Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

« dans son sein seinblent avoir empoisonné ses flots. « Ses abîmes solitaires ne peuvent nourrir aucun << être vivant; jamais vaisseau n'a pressé ses ondes; ses grèves sont sans oiseaux, sans arbres, sans verdure, et son eau d'une amertume affreuse et si pesante, que les vents les plus impétueux peuvent « à peine la soulever.

[ocr errors]
[ocr errors]

*

"

[ocr errors]

« Quand on voyage dans la Judée, d'abord un « grand ennui saisit le cœur; mais lorsque passant de solitude en solitude, l'espace s'étend sans bornes devant vous, peu. - à peu l'ennui se dissipe; on éprouve une terreur secrète qui, loin d'abaisser « l'ame, donne du courage et élève le génie. Des aspects extraordinaires décèlent de toutes parts une terre travaillée par des miracles: le soleil brûlant, « l'aigle impétueux, le figuier stérile, toute la poésie, << tous les tableaux de l'Ecriture sont là. Chaque nom renferme un mystère; chaque grotte déclare l'a<< venir; chaque sommet retentit des accens d'un « prophête. Dieu même a parlé sur ces bords : les << torrens desséchés, les rochers fendus, les tombeaux << entr'ouverts attestent le prodige; le désert paroît << encore muet de terreur, et l'on diroit qu'il n'a « osé rompre le silence depuis qu'il a entendu la « voix de l'Eternel. »

petite troupe passent Morte; il y fait le

M. de Châteaubriand et sa la nuit au bord de la mer lendemain quelques observations, et emporte de son eau qu'il met dans une bouteille de fer blanc (5). Il décrit les pommes de Sodome, et forme des doutes

(5) L'action de l'oxygène contenu dans l'eau sur le fer et sur l'étain dont le fer blanc est couvert, a dû nécessairement altérer ce liquide, et je doute qu'on en puisse à présent faire une bonne analyser

sur l'espèce à laquelle on doit les rapporter; tous les botanistes sont aujourd'hui d'accord que c'est le solanum sodomeum. Je ferai aussi une remarque sur une petite erreur d'histoire naturelle. L'auteur dit que M. Seezzen n'a point vu dans la mer Morte d'helices ni de moules, mais qu'il y a vu des escargots; mais Phelice et l'escargot sont la même chose.

La petite caravane presse vivement pour le retour, lorsque M. de Châteaubriand voit au fond d'une ravine un fleuve jaune dont il peut à peine distinguer l'arène; c'est là que le Jourdain roule son onde épaisse; les Bethleemites et même les Turcs s'y baignent et y font des ablutions. Il entre dans Jéricho, et en repart promptement pour Jérusalem.

La description de la ville Sainte est la quatrième partie de sa narration, et il l'intitule: Voyage de Jérusalem. Quoique ces lieux aient été décrits un grand nombre de fois, le pinceau brillant de M. de Château-briand ajoute à ces tableaux des traits d'un grand intérêt; il indique les noms de tous les auteurs qui ont parlé de Jérusalem; il donne un long chapitre de Deshayes, et il y joint ses observations dans lesquelles il trace une histoire, abrégée et intéressante de Jérusalem. On aimera à lire ici l'expression des sentimens de notre célèbre voyageur à Paspect du tombeau de J. C.

« Les lecteurs chrétiens demanderont peut-être à << présent quels furent les sentimens que j'éprouvai en « entrant dans ce lieu redoutable; je ne puis réelle«ment le dire. Tant de choses se présentoient à la ❝ fois à mon esprit, que je ne m'arrêtois à aucune « idée particulière. Je restai près d'une demi-heure « à genoux dans la petite chambre du Saint-Sépul«cre, les regards attachés sur la pierre, sans pouvoir

2

«les en arracher. L'un des deux religieux qui me «conduisoient demeuroit prosterné auprès de moi, « le front sur le marbre; l'autre, l'Evangile à la ❝main, me lisoit, à la lueur des lampes, les pas«sages relatifs au Saint - Tombeau. Entre chaque « verset il récitoit une prière: Domine Jesu-Christe, « qui in hord diei vespertind de cruce depositus, in "brachiis dulcissimae Matris :uce declinatus fuisti, «horáque ultima in hoc sanctissimo monumento corpus « tuum examine contulisti, etc. Tout ce que je puis "assurer c'est qu'à la vue de ce sépulcre triomphant, « je ne sentis que ma foiblesse; et quand mon guide « s'écria avec Saint Paul: Ubi est, Mors, victoria « tua? Ubi est, Mors, stimulus tuus? Je prêtai «l'oreille comme si la Mort alloit répondre qu'elle « étoit vaincue et enchaînée dans ce monument.

