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la perfidie; ils s'isolent de vous pour mesurer les coups qu'ils se préparent à vous porter.

» Le point d'appui du royalisme est frappé, mais il n'est pas abattu ; son horrible ouvrage subsiste tout entier; la famine, la banqueroute, l'assassinat des patriotes restent organisés. Les conjurés vont s'asseoir parmi les magistrats, parmi les mandataires du peuple; et lorsque la royauté seule devrait être en deuil, par quelle fatalité le crêpe du malheur et de la mort enveloppe-t-il toujours le sol de la République !

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Représentans du peuple, la punition du crime n'épouvante que la faiblesse ; vous êtes comptables au peuple de sa grandeur: si vous n'atteignez tous les traîtres par la rigueur de la justice, si vous ne punissez les attentats qui ont fait couler des flots de sang et de larmes, vous vous chargez d'une responsabilité terrible.

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Songez qu'après la scélératesse ce qui menace le plus la patrie c'est la pusillanimité des gens de bien; leur mollesse assure l'impunité, encourage le crime, et laisse opprimer le peuple.

» C'est surtout par amour pour la justice et pour l'humanité que j'évoqué du fond de vos cœurs les sentimens forts et énergiques d'une fermeté inébranlable. Une justice prompte et inflexible eût déjà rompu tous les complots; votre indulgence les a fait renouer plus vous attendrez, plus vous verrez s'accroître les obstacles et les dangers. Que les leçons de l'expérience nous apprennent à être sages! Le temps est précieux; si vous persistez à vous montrer indulgens aujourd'hui, vous serez cruels demain. Soyez sévères, pour que personne ne soit atroce; soyez fermes, afin de n'être jamais exagérés; maintenezvous à la hauteur de la justice, si vous ne voulez pas obligés dans quelques jours de forcer toutes les mesures. Ceux qui cherchent à couvrir le crime de leurs manteaux, qu'ont-ils faits au moment du danger contre vos ennemis ! Que vous proposent-ils aujourd'hui pour sauver la République, et menacée sur tous les points! Eclairons la conduite de tous les traîtres; de tous ceux qui ont protégé le royalisme; portons la lumière dans tous les replis des complots : les tempêtes ne sortent jamais que du sein des nuages et des ténèbres. Je vous

être

le déclare, représentans du peuple, si vous laissez les rênes de la révolution dans des mains criminelles ou suspectes, personne ne peut être certain de son avenir; l'ordre social est troublé pour longtemps jusque dans ses sources les plus profondes; un siècle de discordes civiles et de calamités publiques désolera notre malheureuse patrie.

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Soyez donc aujourd'hui ce que vous avez été dans toutes les circonstances menaçantes! Conservez ce courage vertueux qui vous a fait accomplir de si hautes destinées; soyez grands et magnanimes comme le peuple que vous représentez; faites pour le triomphe de la République ce qu'on a tenté pour le retour de la monarchie; pardonnez à l'erreur, mais montrezvous inébranlables envers les traîtres! La clémence dans ce

cas serait funeste au peuple : ne laissons pas à d'aussi vils ennemis un triomphe qui serait à la fois la honte et la perte de l'humanité.

» Il n'appartient pas au chef de la force armée de vous proposer aucune mesure; mon devoir est de faire exécuter celles que vous commandent les intérêts et les dangers de la République.

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Sur ce rapport la Convention nomma une commission de cinq membres chargée de présenter des mesures de salut public.

RAPPORT fait au nom de la commission des cinq (1) par Tallien. Du 3 brumaire an 4. (25 octobre 1795.)

