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que le peuple en eût toujours le tableau présent à ses yeux et à son esprit! ce serait une garantie éternelle contre le retour de toute espèce d'oppresseurs. Nous allons en tracer l'esquisse en invitant les écrivains amis de l'ordre à l'achever.

» Avant le 14 juillet un seul homme, avec une minorité dépositaire de ses faveurs, était tout, et le peuple rien. Avant le 9 thermidor un seul individu, fort de l'audace de quelques brigands intéressés à son ambition, avait replongé la nation entière dans sa première nullité.

» Avant le 14 juillet un vieux parchemin tenait lieu de talens, d'instruction, de vertus. Avant le 9 thermidor le mérite suprême était attaché à une carte de jacobin.

>> Sous le régime capétien la tyrannie s'élançait de la tige féodale qui était le trône, et, passant par les mains des suzerains et des seigneurs en sous-ordre, des gouverneurs de province et des commissaires départis, des parlemens et des tribunaux subalternes, des conseils, des cours et des commissions spéciales, allait écraser tout ce qui n'était pas privilégié, tout ce qui n'était pas noble ou prêtre. Sous le régime robespierrien la tyrannie avait son trône dans le sein de la société mère, et, parcourant l'échelle des clubs de département, de district et de canton, de leurs commissaires respectifs, des comités, des tribunaux et des armées révolutionnaires, proscrivait, égorgeait ou rançonnait tout ce qui n'appartenait pas à quelqu'une des affiliations dominatrices.

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Qu'on cite un plébéien qui n'ait pas succombé luttant contre un grand seigneur ! Qu'on cite un républicain qui n'ait pas succombé luttant contre un jacobin!

>> L'anarchie avait fait les seigneurs ; c'est l'anarchie qui fit nos derniers tyrans.

» Dans leur origine les seigneurs n'avaient que des fonctions précaires, qui consistaient à surveiller l'exécution des lois administratives: nous les voyons dans leur sanglante histoire rivalisant insensiblement avec leur chef, appelé roi, s'érigeant en souverains, rompant toutes les relations commerciales; reléguant la France dans les plus épaisses ténèbres de la stagnation, de l'ignorance et de la barbarie; profitant de ce chaos pour fonder une puissance absolue sur les personnes et les

propriétés; emprisonnant, affamant, mutilant, égorgeant tout ce qui ne restait pas humblement soumis à l'oppression ; supposant que toutes les terres leur avaient originairement appartenu, et qu'ils les avaient distribuées à titre féodal, avec le droit de les reprendre quand les conditions du plus absurde, du plus inique esclavage n'étaient pas ponctuellement observées.

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» N'avons-nous pas également vu les jacobins, appelés d'abord à une simple surveillance, destinés à éclairer le peuplé sur ses droits et à le guérir de ses vieux préjugés, si grands; si utiles tant qu'ils se tinrent renfermés dans l'objet de leur institution, ne les avons-nous pas vu porter aussi loin qué les antiques seigneurs le délire de leur ambition et de leur cupidité ; prétendre qu'ils étaient le peuple souverain, s'orga→ niser en puissance rivale et oppressive de ses représentans, et au nom de la nation, étendre un sceptre de fer sur la nation entière? Ne les avons-nous pas entendus ériger le pillage en précepte, prêcher ouvertement la loi agraire, dont le résultat infaillible aurait été l'anéantissement de tout commerce, de toute industrie, de toute circulation, l'inculture des terres, une misère universelle, la nécessité pour chaque individu de vendre ou d'abandonner sa mince portion territoriale, et d'aller chercher sa subsistance sur un sol étranger; la facilité pour un petit nombre d'hommes, riches de rapines et d'accord avec les tyrans extérieurs, d'appeler et de concentrer dans leurs mains toutes les possessions foncières; le retour des grands terriers, et, par une suite naturelle, le rétablissement de la monarchie féodale!

>> Toute la caste nobiliaire n'était pas également opprimante : elle comptait dans son sein des philosophes, des amis de l'humanité, entraînés avec regret par le torrent monarchique, et gémissant des horribles abus qui pesaient sur l'état social; on en a vu même un grand nombre adopter franchement les vrais principes de la révolution.

» Il faut en dire autant de la caste sociétaire. Il est constant qu'une minorité, concentrée dans les sociétés populaires, gouvernait tyranniquement la France; mais toutes ces sociétés, dont la masse s'était toujours conservée şaine et pure, étaient

elles-mêmes gouvernées, chacune dans son sein, par une autre minorité très resserrée d'ambitieux et de brigands ; combien d'instrumens mêmes de cet exécrable régime ne l'avaient été que par fanatisme, par faiblesse, ou pour se soustraire aux proscriptions des motionnaires et des initiateurs du crime! et combien n'en vîmes-nous pas aussi se rallier au 9 thermidor!

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>>> Comment la minorité féodale était-elle parvenue à retenir si longtemps dans la servitude les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la nation? C'est qu'elle était en possession exclusive de tous les emplois de la fortune, qui donnaient du crédit ou de l'autorité; c'est que les finances et les forces publiques étaient toutes dans ses mains; qu'elle recueillait tous les honneurs, tous les avantages de l'Etat, sans supporter aucune de ses charges; qu'elle avait étouffé toute idée d'équité naturelle et sociale; qu'elle était elle-même le juge de ses usurpations, de ses rapines, de ses exactions; que ses volontés étaient la loi, et ses passions la justice; c'est que par de pieuses impostures elle avait associé le ciel aux iniquités dont elle souillait la terre; c'est que l'arbitraire le plus rapide et le plus effrayant pesait sur toutes les têtes non titrées, et que la Bastille ou l'échafaud attendait l'homme courageux qui osait dire ou écrire la vérité.

