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manoeuvres doivent être en l'hôtel aux heures ordonnées et accoutumées de diner, souper et autres repas. Puis (art. 53): «Que nul desdits maîtres de montaignes, fardeurs, affineurs, ouvriers, manoeuvres et autres maîtres d'hôtel ne soient hardis de mettre ne tenir femmes amoureuses dedans ladite maison où se fera la dépense et habitation d'iceux desdites mines, sous peine d'amende arbitraire. » Le gouverneur décide de toutes les infractions au règlement; il peut frapper d'amendes ou faire emprisonner. Il commet à chaque mine des sergents pour exécuter ses ordres; mais on peut faire appel de ses décisions devant le bailli de Mâcon, sénéchal de Lyon, conservateur de ces mines et des maîtres et ouvriers d'icelles.

Nous avons conservé le compte des dépenses et des recettes de ces mines, pendant qu'elles furent exploitées directement par le roi, en 1455 et 1456 (Archives nationales, KK 329). Ces comptes renferment des détails très intéressants. On voit que les mineurs étaient bien payés et que leur existence semblait assez confortable. On nous décrit leurs couchettes avec linceuls (draps) et coussins, et leur nourriture qui semble avoir été abondante. Du reste, l'exploitation de ces mines par l'Etat fut malheureuse. Jean Dauvet constata bientôt que les frais d'exploitation n'étaient pas en rapport avec le rendement, et il prit le parti de donner ces mines à ferme. La royauté touchait le prix du fermage et le dixième des métaux, et elle savait à quoi s'en tenir. En 1457, on se décida à rendre ces mines aux enfants de Jacques Cœur. Cf: Siméon Luce, Revue des questions historiques, 1877.

Pour en revenir à Jacques Cœur, nous avons vu qu'il était à la fois commerçant, industriel et maître des mines. I centralisait beaucoup d'entreprises et rêvait, sans doute, de mettre entre ses mains tout ce qui pouvait être exploité. Aussi, tout naturellement, il s'enrichit beaucoup. Bientôt sa fortune devint proverbiale. Mathieu d'Escouchy écrit : « Il gagnait, chacun an, tout seul plus que ne faisaient ensemble tous les autres marchands du royaume. » On évaluait ses biens à un million d'écus d'or, ce qui représenterait en argent, comme valeur intrinsèque, plus de dix millions de nos jours; quant à la valeur extrinsèque, par rapport au coût de la vie, elle est bien difficile à calculer. Il n'en reste pas moins que cette fortune était immense.

Jacques Coeur sait, du reste, en profiter; il est magnifiquement vêtu, à l'égal des plus grands seigneurs; en quelque lieu qu'il soit, il se fait servir dans de la vaisselle d'argent; il a des maisons dans la plupart des grandes villes, à Lyon, à Montpellier, etc. A Bourges, il fait bâtir ce magnifique hôtel, qui est une merveille de

l'art; l'architecte qui l'a bàti a réussi à unir au goût le plus exquis l'art d'aménagement le plus ingénieux. Il y a là une variété charmante dans la décoration; et, partout, on lit la devise du maitre « A cœur vaillant, rien d'impossible. »>

Jacques Cœur n'achète pas seulement de riches hôtels : il veut encore avoir des possessions territoriales, qui lui permettent de marcher de pair avec les plus grands seigneurs, et il acquiert plus de quarante seigneuries dans toute la France, particulièrement dans le Berry.

Jacques Cœur, comblé d'honneurs, s'entend aussi à placer ses proches son frère Nicolas devient évêque de Luçon; son fils aîné, Jean, qui est entré dans les ordres, devient en 1446 archevêque de Bourges, à l'âge de 25 ans ; son second fils est nommé chanoine de la Sainte-Chapelle dans la même ville; sa fille se marie avec le vicomte de Bourges; deux autres fils, Ravaut et Geoffroi, continuent le commerce paternel.

L'argentier sait, du reste, se montrer généreux; il fait construire la sacristie, attenant à la cathédrale de Bourges, et, à la place de l'ancienne, fait élever une chapelle pour servir de sépulture à lui et aux siens. A Paris, il restaure, dans la rue Saint-Honoré, le collège des Bons-Enfants. Il prête volontiers aux seigneurs de la cour, et longue est la liste de ses débiteurs. Il fournit à Charles VII l'argent nécessaire pour enlever la Normandie aux Anglais (1449-1450). En 1450, il prête encore au roi soixante mille écus pour le siège de Cherbourg. En 1451, il réside constamment auprès du roi, qui reste son débiteur.

