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Siècle à jamais fameux, où Turenne et Condé,
Où Villars, de Louis par leurs soins secondé,
Exécutaient les plans, et guidaient les armées,
Fières de ces grands noms, et par eux enflammées ;
Tandis que, protecteurs des lois et de l'Etat,
Lamoignon et Molé présidaient son sénat.
Cependant et d'Estrée, et Tourville, et Duquesne,
Ramenant dans ses ports la victoire incertaine,
Guidaient ses pavillons sur les mers triomphants;
Bossuet, Montausier, élevaient ses enfants.
Là, Vauban, au compas soumettant le tonnerre,
Fortifiait ses camps et ses places de guerre.
Là, Perrault et Mansard bâtissaient ses palais,
Par Pujet et Le Brun décorés à grands frais.
Le Nôtre, ici, domptant la nature rebelle,
De ses pompeux jardins dessinait le modèle.
Mais des arts plus touchants s'éveillaient à sa voix :
Voyez près de Louis accourir à la fois

La Fontaine et Boileau, Quinault et La Bruyère,
Fénelon et Corneille, et Racine et Molière,
Qui tous, lui préparant les plus nobles plaisirs,
Eclairaient sa raison ou charmaient ses loisirs.
De talents immortels quel auguste cortège!
Voyez comme aujourd'hui leur présence protège
Ce Roi qui les couvrait de sa haute amitié.
Oh! qu'il nous parait grand, quand, marchant appuyé
Sur ces hommes fameux qu'il sut mettre à leur place,
Le front resplendissant d'une tranquille audace,

Et de tous ces grands noms, en triomphe escorté,
Louis s'offre aux regards de la postérité !

Voilà quel fut pour nous le siècle de la gloire.
Notre France, en ces jours d'éternelle mémoire,
Fut, trente ans, en Europe assise au premier rang;
Et sous un si grand Roi chaque Français fut grand.

L'énumération des grands hommes qui furent l'ornement du siècle de Louis XIV est peut-être un peu longue et un peu monotone; mais le passage n'est pas dépourvu de mouvement et de belle allure.

Chênedollé dépeint ensuite la décadence de la France au XVIe siècle, et la Révolution préparée par l'abus des lumières. Il fait un tableau du règne de la Terreur, ce qui le conduit à montrer la France, au sortir de cette crise, régénérée et agrandie. Ainsi se termine le quatrième et dernier chant du Génie de l'Homme.

A. C.

La Morale.

Cours de M. VICTOR EGGER,

Professeur à l'Université de Paris.

Les quatre impératifs (suite et fin).

J'ai donné les quatre formules de l'impératif moral; j'ai montré qu'il y a non pas deux impératifs, l'un positif : fais le bien; l'autre négatif ne fais pas le mal; mais quatre impératifs qui sont les deux premiers, plus deux autres qui existent dans les consciences humaines et sont utilisés perpétuellement dans la vie agis pour le non-mal, c'est-à-dire contre le mal; et n'agis pas pour le nonbien, c'est-à-dire contre le bien. Nous voyons ainsi que le devoir d'action est non pas simple, mais double: (I) devoir envers le bien agis en vue du bien; (II) devoir envers le non-mal: agis en vue du non-mal, que l'on peut appeler le substitut du bien. De même, le devoir d'abstention est double: (IV) devoir envers le mal: n'agis pas en vue du mal; (III) devoir envers le non-bien : n'agis pas en vue du non-bien, qui, lui aussi, est, en fait, le substitut du mal.

L'ordre de ces quatre préceptes n'est pas quelconque; il faut aller du premier au quatrième, ou du quatrième au premier. Du premier au quatrième : car, si je dois faire le bien (I), le nonmal est un pis-aller, et, faute de mieux, je devrai faire le nonmal (II); si je ne puis rien pour le bien et contre le mal, si je ne puis améliorer l'ensemble des choses, je puis tout au moins et je devrai m'abstenir de l'empirer: c'est encore un pis-aller; je devrai donc m'abstenir de détruire le bien qui est (III) et de faire le mal qui n'est pas (IV); si le bien est quelque part ou va être réalisé, je devrai le laisser subsister, le laisser se faire; si j'obéis à ce précepte doublement négatif, mon abstention aura un résultat ayant plus de valeur que celui de l'abstention de faire le mal; le résultat sera le bien dans le premier cas, application de l'impératif III, le non-mal dans le second cas, application de l'impératif IV. Si, au contraire, j'agis malgré la défense, ma révolte contre la loi morale, ma désobéissance, aura un résultat moins fâcheux dans le premier cas que dans le second: car le non-bien est meilleur ou moins mauvais que le mal, le mal est pire que le