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» Les jacobins et leurs affiliés ont-ils employé d'autres ressorts pour asseoir et cimenter leur domination?

Comme l'ancienne noblesse, ils s'étaient exclusivement emparé de toutes les fonctions publiques; comme elle, ils se faisaient gloire de mépriser les sciences et les arts, de consacrer l'ignorance et la barbarie, qui sont le tombeau de la liberté.

» Comme elle, ils avaient avili et entravé la presse au point qu'elle n'osait exprimer que leurs principes, leurs louanges, leurs intérêts et leurs volontés suprêmes.

>> Comme elle, ils s'étaient élevés au-dessus des lois, ne respectant que la justice des voleurs, qui ont des règles pour eux et n'en connaissent aucune pour les autres, corrompant la morale publique par leurs discours et leurs actions, encourageant le crime et désespérant la vertu par les blasphemes

de l'athéisme, versant leurs poisons sur tous les principes conservateurs de l'humanité , entreprenant de falsifier les liens mêmes de la nature et de la société pour les plier à leurs passions, se faisant un jeu de séduire et d'immoler la pudeur, la forçant de se vendre à une fausse protection et à l'espoir souvent trompé de sauver un père, une mère, époux...

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» Comme elle enfin, ils s'étaient arrogé le privilége de disposer de la fortune individuelle et publique, de s'enrichir de concussions et de brigandages, de frapper de captivité ou de mort tout homme qui, ayant des connaissances, du bien, de l'industrie ou du courage, ne montrait pas un dévouement servile à leur atroce système; et c'est par la terreur que, toujours attachés aux traces de l'ancienne noblesse, ils comprimaient l'indignation du peuple, et soutenaient l'étonnant et monstrueux édifice de leur puissance.

» Il est donc vrai que les hommes détrônés par le 9 thermidor n'étaient que les successeurs des hommes détrônés par le 14 juillet. Malheur à ceux qui tenteraient de relever l'empire des uns ou des autres ! Ils sont également ennemis du peuple; et le peuple, qui n'a que trop appris à les connaître, saura se garantir de leurs perfidies, et venger les outrage's qu'ils feraient à la liberté.

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Partisans de la terreur décemvirale, partisans de la terreur monarchique, osez soumettre vos prétentions respectives au jugement de la raison et de la vérité !

» Vous qui accusez la justice thermidorienne d'avoir fait rétrograder la liberté, d'avoir mis l'égalité en péril, répondez! Est-ce faire rétrograder la liberté que de la retirer du chaos sanglant où vous l'aviez précipitée, que de la ramener à son objet naturel, le bonheur du peuple et le triomphe de l'humanité? Est-ce blesser l'égalité que de l'associer à la justice? Cette justice, que vous calomniez avec tant de scélératesse ou d'ineptie, est-elle autre chose que l'égalité mise en action? Et n'est-ce pas précisément l'absence de la justice qui constitue l'inégalité civile et politique, le despotisme et l'oppression?

» Ce n'est donc pas la cauşe de la liberté, c'est la cause de

la tyrannie, c'est votre propre cause que vous défendez! Vous voudriez encore des suspicions, des scellés, des taxes révolutionnaires, des vengeances, des proscriptions, des assassinats!

» Vous qui, pour rendre odieux le gouvernement républicain, l'accusez de toutes les horreurs qui ont précédé le g thermidor, vous savez bien que ce gouvernement n'existait pas, qu'il n'existe pas même encore, mais qu'il touche au moment d'être organisé. Nous n'avions pas plus de liberté avant cette mémorable époque qu'avant celle du 14 juillet; nous n'avions, sous le nom de liberté, qu'une bacchante toujours ivre de sang, toujours affamée de victimes; et c'est cette furie que vous voudriez ressusciter aujourd'hui sous le nom de royauté !

» Avec la royauté vous demandez nécessairement et les attributs qui en sont inséparables, et les crimes qu'entraînerait sa réorganisation; vous demandez donc le rétablissement de la noblesse, le régime féodal, les corvées, les bannalités, les cens, les champarts, cette foule de droits seigneuriaux qui dégradaient les personnes et dévoraient les propriétés !

Vous demandez donc la gabelle et toutes les vexations qui l'accompagnent!

» Vous demandez donc un clergé possesseur d'une grande portion du territoire français, et de la dixième partie des fruits croissant sur la totalité du territoire !

» Vous demandez donc la réinstallation des brigands qui sont allés provoquer la coalition de l'Europe, et se sontjoints à nos plus cruels ennemis pour porter le fer et la flamme'dans le sein de leur patrie !

» Vous demandez donc l'anéantissement absolu du gage de nos assignats, et l'horrible banqueroute, engloutissant avec eux toutes les fortunes particulières et toute la fortune nationale!

» Vous demandez donc les torches du fanatisme, les fureurs de la vengeance, le pillage, l'incendie, les assassinats !

>> Vous demandez donc la mort de tous les hommes qui ont occupé des postes publics depuis le commencement de la révolution, de tous ceux qui se sont fait inscrire sur

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