Une telle fortune ne tarda pas à exciter l'envie et la jalousie. Les courtisans lui reprochaient son luxe, qu'ils trouvaient insolent. Les nobles se trouvaient humiliés par la hauteur de ce parvenu. Les commerçants aussi étaient hostiles à Jacques Cœur. En absorbant toutes les entreprises, il avait créé en sa faveur un véritable monopole, qui avait ruiné un bon nombre d'industriels et de négociants. Puis, en transportant son commerce à Marseille, il avait mécontenté les habitants de Montpellier. Ceux qui le chargèrent le plus appartenaient à des familles de Montpellier, les Castellani, venus d'Italie, et les Teinturier. Avait-on également contre lui des griefs politiques? La preuve n'en est pas faite. Ces prétextes de jalousie ou de haine mis à part, on pouvait alléguer contre Jacques Coeur des accusations plus sérieuses. Il faut bien le dire, Jacques Coeur n'avait pas la conscience fort scrupuleuse. Il avait fait fabriquer à Rhodes vingt-cinq à trente mille ducats de mauvais aloi pour payer ses créanciers d'Alexandrie. Il fit fondre à l'hôtel des monnaies de Montpellier des lingots qui n'étaient pas

purs. C'était le moment où les Turcs allaient s'emparer de Constantinople. Jacques Coeur fut accusé de leur avoir fourni des armes. Un jour, il renvoya un esclave chrétien qui s'était réfugié sur une de ses galères, et cela pour ne pas déplaire au soudan d'Egypte. Il y avait donc contre Jacques Coeur de graves griefs. Le roi, qui abandonnait volontiers ceux qui lui avaient rendu service, en retint un, le plus invraisemblable d'ailleurs Jacques Cœur fut accusé d'avoir empoisonné la maîtresse du roi, Agnès Sorel, qui était, au contraire, morte en couches, le 9 février 1450, après avoir choisi Jacques Coeur comme exécuteur testamentaire. Le 30 juillet 1450, l'argentier dut se constituer prisonnier et fut enfermé au château de Taillebourg. Vainement, il réclama le bénéfice de la juridiction ecclésiatique; vainement aussi, l'archevêque de Tours et l'évêque de Poitiers appuyèrent sa demande : ce fut une commission extraordinaire, nommée pour ce cas spécial, qui le jugea. A l'origine, cette commission fut composée de jurisconsultes dont M. de Beaumont a retrouvé les noms. En 1452, on leur adjoignit Antoine de Chabannes, l'ancien chef des écorcheurs, très acharné contre Jacques Coeur depuis qu'il habitait Montpellier, et Otto Castellani, de Toulouse. Au cours de l'instruction, de nouveaux commissaires furent encore nommés, et le roi lui-même s'occupa du procès. De 1451 à juin 1452. il eut lieu à Lusignan, où Jacques Coeur avait été transféré. Charles s'installa dans le voisinage, au château de Villedieu. Jacques Coeur fut ensuite amené au château de Maillé, près de Tours, le roi habitant cette dernière ville.

On dut renoncer à l'accusation d'empoisonnement; mais on retint les autres griefs. Le 29 mai 1453, le roi, siégeant en son Conseil, déclara Jacques Coeur coupable des crimes de concussion et d'exaction, de transfert de grande quantité d'argent chez les Sarrasins, de transfert de billon, d'or et d'argent hors du royaume, et par là criminel de lèse-majesté. Le roi, en considération des services rendus par Jacques Coeur, par égard pour le pape qui était intervenu en faveur de l'accusé, voulut bien lui remettre la peine de mort; mais il le priva à tout jamais de tous offices royaux et publics. Il le condamna à faire amende honorable, tête nue et tenant en ses mains une torche ardente de dix livres. Il devait racheter l'esclave chrétien qu'il avait livré aux Sarrasins ou un autre à son défaut; restituer pour les sommes extorquées aux sujets du roi cent mille écus; payer une amende de trois cent mille écus et rester en prison jusqu'à pleine satisfaction. En outre, ses biens étaient confisqués, et il était condamné au bannissement perpétuel.

Le 2 juin 1453, Jacques Coeur dut faire amende honorable au château de Poitiers, devant le procureur général Jean Dauvet ; et l'on procéda à la vente de ses biens. Cette opération se poursuivit pendant quelques années; du reste, beaucoup de ces adjudications furent fictives. Antoine de Chabannes, un des juges, ne paya jamais au roi les biens qu'il avait achetés. Beaucoup de domaines furent vendus à vil prix, et les frais du procès absorbèrent en partie les produits de la vente. Nous avons le registre de ces ventes faites par Jean Dauvet ; il est conservé aux Archives nationales.

Les navires qui étaient en route ne rentrèrent pas en France et mirent en sûreté leurs marchan dises. Cependant les galères finirent par être saisies et vendues pour 9.100 livres à Bernard de Vaulx; l'une d'elles, le Saint-Michel, fut, peu de temps après, capturée par les infidèles.