non-bien; l'envieux est moins malfaisant dans son action que le méchant proprement dit; à parler rigoureusement, il n'est même pas malfaisant, puisqu'il ne fait pas le mal. Je ne parle pas de son intention celle de l'envieux est certainement mauvaise, méchante; je parle en logicien plus qu'en psychologue: un mal positif peut faire moins souffrir que la perte d'un bien auquel on tenait. Prenons un exemple: un millionnaire a un ennemi ; celui-ci l'empêche de diner, il lui fait mal, il incendie sa villa ou sa galerie de tableaux : c'est un luxe, un superflu, un bien dont il le prive, rien de plus; mais le riche souffrira plus de cette perte que de la douleur positive résultant de ne pas dîner un jour. La hiérarchie et la liaison des quatre impératifs peut se montrer de cette manière, en allant de 1 à IV : agis pour le bien ou, faute de mieux, pour le non-mal; à défaut d'action morale, abstiens-toi d'agir contre le bien, et surtout abstiens-toi d'agir pour le mal, ce qui serait plus grave. Elle peut aussi se montrer en suivant l'ordre inverse, en allant de IV à I: abstiens-toi d'agir pour le mal, et même contre le bien; emploie tes forces à agir contre le mal, avant tout, ensuite et surtout pour le bien, si tu

peux.

Ces deux méthodes d'exposition expriment et mettent en plein jour, l'une la hiérarchie théorique, l'autre l'ordre pratique des devoirs. Ce qui est dû surtout, plus que tout, c'est le bien, parce qu'il est le bien; ce qui est dû avant tout, d'abord, c'est le nonmal; même avant le non-mal résultant d'une action, ce qui est dû, c'est l'abstention, le non-agir, à l'égard du non-bien et du mal; et si je ne suis pas maître de moi, si je suis impulsif, passionnel, impotens, comme disaient les Latins, mieux vaut encore que ma passion se déchaîne contre le bien qui est que pour le mal; mieux vaut un envieux, spoliateur du superflu des heureux, qu'un criminel qui prive ses victimes du nécessaire, qui les fait souffrir dans leur chair, qui fait en somme un mal positif.

Ainsi l'abstention est due avant tout, non seulement parce que pratiquement c'est le plus facile, mais aussi théoriquement, logiquement, parce que les deux abstentions visent l'état du monde dans l'instant présent; cet état, en somme, est passable et d'abord doit subsister avant d'être amélioré; dans la mesure où le monde comprend du bien et du non-mal, qu'il reste. Ensuite, que l'homme, que l'agent fasse mieux que ce qui est que l'avenir contingent soit un progrès sur l'état présent; s'il y a du mal, qu'il disparaisse, et s'il y a du bien qui ne soit pas et soit faisable, qu'il soit fait.

On voit ainsi que ces quatre impératifs supposent des condi

tions si le bien n'est pas, fais-le; si le mal est, supprime-le, détruis-le; si le bien est, laisse-le, ne le détruis pas ; si le mal n'est pas, ne le fais pas. C'est là un moyen de montrer que la qualification morale précède le devoir. Tout impératif est conditionnel, hypothétique. Il n'y a de catégorique, ou pour mieux dire d'irréductible, que la loi psychologique : l'effort tend au bien, principe de l'obligation ou du devoir.

A chacune de ces conditions objectives, relatives à l'objet, s'en ajoute une autre, relative au sujet individuel, à l'agent: si le bien n'est pas et est réalisable par toi, fais-le; si le mal est et si tu peux le détruire, s'il est anéantissable par toi, détruis-le; si le bien est, et si tu peux le détruire, n'en fais rien, n'agis pas, laisse-le exister; enfin, si le mal n'est pas et est réalisable par toi, ne le fais pas être, n'agis pas.

