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ment expliquer, enfin, que le comte de Modène ait été parrain, avec Madeleine comme marraine, du second enfant de Molière?

En résumé, nous croyons que l'hypothèse de la substitution est de beaucoup la plus plausible. Armande serait donc, selon toute vraisemblance, la petite Françoise, ou, moins probablement, une sœur de cette dernière. Ne rencontre-t-on pas encore, assez souvent, de ces exemples de substitution? La chose n'était pas malaisée au XVIIe siècle.

Revenons, maintenant, à l'Ecole des Femmes. Cette pièce fut représentée le 26 décembre 1662. Elle n'offre, dit M. Larroumet, aucun rapport avec la vie de Molière. Ce ne serait, d'après lui, qu'une mise en œuvre générale du thème de la Précaution inutile. Tel n'est pas notre avis. Molière avait compris que la nature finit toujours par reprendre ses droits, et cette expérience l'avait attristé. Notre hypothèse est rendue vraisemblable par tout ce que l'on sait du caractère d'Armande. Dès la première représentation, la pièce fut jugée de façons fort diverses. Voici ce qu'écrivait Loret, dans sa Gazette rimée, dix jours plus tard:

On joua l'Ecole des Femmes,
Qui fit rire leurs Majestés
Jusqu'à s'en tenir les côtés :
Pièce aucunement instructive
Et tout à fait récréative;
Pièce dont Molière est auteur
Et même principal acteur ;

Pièce qu'en plusieurs lieux on fronde,
Mais où pourtant va tout le monde,
Que jamais sujet important

Pour le voir n'en attira tant.

Quant à moi, ce que j'en puis dire

C'est que, pour extrêmement rire,

Faut voir avec attention

Cette représentation,

Qui peut, dans son genre comique,

Charmer le plus mélancolique,
Surtout par les simplicités

Ou plaisantes naïvetés

D'Agnès, d'Alain et de Georgette,
Maîtresse, valet et soubrette.
Voilà, dès le commencement,
Quel fut mon propre sentiment,
Sans être pourtant adversaire
De ceux qui sont d'avis contraire,
Soit gens d'esprit, soit innocents;
Car chacun abonde en son sens.

Jusqu'au 12 mars, l'Ecole des Femmes eut 37 représenlations. La première fit une recette de 1518 livres. Le samedi 20 janvier 1663, elle fut jouée en présence du roi, et, dans la suite, chez le comte de Soissons, le duc de Richelieu, M. Colbert, chez Mme la maréchale de L'Hôpital, M. Sauguin, maître d'hôtel du roi; au Luxembourg, pour M. le duc de Beaufort et Mme de Savoye. Le lundi 12 mars, Molière reçoit 4.000 fr. du roi. Le 3 avril, nouvelle représentation au Palais Royal, chez Madame, qui avait reçu la dédicace de la pièce.

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Ainsi la cour, presque tout entière, avait pris parti pour Molière. La lutte ne s'engagea que vers le 1er juin, alors que se constituait définitivement la résistance du clan dévot ou rigoriste. Le 15 juin 1663, parurent les Nouvelles nouvelles de Visé :

La dernière de ses comédies, celle dont vous souhaitez le plus que je vous entretienne, parce que c'est elle qui fait le plus de bruit, s'appelle l'Ecole des Femmes. Cette pièce a cinq actes. Tous ceux qui l'ont vue sont demeurés d'accord qu'elle est mal nommée et que c'est plutôt l'Ecole des Maris que l'Ecole des Femmes. Mais, comme il en a déjà fait une sous ce titre, il n'a pu lui donner le même nom. Elles ont beaucoup de rapport ensemble; et, dans la première, il garde une femme dont il veut faire son épouse, qui, bien qu'il l'a croye ignorante, en sait plus qu'il ne croit, ainsi que l'Agnès de la dernière, qui joue, aussi bien que lui, le même personnage et dans l'Ecole des Maris et dans l'Ecole des Femmes ; et toute la différence que l'on y trouve, c'est que l'Agnès de l'Ecole des Femmes est un peu plus sotte et plus ignorante que l'Isabelle de l'Ecole des Maris. Le sujet de ces deux pièces n'est point de son invention; il est tiré de divers endroits, à savoir de Boccace, des contes de Douville, de la Précaution inutile de Scarron; et ce qu'il y a de plus beau dans la dernière est tiré d'un livre intitulé les Nuits facétieuses du seigneur Straparole, dans une histoire duquel un rival vient, tous les jours, faire sa confidence à son ami, sans savoir qu'il est son rival, des faveurs qu'il obtient de sa maîtresse : ce qui fait tout le sujet et la beauté de l'Ecole des Femmes. Cette pièce a produit des effets nouveaux ; tout le monde l'a trouvée méchante, et tout le monde y a couru. Les dames l'ont blâmée, et l'ont été voir. Elle a réussi sans avoir plu et elle a plu à plusieurs qui ne l'ont pas trouvée bonne; mais, pour vous en dire mon sentiment, c'est le sujet le plus mal conduit qui fut jamais, et je suis prêt de soutenir qu'il n'y a pas de scène où l'on ne puisse faire voir une infinité de fautes. Je suis toutefois obligé d'avouer, pour rendre justice à ce que son auteur a de mérite, que cette pièce est un monstre qui a de belles