Pour être libre, Jacques Coeur n'attendit pas qu'on eût réuni quatre cent mille écus. En octobre 1454, il s'évada de sa prison de Poitiers. Il se cacha d'abord en un certain nombre de couvents, puis gagna Beaucaire, où son neveu Jean des Villages le délivra, et, par Nice, il s'embarqua pour Rome. Le pape Nicolas V, qui avait intervenu en sa faveur lors de son procès, l'accueillit bien, et son successeur, Calixte III mit à profit ses rares talents d'organisateur. Il lui confia le commandement d'une flotte destinée à opérer contre les infidèles, et, au cours de cette expédition, Jacques Cœur mourut dans l'île de Chio, le 15 novembre 1456.

Sur son lit de mort, il avait recommandé ses enfants à la bonté du roi, et Charles n'avait pas attendu cette parole pour leur restituer en partie les biens de leur père. Il compléta son œuvre de réparation; en avril 1454, il restituait à Ravaut et Geoffroy Coeur la maison de Bourges et tous les biens du Berry. Plus tard, il leur rendait les maisons de Lyon et les mines du voisinage; il leur donnait les créances et les biens meubles dont il n'avait pas été fait emploi, moyennant quoi ils renonçaient à toute revendication ultérieure. Quand Charles VII fut mort, l'archevêque de Bourges voulut faire reviser le procès de son père: il adressa une requête au roi, et l'affaire fut introduite devant le Parlement; mais l'affaire n'aboutit qu'à la constatation de la régularité de la procédure, et la réhabilitation n'eut pas lieu.

Jacques Cour a accompli une œuvre importante; mais l'histoire du commerce et de l'industrie au temps de Charles VII n'est pas tout entière dans l'histoire d'un seul homme : elle est aussi dans la série de mesures que prit la royauté pour donner à ce commerce et à cette industrie un nouvel essor. Sans doute, Charles VII s'est

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davantage occupé de l'organisation de son armée, de ses finances et de sa justice; il a mis fin aux désordres des gens d'armes, établi en 1445 des compagnies de cavalerie qui deviendront permanentes, créé en 1448 avec les francs-archers une infanterie nationales; il a donné à la royauté des ressources permanentes et levé la taille constamment; il a réformé la justice et rappelé avec sévérité leurs devoirs aux magistrats. Ce fut là sa première tâche, et, pour l'avoir bien exécutée, il, a donné à son règne un vif éclat. Mais il a su, de plus, s'occuper du commerce et de l'industrie, et a rendu ainsi à la France son ancienne prospérité.

Le commerce et l'industrie purent d'abord prospérer, parce que le roi donna au pays la tranquillité. Après ses grandes victoires sur les Anglais, il signa la trêve de 1444; cette trêve, conclue pour 22 mois, fut sans cesse prorogée, et, en réalité, elle dura jusqu'en 1449. Les cinq années de repos qu'elle laissa au pays furent des années bénies. Chacun se remit au travail et voulut réparer les brèches faites à son patrimoine ou renouer des relations d'affaires. Il y eut, à ce moment, une grande activité. Quand la guerre reprit en 1449 contre les Anglais, le mouvement fut à peine arrêté. Du reste, la campagne fut vivement menée et se termina par la conquête de la Normandie et de la Guyenne et par la libération entière du territoire. Seule, la ville de Calais resta aux Anglais.

Le désir de travailler et de bien vivre devint plus vif. Il y eut comme un sursaut de vie, après cette terrible guerre de Cent ans.

Les anciennes foires furent aussitôt rétablies. La foire du Lendit reprit, en 1444, avec un rare éclat. Charles VII essaya aussi de rendre la vie aux foires de Champagne. Par lettrespatentes données au château de Sarry-lez-Chàlons, le 19 juin 1445, il confirma les anciens privilèges des foires de Champagne et de Brie, avec exemption de tous impôts pendant les dix premiers jours de chaque foire. Mais la vie se retirait peu à peu de ces foires, et Charles VII lui-même leur donna un coup mortel en protégeant les foires de Lyon.

Lyon est dans une situation commerciale admirable ; par les vallées du Rhône et de la Saône, elle est en relations directes avec la Méditerranée, la Savoie et le bassin de Paris. Dès l'année 1420, Charles, alors qu'il n'était encore que Dauphin, avait concédé à Lyon deux foires franches de six jours chacune, et, en outre, tous les privilèges des foires de Champagne, de Brie et du Lendit. Mais, à cause de la guerre, ces foires ne prospéraient pas. En 1444, elles furent rétablies. Au lieu de deux foires,

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