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çantes en France aux XIV et XVe siècles(1).

Cours de M. PFISTER,

Professeur à l'Université de Paris.

Émeutes dans les villes du Nord. Châtiment de Paris.

Nous avons signalé les progrès industriels et commerciaux réalisés au temps de Charles V. Sans doute, la situation économique ne s'était pas améliorée autant que la situation politique; mais, enfin, le roi avait fait de son mieux, et on pouvait espérer qu'une ère de prospérité allait s'ouvrir. Malheureusement, Charles V mourut le 13 septembre 1380, ne laissant comme successeur qu'un enfant de 11 ans, Charles VI. Les trois frères de Charles V, les ducs d'Anjou, de Berry et de Bourgogne, son beaufrère le duc de Bourbon, se disputèrent le pouvoir, et chacun d'eux ne songeait qu'à ses intérêts. Or, contre ces seigneurs dissipateurs et incapables, le peuple va se lever de tous côtés. La bourgeoisie, qui avait abdiqué entre les mains d'un prince sage et bon administrateur, ne se résigna pas à subir les exactions de ces oncles du roi. Elle était, d'ailleurs, poussée en avant par le petit peuple, qui organisait dans les campagnes des jacqueries et dans les villes des séditions sanglantes. Ces mouvements populaires étaient du reste généraux, à cette époque. La ville de Gand, par exemple, s'était révoltée contre le comte Louis de Male en 1379. En Angleterre, les paysans de Kent se révoltèrent à la voix de Wat Tyler, en 1381. En France, il y eut une longue agitation, dont l'histoire vient d'être racontée par M. Léon Mérot dans: Les insurrections urbaines au début du règne de Charles VI, Paris, 1906. Tous ces troubles eurent une répercussion sur l'industrie; car, dans les villes, les maîtres en étaient les principaux acteurs. Nous avons dit que Charles V, sur son lit de mort, avait aboli les fouages, et que les régents avaient été contraints, le 14 novembre 1380, d'abolir les aides sur les marchandises vendues.

(1) Voir la Revue des Cours et Conférences, 1906-1907.

Mais la royauté ne pouvait plus vivre sans imposition extraordinaire; et, si la guerre contre les Anglais était suspendue, les hostilités n'en continuaient pas moins en Bretagne. Une série d'assemblées, états généraux ou provinciaux, se réunirent à la fin de 1380 ou au début de 1381, et votèrent un fouage avec la prétention de lever elles-mêmes cet impôt et d'en surveiller l'emploi. L'impôt fut levé tant bien que mal; mais ces subsides ne suffirent pas. Ce fut alors que le duc d'Anjou voulut rétablir les impôts indirects sur la vente des marchandises et le treizième sur le sel. Ces impôts avaient le tort de frapper surtout le petit peuple des villes; et, quand on voulut le percevoir, avant que ces villes se fussent entendues, un soulèvement général éclata. Rouen donne le signal, le jour de la Saint-Mathias, le 24 février 1382. A la tête de la révolte se mettent les dinants, fabricants de chaudronnerie, de dinanderie, les drapiers et gens de « pauvre étoffe ». Ils se donnent comme chef un riche drapier, Jean le Gras, et se répandent dans les rues de la ville. Puis ils sonnent le tocsin, pillent les maisons des principaux bourgeois, défoncent les tonneaux et répandent le vin dans les rues; enfin, ils malmènent les juifs et pillent leurs boutiques. Cette première effervescence passée, les bourgeois, plus modérés, entrent en scène. Ils forcent le chapitre de Rouen à renoncer à une rente annuelle qu'il percevait sur les halles et les moulins de la ville; l'abbé de Saint-Ouen renonce, de son côté, aux droits de justice qu'il exerçait sur la cité. Dans une grande assemblée tenue au cimetière Saint-Ouen, on lit la Charte nouvelle, et tous jurent de l'observer. La colère étant tombée, l'émeute s'apaise et on se demande avec anxiété ce que va faire le roi. Cette émeute fut appelée la harelle, d'un ancien mot français signifiant sédition, trouble.