parties et que jamais on ne vit tant de si bonnes et si méchantes choses ensemble. Il y en a de si naturelles, qu'il semble que la nature ait travaillé elle-même à les faire. Il y a des endroits qui sont inimitables et qui sont si bien exprimés, que je manque de termes assez forts et assez significatifs pour vous les bien faire concevoir.... Ce sont des portraits de la nature qui peuvent passer pour originaux. Il semble qu'elle y parle elle-même. Ces endroits ne se rencontrent pas seulement dans ce que joue Agnès, mais dans les rôles de tous ceux qui jouent à cette pièce. Jamais comédie ne fut si bien représentée ni avec tant d'art; chaque acteur sail combien il y doit faire de pas, et toutes ses œillades sont comptées... >>

On trouve le résumé de tous les griefs littéraires dirigés contre la nouvelle pièce dans la Lettre sur les affaires du théâtre, publiée un an après la première représentation :

« Les postures contribuent à la réussite de ces sortes de pièces et elles doivent ordinairement tous leurs succès aux grimaces d'un acteur. Nous en avons un exemple dans l'Ecole des Femmes, où les grimaces d'Arnolphe, le visage d'Alain et la judicieuse scène du notaire ont fait rire bien des gens; et, sur le récit que l'on en a fait, tout Paris a voulu voir cette comédie. Mais Elomire ne doit pas publier pour cela que tout Paris a regardé l'Ecole des Femmes comme un chef-d'œuvre, puisque, hors ses amis, qui voient ses ouvrages avec d'autres yeux que les autres, tout le monde en a d'abord reconnu les défauts ». Et ceci, qui est à remarquer « Ceux qui en virent la première représentation se souviennent bien qu'elle fut généralement condamnée, et, quoique le mal que l'on dit d'un ouvrage vienne rarement aux oreilles d'un auteur, Elomire en a depuis ouï conter les défauts à tant de monde qu'il a cru en devoir faire lui-même une Critique pour empêcher les autres d'y travailler; ce qui fut cause que je fis ensuite ma Zélinde, voyant qu'il avait agi en père et qu'il avait eu trop d'indulgence pour ses enfants. Il dit qu'il peint d'après nature; cependant, quoique nous soyons bien des jaloux, nous en voyons peu qui ressemblent à Arnolphe; c'est pourquoi il se devrait donner encore plus de gloire, et dire qu'il peint d'après son imagination; mais, comme elle ne lui peut représenter des héros, je suis assuré qu'il ne nous en fera jamais voir s'ils ne sont jaloux... » Et de Visé continue en admettant la difficulté de concevoir et d'exprimer les grands sentiments, mais aussi l'extrême facilité avec laquelle on peut les peindre. Il y a « mille places vides, conclut-il, entre le divin Corneille et le comique Elomire »>.

Cours de M. VICTOR EGGER,

Professeur à l'Université de Paris.

La définition du bien et du mal.

J'ai consacré deux leçons à expliquer qu'il y a quatre impératifs deux d'abstention et deux d'action. S'il en est ainsi, c'est que le devoir a pour objet le bien et le mal. Les impératifs ne se comprennent pas, s'il n'y a pas un bien et un mal objectifs, extérieurs à notre volonté, et qui ont des conditions légales et comme matérielles; c'est à ce bien et à ce mal extérieurs que sont subordonnés le bien et le mal intérieurs à l'agent, parce qu'ils sont la fin et l'antifin et que l'agent n'est que le moyen de cette fin ou de cette antifin. Voilà ce qui ressort de l'étude des quatre impératifs. Ces idées recevront leur sens plein et précis de la définition sociale du bien, et seront justifiées par cette définition. On verra alors qu'il y a lieu, en effet, de parler du monde tel qu'il est et du monde tel qu'il peut et doit être, et ce qu'est au juste ce monde. Le devoir formel est conforme à la matière du bien. La théorie du devoir formel était conforme au sens commun, conforme aussi aux idées morales de chaque individu. La définition du bien sera fournie par le sens commun exclusivement.