«Nous parcourûmes les Stations, jusqu'au sommet du Calvaire. Où trouver dans l'antiquité rien «d'aussi touchant, rien d'aussi merveilleux que les

dernières scènes de l'Evangile? Ce ne sont point ici « les aventures bizarres d'une divinité étrangère « à l'humanité : c'est l'histoire la plus pathétique ; « histoire qui non-seulement fait couler des larmes « par sa beauté, mais dont les conséquences, appli«quées à l'univers, ont changé la face de la terre. « Je venois de visiter les monumens de la Grèce,

j'étois encore tout rempli de leur grandeur; mais « qu'ils avoient été loin de m'inspirer ce que j'éprouvois à la vue des Lieux-Saints!

«L'église du Saint-Sépulcre, composée de plusieurs « églises, bâtie sur un terrain inégal, éclairée par « une multitude de lampes, est singulièrement mys«térieuse; il y règne une obscurité favorable à la « piété, et au recueillement de l'ame. Les prêtres

« chrétiens des différentes sectes habitent les diffé❝rentes parties de l'édifice. Du haut des arcades, où ils ❝ se sont nichés comme des colombes, du fond des schapelles et des souterrains, ils font entendre leurs ❝ cantiques à toutes les heures du jour et de la nuit: « l'orgue du religieux latin, les cymbales du prêtre « abyssin, la voix du caloyer grec, la prière du « solitaire arménien, l'espèce de plainte du moine ❝cophte,' frappent tour-à-tour ou tout à la fois votre « oreille; vous ne savez d'où partent ces concerts; « vous respirez l'odeur de l'encens, sans apercevoir « la main qui le brûle seulement vous voyez « passer, s'enfoncer derrière des colonnes, se perdre « dans l'ombre du temple, le pontife qui va célé<brer les plus redoutables mystères aux lieux mêmes « où ils se sont accomplis.

1

« Je ne sortis point de l'enceinte sacrée sans m'ar« rêler aux monumens de Godefroy et de Baudouin: « ils font face à la porte de l'église, et sont appuyés « contre le mur du chœur. Je saluai les cendres de ❝ ces rois chevaliers qui méritèrent de reposer près « du grand Sépulcre qu'ils avoient délivré. Ces ceu«dres sont des cendres françaises et les seules qui « soient ensevelies à l'ombre du tombeau de J. C. « Quel titre d'honneur pour ma patrie!»

M. de Châtaubriand fait parcourir ensuite à son lecteur les différentes Stations; il suit la voie Douloureuse, voit la maison de Pilate, où on fait encore remarquer la fenêtre par laquelle le juge cria ecce homo; la mosquée bâtie sur les ruines du temple de Salomon. Plus loin est le lieu où Marie rencontra son fils chargé de la Croix; plus loin encore l'endroit où Siméon le Cyrénéen, l'aida à la porter: ici la maison de Lazare; là celle du mauvais riche, située

à l'entrée de la rue qui monte au Calvaire, au lieu où J. C. rencontra les Saintes Femmes qui pleuroient; à cent dix pas de là est la maison de Véronique (6) qui essuya avec un linge le visage du Sauveur; on trouve encore dans la ville la maison d'Anne le pontife; le lieu de l'apparition du Sauveur aux Saintes Femmes. La maison de Simon le Pharisien, la prison de Saint Pierre, la maison de Zébédée, celle de Marie mère de Jean-Marc; et le lieu du martyre de SaintJacques-le-Majeur.

Les dehors de Jérusalem ne devoient pas moins exciter la curiosité du voyageur, que les monumens renfermés dans son enceinte, M. de Châteaubriand visite la piscine de Betsabée, la maison de Caiphe, le Saint-Génacle, où J. C. fit la dernière Pâque, et institua le sacrement de l'Eucharistie; la fontaine et la piscine de Siloé où il rendit la vue à l'Aveugle né; le lieu

(6) A propos de Sainte Véronique, M. de Châteaubriand remarque qu'elle s'appeloit Bérénice, et que son nom a été changé en celui de Véronique, de vera icon, c'est-à-dire véritable image. Il paroît que cette femme étoit la même que l'Hæmorrhoisse, car toutes deux sont nommées Bérénice; et, à ce sujet, MACRI, Hierolexyc., voce Hæmorrhoissa, observe avec raison que Bérénice, Beronica, et Veronica, ont été le même nom, et il en donne des preuves. Le nom de Véronique a donc été celui de la femme qui présenta le Suaire à Jésus-Christ, non pas pour indiquer qu'il laissa sur ce linge sa véritable image, mais par une simple altération du mot Bérénice.

Le Sudarium (le Saint-Suaire) a reçu, dans un temps moins reculé, le nom de Veronica de vera icon, c'est-à-dire véritable image; c'est le nom qu'on donne au Sudarium que le pape Jean VII fit déposer à Rome en 1205, dans un Ciborium de marbre. C'est donc au nom du Suaire même qu'il faut rapporter cette étymologie qui ne peut convenir à la sainte femme Bérénice, Beronica, ou Veronica qui le présenta au Sauveur.

« PrécédentContinuer »