"Représentans du peuple, vous avez chargé votre commission des cinq de rechercher et de vous présenter les moyens de rendre avantageuse à la cause de la liberté la victoire remportée par ses amis dans la journée du 13 vendémiaire. Nous allons remplir cette tâche pénible, et répondre ainsi à vos calomniateurs et aux nôtres. Nous leur prouverons, par les vérités que nous allons vous dire, par les mesures que nous vous proposerons ensuite, que rien ne peut décourager les hommes qui

(1) Membres de la commission: Tallien, Dubois-Crancé, Florent Gayot, Roux de la Marne) et Pons (de Verdun).

veulent sincèrement sauver leur pays, et ne plus l'exposer toutes les horreurs de l'anarchie.:

>> Vous n'attendez pas de nous sans doute le récit détaillé de tous les événemens, de toutes les intrigues, de toutes les trames employées depuis longtemps pour parvenir à détruire la liberté, à anéantir l'égalité, et à rétablir la royauté sur les cadavres amoncelés des républicains.

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Depuis six années des ennemis nombreux s'agitent autour de nous, et nous les avons vus successivement employer les moyens mêmes les plus opposés pour parvenir à leur but; depuis six années les prêtres, les nobles, les privilégiés, tous ceux enfin qui profitaient des abus nombreux de l'ancien régime se sont ligués contre la révolution française. Tant que nous avons conservé une forme du gouvernement dont les rênes étaient confiées à un seul on s'est contenté d'agir sourdement pour miner ainsi l'édifice naissant de la liberté; mais aussitôt que vous eûtes décrété la République vos ennemis se montrèrent à découvert ; ceux de l'intérieur se réunirent à ceux de l'extérieur. Il leur fallait un point central pour diriger d'une manière uniforme toutes leurs manœuvres : le cabinet de Saint-James devint ce point; ce fut là où l'on forgea cette longue chaîne de conspirations, cette immense série d'agitations et de mouvemens que nous avons vus successivement éclater parmi nous.

» Le traité de Pilnitz n'était pas seulement l'ouvrage des cabinets étrangers, mais bien encore celui des contre-révolutionnaires de l'intérieur.

>> Chacun de vous se rappelle les intrigues qui eurent lieu à la fin de l'Assemblée constituante. La révision, dirigée par les Lameth et les Duport, fut l'époque première des persécutions dont on accabla les patriotes. Ils voulurent réclamer les droits les plus sacrés, indignement violés : ils furent incar cérés, assassinés; le champ de Mars, l'autel de la patrie, sont encore teints de leur sang. Ceux qui le firent couler ont fui; mais leurs amis, mais leurs partisans, mais leurs coopérateurs sont restés, et on les a rencontrés dans toutes les crises révolutionnaires, toujours, ardens persécuteurs des patriotes, et amis constans du pouvoir arbitraire.

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Que l'on suive ces hommes, et on les trouvera partout jouant le même rôle. Au 10 août ce sont des patriotes égarés; avant le 31 mai ce sont des modérés, des prétendus amis de l'ordre; sous Robespierre ce sont des exagérés, des partisans de la terreur; on les voit en bonnet rouge et en pantalon; ils quitteront lorsqu'il en sera temps ce costume pour reprendre l'épée et le chapeau à plumet. Ils font des journaux, ils louent la tyrannie, ils applaudissent aux mesures atroces qu'elle

prend; ils en profitent pour l'intérêt de leur parti; ils ont des amis dans les comités révolutionnaires; ils font dénoncer et envoyer à l'échafaud tout ce qui fut patriote; ils sement partout les défiances; ils saisissent avec adresse quelque nuance d'opinion; ils échauffent les ressentimens, blessent les amourspropres respectifs, et font ainsi se détruire les uns par les autres les plus chauds amis de la révolution, les fondateurs de la République.

» Condorcet, Vergniaud, Danton, Camille Desmoulins, Bazire, Hérault et tant d'autres, vous pérîtes tous victimes des infernales machinations des diviseurs, des agens de l'Angleterre !

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Après le 9 thermidor les vrais patriotes respirent un moment; Robespierre et ses complices ne sont plus; le règue de la justice a succédé à celui de l'arbitraire mais bientôt les ennemis constans du bonheur des Français vont se saisir de cette révolution, et la faire tourner à leur avantage. Alors ils exagerent tout, ils persécutent de nouveau tous les patriotes, les font incarcérer, égorger dans plusieurs départemens; tous les ennemis de la liberté sont ouvertement protégés ; les émigrés, les prêtres réfractaires rentrent en foule, et la contrerévolution se prépare ainsi par les soins de ceux qui y travaillent avec tant d'activité depuis cinq années.

