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OBSERVATIONS Sur le Costume theatral; par A. L. MILLin.

NOTRE Costume theatral a fait de grands progrès depuis vingt ans; mais il ne faut pas s'imaginer qu'il soit porté à son dernier degré de perfection. Nos grands théâtres offrent quelquefois sur ce point des inconvenances dont les spectacles des boulevarts sont exempts; cette partie si essentielle de la représentation y est souvent plus soignée que sur notre scène lyrique et tragique.

Autrefois les acteurs étoient à peu près vêtus de la même manière, et la forme de leurs vêtemens se rapprochoit plus du temps où on jouoit la pièce, que de l'époque à laquelle l'action étoit censée se passer. Le Kain et Mademoiselle Clairon commencèrent la réforme, mais ils se bornèrent à exclure les paniers des actrices, et le chapeau à plumet des acteurs. Les comédiens se croyoient en Scythes, quand ils avoient un manteau de satin tigré; l'habit turc étoit commun à tous les rôles asiatiques, et l'habit français du seizième siècle servoit à représenter tous les rôles de princes et de chevaliers depuis les premiers temps de la monarchie; les princesses, de quelque nation

qu'elles fussent, avoient toujours un grand manteau carré de velours bleu ou cramoisit bordé en or, qu'on appeloit doliman. J'ai vu, peu de temps avant la révolution et encore depuis, jouer Mérope, Andromaque et Cléopâtre dans Rodogune, avec une robe de soie noire et une ceinture de diamants, et

les Cherusques avec une fraise de gaze, à la

Médicis.

Talma, un des plus grands acteurs qui aient illustré notre scène, doit être aussi regardé comme le véritable réformateur du costume théatral (1); dans la représentation de Charles IX, il a fait introduire celui du temps de Catherine de Médicis avec la plus exacte vérité; c'est lui qui a fait prendre aux actrices l'habit et la coiffure des femmes grecques et romaines qu'on a vus pour la première fois dans la Virginie de LA HARPE, les Graques, le Timoléon de CHENIER, et l'Agamemnon de M. LEMERCIer.

Malgré cette utile réforme, je pourrois citer un grand nombre de fautes qui se commettent sur nos grands theâtres, et qui nuisent à la beaute et à l'effet de la représenta

(1) On s'en convaincra aisément, en comparant le costume de nos acteurs avec celui de Le Kain et de Mademoiselle Clairon, dans la gravure qui représente les Adieux de Médée,

tion. Sur la scène française, Sémiramis paroît dans un palais décoré de colonnes co rinthiennes; ses jardins sont remplis de plantes d'Amérique; son trône est placé sous un baldaquin à la polonoise; la plupart des personnages sont habillés à la turque, et un écuyer habillé en chevalier français donne la main à la Reine. Les fautes qu'on pourroit reprocher au grand Opéra sont encore plus nombreuses et moins excusables, puisqu'aucune dépense n'y est épargnée pour la pompe et la magnificence de la représentation.

Mais, au lieu d'indiquer toutes les erreurs que j'ai cru remarquer, je décrirai la manière dont je pense qu'on devroit représenter un des plus beaux ouvrages, dont s'honorent la scène lyrique et la scène française, Iphigénie en Aulide.

On représente aux Français, et à l'Opéra surtout, Iphigénie en Aulide d'une manière tout-à-fait opposée à ce qu'on connoît des moeurs des temps héroïques. On voit toujours. sur le devant de la scène, une superbe tente qui paroît être de cuir doré, retenue avec des cordes et des glands d'or, et découpée comme les baldaquins du temps de Louis XIII et de Louis XIV; dans le fond sont les autres tentes qui paroissent de toile ou de coutil et ressemblent absolument à celles de nos camps modernes; cependant, on ne connois

soit pas l'usage de ces tentes dans les temps héroïques Homère ne dit jamais que les Grecs aient tendu des toiles pour se mettre à l'abri des injures de l'air; lorsqu'ils campèrent devant Troie, ils construisirent des cabanes (2), comme font encore aujourd'hui les soldats quand ils doivent passer un temps assez considérable dans le même lieu.

Ces cabanes étoient de simples huttes faites avec des troncs et des branches d'arbres, et couvertes de terre et de roseaux; les chefs avoient des klisiai ou cabanes mieux construites, plus commodes et plus grandes que les autres; les principaux chefs se réunirent dans celle d'Achille pour le consoler de la mort de Patrocle. Homère dit qu'il y avoit devant une enceinte (3) faite avec une palissade, au milieu de laquelle on dressoit un autel; c'est sur cet autel qu'Achille implore la protection de Jupiter, et qu'il lui offre des libations (4).

La cabane étoit précédée d'une espèce de vestibule (5) dont les portes (6) donnoient

(2) Homère désigne toujours ces habitations par le mot xoia (klisiai) qu'on doit rendre par tuguria (cabanes), et non par les mots tentoria lintea (tentes de toiles).

(3) Αυλή.

(4) Il. XVI, 231.

"

(5) Αιθασα πρόδομος XXIV, 644, 673.

(6) Θύρα, XXIV, 572; πρόθυρον ΧΙΧ, 212.

sur une grande salle (7), qui étoit probablement ornée des plus beaux objets qu'on avoit obtenus dans le partage du butin (8); c'est ce que doivent signifier les mots murs éclatans, par lesquels Homère désigne la cabane d'ldoménée (9).

Il y avoit derrière les cabanes des chambres pour les concubines et les esclaves, et une chambre pour le trésor où étoient les armes que l'on rassembloit aussi dans la cour (10). Achille et Patrocle avoient une chambre séparée; il y avoit aussi des huttes pour les chevaux que les héros nourrissoient et soignoient eux-mêmes; autour étoient d'autres buttes pour les soldats, et le tout étoit entouré d'une enceinte, dont les portes étoient flanquées de tours. On trouve dans le Journal Militaire allemand (11) un plan et une vue de la cabane d'Achille.

Il ne convient pas sans doute de représenter ainsi la cabane d'Agamemnon; le séjour de l'armée des Grecs dans l'Aulide est involontaire, elle n'a pas d'ennemis à craindre, elle ne doit pas s'y fortifier; cependant le calme l'a retenue assez longtemps, pour que les soldats aient

(7) Méfagov XXIV, 647.
(8) 11. XXIII, 559.
(9) Il. XIII, 261.

(10) I. XXIII, 559.

(11) Militær. Monatsschrift, p. 455.

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