, comme s'ils avaient été au moment de descendre; il y en avait qui parlaient tout seuls, et d'autres qui pleuraient. A mesure que nous approchions, le trouble de leurs têtes augmentait: comme ils en étaient absents depuis plusieurs années, ils ne pouvaient se lasser d'admirer la verdure des collines, le feuillage des arbres, et jusqu'aux rochers du rivage couverts d'algues et de mousse, comme si tous ces objets leur eussent été nouveaux. Les clochers des villages où ils étaient nés, qu'ils reconnaissaient au loin dans les campagnes, et qu'ils nommaient les uns après les autres, les remplissaient d'allégresse. Mais quand le vaisseau entra dans le port, et qu'ils virent sur les quais, leurs amis, leurs pères, leurs mères, leurs enfants, qui leur tendaient les bras en pleurant, et qui les appelaient par leurs noms, il fut impossible d'en retenir un seul à bord. Tous sautèrent à terre, et il fallut suppléer, suivant l'usage de ce port, aux besoins du vaisseau par un autre équipage.-BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. (See HAVET'S "French Studies," p. 121.)

Extrait d'une lettre de Victor Hugo à Louis Boulanger3. VEVEY, 21 septembre 1838. Je vous écris cette lettre, cher Louis, à peu près au hasard, ne sachant pas où elle vous trouvera, ni même si elle vous trouvera. Où êtes-vous en ce moment? que faites-vous? Etes-vous à Paris? êtes-vous en Normandie? Avez-vous l'œil fixé sur les toiles que votre pensée fait rayonner? Je ne sais ce que vous faites; mais je pense à vous, je vous écris et je vous aime.

Je voyage en ce moment comme l'hirondelle. Je vais devant moi cherchant le beau temps. Où je vois un coin de ciel bleu, j'accours. Les nuages, les pluies, la bise, l'hiver viennent derrière moi comme des ennemis qui me poursuivent, et recouvrent les pauvres pays à mesure

1 i.e., mauvaise.

2 i.e., si j'apprenais.

3 Louis Boulanger, peintre français né en 1806, a illustré les œuvres de Victor Hugo, et lui a emprunté les sujets de plusieurs de ses meilleurs tableaux.

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que je les quitte. Il pleut maintenant à verse sur Strasbourg, que je visitais il y a quinze jours; sur Zurich, où j'étais la semaine dernière; sur Berne, où j'ai passé hier. Moi, je suis à Vévey2, jolie petite ville, blanche, propre, anglaise, confortable, chauffée par les pentes méridionales du mont Chardonne comme par des poêles et abritée par les Alpes comme par un paravent. J'ai devant moi un ciel d'été, le soleil, des coteaux couverts de vignes mûres, et cette magnifique émeraude du Léman enchâssée dans des montagnes de neige comme dans une orfèvrerie d'argent.-Je vous regrette.--VICTOR HUGO, anteur vivant, né à Besançon en 1802.

Bernadotte à la cour de Vienne (1798).

(BERNADOTTE, célèbre général français, naquit à Pau en 1764, et devint roi de Suède, en 1818, sous le nom de Charles-Jean ou Charles XIV. Il mourut en 1846; son fils Oscar lui succéda.)

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Le général Bernadotte, devenu plus tard roi de Suède, avait été envoyé par la république française en qualité d'ambassadeur à Vienne. On sut dans cette cour altière qu'il avait servi comme simple soldat dans un régiment dont était colonel M. de Béthizy. On crut humilier le guerrier français en lui rappelant qu'il avait commencé sa carrière par être simple soldat. Un jour, dans un cercle brillant et nombreux, le baron de Thugut, ministre autrichien, lui dit: "Monsieur l'ambassadeur, nous avons ici un ancien officier émigré qui prétend vous avoir beaucoup connu autrefois."-" Puis-je vous demander quel est cet officier?" "Il se nomme M. de Béthizy.' "Oui, je le connais parfaitement; c'était mon colonel, et j'ai eu l'honneur d'être simple soldat sous ses ordres; je le déclare, si je suis devenu quelque chose, je le dois aux bontés et surtout aux encouragements que ce brave chef a bien voulu me donner. Je regrette que ma position actuelle ne me permette pas de l'accueillir à l'hôtel de l'ambassade de France, comme je le désirerais;' mais dites-lui bien, je vous prie, que Bernadotte, son ancien soldat, a toujours conservé pour lui des sentiments de respect et de reconnaissance." Qui demeura stupéfait de cette noble franchise? Ce fut le sot ministre qui, en croyant humilier le général français, lui avait donné l'occasion de faire connaître l'élévation de ses sentiments. -T. H. BARRAU.