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Après vous avoir rappelé ce qui s'est passé sous vos yeux, il est de notre devoir de prouver à la France que les auteurs de la révolte du 13 vendémiaire sont les mêmes que ceux de tous les maux qui nous ont successivement affligés, et ont opéré cette tourmente politique qui empêcha tant de bien de s'opérer.

» Je ne rappellerai pas les événemens de germinal et de prairial: il me suffirait de le faire pour prouver que c'est Pitt qui a organisé ces mouvemens; que c'est son génie destructeur.` qui dirigeait toutes les opérations des hommes qui, alors chargés des subsistances, firent pendant plusieurs mois distribuer à Paris une telle abondance de pain que l'on en nourrissait des animaux de toute espèce, et même des chevaux, et qui tout à coup firent réduire cette distribution à la plus modique ration. Vous le savez, on ne vit aucun patriote connu, aucun véritable ami de la liberté dans ces mouvemens : quelques hommes imprudens voulurent en tirer parti, et furent sacrifiés; mais nos ennemis naturels en profitèrent seuls le peuple fut désarmé, bâillonné, et réduit à une nullité morale sous les rapports politiques; le sang français coula, et Pitt fut satisfait.

» Mais ce n'était point assez pour eux; il leur fallait un coup décisif qui pût renverser la République, et préparer la perte de tous les républicains.

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L'époque de la réunion des assemblées primaires devait nécessairement devenir celle des plus grandes agitations : c'est ce qui arriva; c'est ce qui fut préparé avec la plus machiavélique astuce.

Après avoir comprimé l'énergie des patriotes il fallait pervertir l'esprit public. Les journalistes, presque tous entièrement dévoués au parti de l'étranger, furent chargés de ce soin et ils justifièrent la confiance du ministre anglais. RicherSerisy, Poncelin, Ladevèse, Suard et tant d'autres se dispu taient chaque jour l'honneur de contribuer à la dissolution de ta Convention. Tous les représentans du peuple furent successivement attaqués, les uns par des diatribes virulentes, les autres par des louanges perfides; tout ce qui pouvait flatter l'aristocratie, avilir la représentation nationale, était saisi avec avidité; les manifestes de Louis XVIII, les proclamations de Charette, les bulles du pape remplissaient les colonnes de ces feuilles stipendiées, tandis que les décrets de la Convention étaient ou dénaturés ou supprimés.

» Une correspondance suivie fut établie entre Londres et Paris; les dépêches de Pitt parcouraient avec rapidité l'espace qui le séparaît de ses fidèles agens, tandis que les correspondances mêmes les plus indifférentes entre les citoyens étaient interceptées par les soins de beaucoup d'administrateurs vendus à la faction.

» Un autre foyer de conspiration existait à Bâle. Dès l'hiver dernier un club avait été établi à Morat; il était composé d'émigrés, de royalistes constitutionnels, d'anciens ministres de Capet, de femmes connues par leurs intrigues, par leurs liaisons avec les réviseurs, plus connues encore par des écrits où l'on prêche ouvertement la guerre civile, où on la présente comme la seule mesure que les puissances étrangères doivent adopter. Des étrangers, des Français, des représentans du peuple même étaient affiliés à ce club. Là on ne voulait pas le retour de l'ancien régime tout entier, mais on voulait la constitution de 1791 avec quelques modifications; la rentrée des émigrés, sous la dénomination de fugitifs. Ce parti, très nombreux avant le 13 vendémiaire, ne se regarde pas encore en ce moment comme battu; il attend l'ouverture du corps I'gislatif pour intriguer de nouveau, faire rentrer tous ses amis, les placer dans le directoire exécutif, dans toutes les autres fonctions publiques, et épier le moment favorable à un succès complet. Ce parti se subdivise en diverses coteries, dont les chefs se replient en tout sens suivant les circonstances caressent tout le monde, s'accrochent à toutes les factions pour en venir à leur but.

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