Ce qui rendit cette émeute plus grave, c'est que des mouvements analogues éclatèrent dans beaucoup de cités, lorsqu'on voulut percevoir l'aide sur les marchandises. A Paris, le roi avait essayé d'arracher le consentement du prévôt des marchands et des principaux bourgeois; il avait mandé, tour à tour, les délégués de chaque métier, mais tous répondirent de manière évasive. On se décida donc à publier un édit, le 28 février 1382, et, le 1er mars, on voulut commencer la perception : ce jour-là même, l'émeute éclata. Un collecteur alla jusqu'à exiger l'impôt d'une vieille. femme qui vendait un peu de cresson; il fut entouré et massacré. D'autres collecteurs eurent le même sort. La foule des émeutiers grandit; elle se porta sur la Place de Grève, contre l'Hôtel de ville, et s'empara de douze mille maillets de plomb que Hugues Aubriot y avait fait assembler lors d'une des chevauchées

anglaises en France. Alors le peuple commit mille excès: il massacra des juifs et des femmes; il s'empara des livres de comptes, des joyaux, des étoffes. Les portes de la ville furent fermées et les chaînes tendues dans les rues.

Cependant la bourgeoisie, plus éclairée, essaya d'arrêter ces scènes de désordre. Les milices formées par les corps de métiers prirent les armes sous les ordres de leurs cinquanteniers et de leurs dizainiers, et désarmèrent les maillotins; puis ces bourgeois s'interposèrent entre la population et le roi, alors à Vincennes. Le roi promit de revenir au régime de Saint Louis, c'està-dire d'abolir toutes ces aides nouvelles. Il fit aussi une promesse d'amnistie; et, seuls, les chefs du mouvement furent châtiés. L'ordre se rétablit enfin, après une répression cruelle. On décapita de nombreuses personnes, sous prétexte qu'elles étaient au nombre des chefs du mouvement, et l'on put ainsi constater que le gouvernement avait accordé de mauvaise grâce l'amnistie; d'autre part, il cherchait à mater la population parisienne, dès qu'il la sentait forte.

L'accord rétabli avec les Parisiens, la cour se rendit en Normandie pour châtier les Rouennais. Avant l'entrée de Charles VI dans la cité, les chefs du mouvement avaient été décapités et leurs têtes exposées aux portes de la ville. La cloche du beffroi, la Rovel, qui avait donné le signal du désordre, avait été descendue de sa tour. Après l'entrée de Charles VI, le 29 mars, les représailles continuèrent; il y eut de nouvelles exécutions. Le roi supprima la commune de Rouen; la ville perdit son autonomie et fut remise au bailli royal; ce sera désormais lui qui la gouvernera. Les habitants durent payer une très grosse amende. Les Etats de Normandie furent contraints de payer de nouveaux impôts sur la vente des marchandises, le sel et les boissons; l'industrie et le commerce furent ruinés. Les corporations avaient reçu leurs statuts du maire; quand la mairie fut supprimée, beaucoup d'artisans ne voulurent plus se soumettre à ces statuts. Mais, bientôt, le bailli et le vicomte leur en donnèrent de nouveaux ; seulement les métiers perdirent leur indépendance. Ils furent davantage soumis au roi ; cependant il y eut à ce changement un avantage : les règlements nouveaux furent moins étroits, et la royauté favorisait les ouvriers forains qui voulaient exercer leur métier; elle prit aussi certaines dispositions dans l'intérêt du public pour la vente des marchandises.

Lorsque la ville de Rouen eut été châtiée, les régents cherchèrent à mater les Parisiens; mais leur vengeance ne s'exerça qu'après l'expédition de Charles VI en Flandre, lorsque le roi eut

triomphé des Gantois, à la célèbre journée de Roosebeke. Les Parisiens avaient souhaité la victoire des Flamands révoltés et avaient correspondu avec les Gantois. Au moment où l'armée royale était partie pour le Nord, ils avaient fort grommelé, ainsi que l'écrit un historien du temps. Après la victoire de Roosebeke, ils s'attendaient à leur châtiment. Le prévôt des marchands, les échevins et environ cinq cents bourgeois revêtus de robes de fête allèrent au-devant du souverain, lorsque, le 11 janvier 1383, il se préparait à faire son entrée dans Paris. Ils voulaient conduire le roi dans la capitale sous un dais magnifique; mais le souverain, brutalement, leur ordonna de rebrousser chemin et de rentrer à Paris.