Les infiniment petits.

L'autre jour, que j'étais couché à l'ombre, je m'avisai de remarquer la variété des herbes et des animaux que je trouvai sous mes yeux. Je comptai, sans changer de place, plus de vingt sortes d'insectes dans un fort petit espace, et pour le moins autant de diverses plantes. Je pris un de ces insectes, dont je ne sais point le nom, et peut être n'en a-t-il point; je le considérai attentivement, et je ne crains point de vous dire de lui ce que Jésus-Christ assure des lis champêtres: que Salomon dans toute sa gloire n'avait point de si magnifiques ornements. Après que

1 Strasbourg est la capitale de l'Alsace.

2 Zurich, Berne et Vévey sont des villes de Suisse.

3 Le Léman se nomme aussi le lac de Genève.

4 L'ambassadeur de la république française ne devait avoir aucun rapport avec les émigrés (voyez p. 176).

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j'eus admiré quelque temps cette petite créature si injustement méprisée, et même si indignement et si cruellement traitée par les autres animaux, à qui apparemment elle sert de pâture, je me mis à lire un livre que j'avais sur moi et j'y trouvai une chose fort étonnante: c'est qu'il y a dans le monde un nombre infini d'insectes pour le moins un million de fois plus petits que celui que je venais de considérer, cinquante mille fois plus petits qu'un grain de sable.-MALEBRANCHE, 1638-1715.

La classe en voyage.

1. Le temps des fréquents voyages de mon père était favorable pour nous. Il nous menait presque toujours avec lui, et son carrosse1 devenait une espèce de classe où nous avions le bonheur de travailler sous les yeux d'un si grand maître. On y observait une règle presque aussi uniforme que si nous eussions été dans le lieu de son séjour ordinaire.

2. Après la prière des voyageurs par laquelle ma mère commençait toujours sa marche, nous expliquions les auteurs grecs et latins2 qui étaient l'objet actuel de notre étude. Mon père se plaisait à nous faire bien pénétrer le sens des passages les plus difficiles; et ses réflexions nous étaient plus utiles que cette lecture même. Nous apprenions par cœur un certain nombre de vers qui excitaient en lui, lorsque nous les récitions, cette espèce d'enthousiasme qu'il avait naturellement pour la poésie; souvent même il nous obligeait à traduire du français en latin pour suppléer aux thèmes que le voyage ne nous permettait pas de faire. Une lecture commune de quelque livre d'histoire ou de morale succédait à ces exercices, ou bien chacun suivait son goût dans une lecture particulière; car une des choses qu'il nous inspirait le plus, sans l'exiger absolument, était que nous eussions toujours quelque livre de choix pour le lire après nos études ordinaires, afin de nous accoutumer par là à nous passer du secours d'un maître, et à contracter non-seulement l'habitude, imais l'amour du travail.-F. D'AGUESSEAU. (Voyez p. 180.)

Qui ne dit mot consent3. —(Anecdote.)

1. On m'a conté une anecdote assez singulière sur l'empereur Napoléon. Un homme d'esprit, qui était à la fois assez instruit et très malheureux, songea qu'il remplirait une petite place un peu lucrative, aussi bien qu'une multitude de sots bien payés, et qui n'ont pour eux que leur bonheur. Il demanda donc un emploi: mais il n'avait point de protecteurs; et l'on sait que le mérite seul ne protége personne. Il essaya vainement trois ou quatre pétitions qui, selon l'usage, ne furent pas remises au monarque.

2. Fatigué, impatient, et toujours plus pauvre, il s'avisa d'un stratagème, qui ne serait pas indigne d'un courtisan. La nécessité donne souvent d'heureuses idées. Il écrivit avec beaucoup de soin un petit placet qu'il adressa à sa majesté le roi de Rome. Il ne demandait qu'un emploi de six mille francs; ce qui était très modeste.