Le devoir, ce que tout le monde, ce que chacun de nous entend par là, n'est pas seulement ce devoir formel, très général, dont j'ai fait la théorie. Car le devoir, dans l'opinion commune, implique aussi 1° l'idée de sacrifice, l'idée du choix méritoire entre le plaisir, qui est une fin, et une autre fin, qui n'est pas agréable; celle-ci est l'objet propre du devoir: donc le devoir implique renoncement au plaisir ou même au bonheur, il implique sacrifice; 2° l'idée d'un commandement qui vient s'ajouter, se superposer à la loi naturelle de l'âme et fait dévier l'activité dans une direction autre que la direction naturelle. Tout cela se tient pour se sacrifier, pour renoncer à suivre sa loi personnelle et naturelle, ne faut-il pas un commandement venu du dehors et de haut? L'effort étant électif, un ordre me dit, nous dit: voici ta fin, et en voici une autre, qui n'est pas lienne; vise-la, « laisse tes affaires et suis-moi. »

De là résulte une première difficulté, qui porte surtout sur la deuxième idée. Qui donne cet ordre ? Quelqu'un, certes; une personne, un agent, ou plusieurs ensemble et d'accord, non une chose ou des choses, non la nature et ses lois. Est-ce ma cons cience personnelle ? Est-ce Dieu ? Est-ce mon semblable, ou mes semblables, autrui? Qui donc est mon maître ? Et quelle est cette loi, supérieure à la loi de ma nature, devant laquelle je dois m'incliner et plier? Quelle est cette fin, qui n'est pas ma fin selon ma nature? Si elle vient du dehors, d'où tire-t-elle son autorité sur moi ? Si, d'autre part, elle vient du dedans, de ma conscience, j'ai donc deux lois ?

A quoi je répondrai: si elle vient du dehors, il faut alors qu'elle se fasse mienne par persuasion ou par conviction, qu'elle entre en moi, que l'ordre consiste en la présentation à moi d'une fin que je trouve supérieure à une fin personnelle et naturelle, à la suite d'une comparaison où ma nature fournira et l'un des deux termes comparés et la mesure selon laquelle se fera la comparaison. C'est dire que ma nature dictera la préférence, le choix, la soumission, le sacrifice; que j'ai deux lois qui n'en font qu'une en définitive; si c'est une servitude, c'est une servitude volontaire; je suis mon maître, même quand j'obéis; je suis autonome dans l'hétéronomie acceptée. Donc, même si l'on admet l'idée d'un commandement, il n'y a ni ordre de Dieu ni contrainte sociale; le devoir formel est à la base : ce que nous en avons dit subsiste. La loi psychologique individuelle: la fin éveille la cause, le bien suscite l'effort, demeure le principe du devoir, sa condition, sa forme générale. Mais la fin, extérieure et supérieure à nous, bien qu'elle soit en nous, peut être ainsi telle qu'elle ressemble à un ordre et à l'ordre d'un sacrifice: c'est là une pure illusion ou il y a là une part d'illusion, car je ne puis obéir qu'à moi-même, ni suivre une loi contraire à ma nature ou même seulement étrangère à ma nature. Il faut donc élargir l'idée de moi-même, de ma nature, y faire entrer autre chose que moi.

Sous le titre de devoir formel, j'ai fait surtout ou uniquement la psychologie de l'action. Il reste à faire la psychologie ou la théorie de l'action morale, de l'action méritoire. Ici, une deuxième difficulté surgit, qui porte surtout sur la première des deux idées que j'ai signalées au début, l'idée de sacrifice. Bien, bon, mal, mauvais, sont des termes équivoques. Quand on dit : « Tu me fais du bien; ce repas est bon; ce plat est mauvais; je me trouve bien; j'ai mal à la tête; etc. » les mots bien, mal, etc., n'ont pas la moindre signification morale. Il n'y a pas de mot simple et précis pour exprimer l'idée de bien moral. Et moral même est l'adjectif

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