Accompagné de douze mille hommes, le roi pénétra dans Paris comme dans une ville conquise, après qu'on eut renversé les battants de la porte Saint-Denis. Aussitôt la répression commença : on enleva toutes les chaînes des rues, qui furent portées à Vincennes; les habitants de Paris durent remettre leurs armes au Louvre ou au Palais; de nombreuses arrestations furent faites, et les prisons du Châtelet se remplirent. Il y eut aussi un très grand nombre d'exécutions. Le 20 janvier, Charles VI fit crier par les rues les nouvelles impositions: douze deniers par livre sur toutes les marchandises vendues; vingt francs par muid de sel; douze sous sur chaque queue de vin vendue en gros; une redevance supplémentaire pour chaque queue vendue en détail ces impôts furent payés aussitôt et sans opposition.

De plus, on enleva à Paris tous ses privilèges municipaux. Par une ordonnance du 27 février, la prévôté des marchands était supprimée, ainsi que l'échevinage. Ce n'est pas tout les métiers, qui ont pris part à l'insurrection, vont aussi être frappés : « En nostre ville de Paris, n'est désormais aucun maître de métier ne communaulté quelconque. » Ainsi les métiers deviennent libres à Paris, et, sur ces métiers libres, le prévôt de Paris seul aura juridiction. Défense est faite de former aucune confrérie, ainsi que l'avait déjà interdit Philippe le Bel; mais, cette fois la défense est absolue : on craint que ces confréries religieuses ne deviennent de véritables centres de complots. Les quarteniers, dizainiers, cinquanteniers, établis pour la défense de la ville, sont supprimés; le roi y pourvoira désormais. Comme pour constater cette prise de possession officielle de Paris par le prévôt du roi, ce dernier devait s'emparer de la maison « qui voulait être pour l'office de la prévôté des marchands, « et était appelée la maison de ville, sise en la place que l'on dit de Grèves ».

Après l'abolition des milices, la terreur continua de planer

sur Paris pendant tout le mois de février. Chaque jour, on coupait trois ou quatre têtes; enfin, le 1er mars 1383, une grande assemblée eut lieu à Paris, dans la cour du Palais; un habitant au moins par maison devait s'y trouver (il semble que les maisons contenaient déjà un certain nombre de locataires). Pierre d'Agemont, le chancelier, rappela, en un long réquisitoire, tous les crimes commis par les Parisiens depuis 1380, puis annonça un pardon général dont cependant quarante personnes étaient exemptes; d'autres échappèrent à la mort en payant de très fortes amendes, qui les ruinèrent.

D'autres villes furent aussi frappées, parce qu'elles avaient suivi le mouvement. Des commissaires royaux vinrent y faire des enquêtes. On frappa d'amendes les cités de Laon, Beauvais et Orléans. Amiens fut atteinte dans sa constitution : l'échevinage ne pouvait plus procéder désormais à son renouvellement annuel sans avoir sollicité et obtenu des lettres du roi; la présidence de l'assemblée devait toujours appartenir au bailli royal, qui devait instituer les nouveaux élus et recevoir d'eux le serment; le bailli convoquait à ces assemblées électorales qui il voulait, et le gouvernement de la cité était de la sorte livré à une oligarchie de grandes familles commerçantes. Les maieurs de bannières, c'est-à-dire les chefs des confréries formées par les artisans, qui, autrefois, avaient la part prépondérante dans les élections, furent exclus de ces assemblées, et toute la constitution s'en trouva bouleversée. Cf. Thèse de M. Mangin et Etudes sur le régine financier de la ville d'Amiens.

Nous venons de parler des émeutes dans les villes du Nord; il y eut aussi une vive agitation dans le Midi. Dès la fin du règne de Charles V, il y avait eu des mouvements révolutionnaires dans le Languedoc cette province protestait contre les exactions du duc d'Anjou, qui s'y était fait nommer lieutenant du roi. Quand le duc de Berry fut nommé lieutenant, au nom de Charles VI, il y eut de nouveaux troubles à Béziers, à Carcassonne, à Nîmes.

Des maraudeurs profitaient de ces désordres et se cachaient. dans la brousse. Ils se recrutaient parmi les ouvriers sans travail des faubourgs. En 1383, ces maraudeurs furent, semble-t-il mis, à la raison.

Puis des amendes très fortes frappèrent les sénéchaussées du Midi et surtout les localités les plus compromises; de 1383 à 1387, ces amendes furent levées, néanmoins; depuis la guerre des Albigeois, le Languedoc n'avait pas subi de semblables rigueurs.

Les artisans avaient tenu le principal rôle dans les révoltes de

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