3. Le cœur plein de l'espoir du succès, il alla trouver un officier

1 Voiture in modern French.

? Or better les auteurs grecs et les auteurs latins. HAVET'S "French Class-Book," p. 253, note. 3 "Silence is consent."

• Voyez remettre dans le dictionnaire.

5 Placet, "petition."

184 TRANSLATION AND READING.-(See the Dictionary at the end.)

général attaché à la personne de l'empereur; il lui avoua sa détresse, lui montra son placet, et lui dit: "Monsieur, vous feriez encore une action généreuse, et vous auriez droit à ma reconnaissance éternelle, si vous me donniez le moyen de présenter ce papier à l'empereur." Le général, qui était accessible autant que brave, conduisit le pétitionnaire devant Napoléon.

4. L'empereur prit le placet, remarqua l'adresse, et en parut agréablement étonné.- "Sire," lui dit-on, "c'est une pétition pour sa majesté le roi de Rome."-"Eh bien!" répondit l'empereur, "qu'on porte la pétition à son adresse." Le roi de Rome avait alors six mois. Quatre chambellans eurent ordre de conduire le pétitionnaire devant la petite majesté. Le solliciteur ne se démonta pas2: il voyait la fortune sourire. Il se présenta devant le berceau du prince, déplia son papier, et en fit lecture à haute et intelligible voix, après les plus respectueuses révérences. L'enfant-roi balbutia quelques sons pendant cette lecture, et ne répondit point à la demande. Le cortége salua le petit monarque; et l'empereur demanda quelle réponse on avait obtenue?-"Sire, sa majesté n'a rien répondu." -“ Qui ne dit rien, consents," reprit Napoléon: "la place est accordée."--COLLIN DE PLANCY, auteur vivant né à Plancy, près d'Arcis-sur-Aube, en 1793.

Le décisionnaire1. Fragment d'une lettre de Rica à Usbek.

(Ce morceau est extrait d'une des LETTRES PERSANES où de prétendus Persans, voyageant en France, expriment d'une manière spirituelle leurs opinions, ou plutôt celles de Montesquieu, sur les mœurs de ce pays, et sur beaucoup de questions graves.)

Je me trouvais l'autre jour dans une compagnie où je vis un homme bien content de lui. Dans un quart d'heure il décida trois questions de morale, quatre problèmes historiques, et cinq points de physique. Je n'ai jamais vu un décisionnaire aussi universel; son esprit ne fut jamais suspendu par le moindre doute. On laissa les sciences; on parla des nouvelles du temps: il décida sur les nouvelles du temps. Je voulus l'attraper, et je dis en moi-même: "Il faut que je me mette en mon fort; je vais me réfugier dans mon pays." Je lui parlai de la Perse: mais à peine lui eus-je dit quatre mots, qu'il me donna deux démentis, fondés sur l'autorité de Tavernier et de Chardin". "Ah!" dis-je en moimême, "quel homme est cela? Il connaîtra tout à l'heure les rues d'Ispahan mieux que moi." Mon parti fut bientôt pris, je me tus, je le laissai parler, et il décide encore.-] -MONTESQUIEU. (P. 178.)

Désespoir d'Harpagon à qui l'on a volé son argent. Au voleur! au voleur! à l'assassin! ciel! je suis perdu, je suis assassiné; on dérobé mon argent. Qui peut-ce être?

au meurtrier! Justice, juste m'a coupé la gorge: on m'a Qu'est-il devenu? Où est-il?

1 Napoléon (II), duc de Reichstadt, né à Paris en 1811.-Nommé roi de Rome à sa naissance, on l'emmena en Autriche en 1814, où il fut placé sous bonne garde. Il mourut en 1832 au château de Schoenbrunn, près de Vienne.

2 "Was not nonplussed," "did not lose his wits."

3 "Silence is consent."

4 Le décisionnaire est celui qui décide rapidement et avec assurance. Ce mot est inusité.

5 TAVERNIER (1605-1686), auteur des Voyages en Turquie, en Perse et aux Indes.

6 CHARDIN (1643-1713), auteur du Voyage en Perse.

7 Ispahan, ville de Perse dont elle était jadis la capitale.

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