Ce n'est pas tout encore; le précepte implique toujours que l'avenir est douteux, indéterminé, contingent, dépend des actes et des abstentions des agents; pour tout dire, il faudrait dire : si tu peux faire ou ne pas faire le mal ou le bien, si tu peux détruire ou laisser être le bien ou le mal. Ce pouvoir ambigu des deux contradictoires, l'action et l'abstention, c'est le pouvoir senti par l'agent, donc apparent; de même que je puis me faire illusion sur mes capacités empiriques, mon libre arbitre peut être illusoire; mais l'apparence de ce double pouvoir suffit pour fonder l'obligation.

Ces quatre formes du devoir sont les seules. Aucun jeu logique. ne nous en fera découvrir d'autres. Peut-on parler d'un non-nonbien, d'un non-non-mal? Oui, à la rigueur; mais une double négation vaut une affirmation. On va voir qu'en réalité le non-nonbien est une variété du bien, le non-non-mal une variété du mal. Le bandit, c'est le mal; le gendarme, c'est le non-mal ou le symbole du non-mal; celui qui cache le bandit quand le gendarme apparaît àl'horizon, celui qui se fait ainsi le protecteur du mal contre le non-mal, agit contre le non-mal, donc pour le non-non-mal, donc pour le mal il agit pour le mal, non pas seul, mais en mauvaise compagnie, comme auxiliaire du malfaiteur; on l'appelle complice; la complicité est une collaboration au mal. De même, agir pour le non-non-bien, par exemple empêcher des envieux exaspérés et agissants de réduire les heureux au nécessaire, préserver du pillage la maison d'un millionnaire, défendre un philanthrope ou un grand patriote contre ses ennemis, c'est se faire l'auxiliaire du bien ou des bons, contre les ennemis du bien, contre les méchants; c'est collaborer au bien, le faire non pas seul, mais en bonne compagnie.

A la lumière des considérations précédentes, ce que j'ai appelé le paralogisme moral semble faire place à un système logiquement satisfaisant. En effet, ce qui est illogique, c'est de qualifier bon ou mauvais un phénomène indifférent parce que l'on se passionne pour ou contre lui, ou de se passionner pour ou contre lui parce qu'un contraste le fait paraître bon ou mauvais, mais non pas de tendre à un tel phénomène ou de n'y pas tendre. Le devoir, l'action, l'intention, ne contiennent aucun paralogisme, pourvu que l'on donne à la fin ou à l'antifin son nom exact. Ce qui doit être, c'est le bien; mais, si le mal est, il doit ne pas être, il doit disparaître, c'est-à-dire que le non-mal doit être à sa place. Ce qui doit ne pas être, c'est le mal. Mais, si le bien est, puisqu'il doit être, il doit continuer à être, il doit rester ; c'est dire que le non-bien ne doit pas être à sa place.

Ainsi les deux impératifs intermédiaires sont logiquement déduits des deux extrêmes. Peut-on, maintenant, aller plus loin dans la simplification logique ? Peut-on, en se plaçant toujours au point de vue du devoir être, tirer, au moyen d'un a fortiori, de cette formule « le bien doit être » la conséquence : le mal doit ne pas être; ou de la formule « le mal doit ne pas être » la conséquence le bien doit être ? Je n'en suis pas sûr, parce que le bien et le mal sont deux contraires, deux opposés, non pas deux contradictoires. La logique ne peut rien sur les dualités irréductibles de ce genre; un être qui désire n'est pas nécessairement un être qui a de l'aversion; supposer une conscience qui aurait l'amour du bien, mais que le mal laisserait indifférente; supposer une conscience qui aurait la haine du mal, mais qui serait absolument froide à l'égard du bien; supposer une conscience sans aversions, et une autre conscience sans désirs: ce sont là des suppositions gratuites et contraires aux faits, mais nullement absurdes; elles ne contiennent, au point de vue logique, aucune contradiction.

Mais, si nous nous plaçons maintenant au point de vue pratique, l'unité du devoir pourra être obtenue sans peine. Il s'agit alors d'un agent, de son effort, de son devoir, de la fin qu'il doit réaliser par son effort. Si nous considérons, d'une part, l'agent, et, d'autre part, l'objet, la matière, la fin de son devoir, l'harmonie se fera. Pour cela, il faut prendre pour point de départ ce qui est dû par-dessus tout, le bien qu'il faut faire, le devoir doublement positif. Du devoir d'abstention, on ne pourrait tirer le devoir d'action; une morale d'abstention, une morale négative, est stérile de conséquences vraiment pratiques; des devoirs positifs y seraient une addition arbitraire. Le moins, posé d'abord comme

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