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courageuse; et, s'il n'a point corrigé le conquérant, ne doit-il pas absoudre le flatteur ?

La satire littéraire avoit jusqu'à Boileau trouvé grâce à tous les yeux. Horace, Perse, Juvénal, chez les Latins, Regnier parmi nous, n'avoient encouru aucun blâme pour avoir vengé le bon goût sur les écrivains qui l'outrageoient. Boileau hérita de leurs armes, et s'en servit comme eux. On lui en fit un crime. Il vit pendant quelque temps le sévère Montausier déchaîné contre lui. Il eut l'art de l'apprivoiser, et la vertu se réconcilia avec la satire; mais celle-ci devoit trouver de nos jours des censeurs plus inflexibles. Plus que jamais elle est traitée d'horrible attentat, et l'on s'efforce de la proscrire comme inutile, odieuse, injuste. Quoi! serions nous réduits à en discuter ici l'utilité? et les services que Boileau a rendus par elle à la litterature seroient-ils à ce point.

oubliés ou méconnus? Aurions-nous besoin de démontrer qu'elle n'a rien d'odieux, lorsque, renfermée dans ses bornes véritables, elle attaque gaiement les écrits, sans outrager les personnes? Seroit-il nécessaire enfin de prouver qu'elle peut, sans injustice, censurer un auteur ridicule, qui compromet volontairement son amour-propre, et qui, demandant des louanges à ses lecteurs, donne à chacun d'eux le droit de lui adresser des critiques? Sans doute on peut abuser de cette justice littéraire ; tous ceux qui l'ont exercée n'en étoient pas dignes, et trop souvent on a

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Et d'attentat horrible on traita la satire.

ÉPÎTRE A M. DE LAMOIGNON.

fait servir au triomphe des plus viles passions, un ministère qui ne devoit être employé qu'à la défense du bon goût et du génie. Mais doit-on envelopper dans une même aversion la satire et le libelle? N'y a-t-il donc aucune différence entre la sévérité éclairée d'Aristarque et la rage aveugle de Zoïle, entre les bons mots de Boileau et les injures de Gacon? O vous, qui vous obstinez à confondre ce qui est si distinct, comparez un moment l'auteur de libelles et le satirique, et revenez enfin de votre erreur! L'auteur de libelles n'écrit point pour les progrès de l'art. Le plaisir de nuire, un vil intérêt, dirigent seuls sa plume. Toujours aux gages d'un parti, il n'a d'opinions que celles qui lui sont payées. Dans les ouvrages, il ne voit que des hommes, dans les hommes que des adversaires ou des soutiens de la cause à laquelle il s'est vendu. Il prône ceux-ci, comme il dénigre ceux-là, sans justice et sans mesure. Il encense la médiocrité pour offenser le talent. S'il exalte up homme de génie, c'est pour en ravaler un autre. Flattant bassement l'autorité qui le méprise, il croit acheter par les louanges qu'il lui adresse, l'impunité de ses diffamations criminelles. Tandis qu'il ménage l'écrivain puissant ou protégé, il poursuit avec un acharnement cruel celui qu'il voit dans la disgrâce. Il rappelle des torts oubliés ou effacés; il insulte au malheur, à l'âge, aux infirmités. Homme odieux, il est encore écrivain méprisable. Il déprime des chefs-d'œuvre, et le plus foible ouvrage est au-dessus de ses forces. C'est en mauvais vers, c'est le plus souvent dans quelques pages d'une prose incorrecte et grossière qu'il déchire des poëmes sublimes. Il se dit

le vengeur du goût, et son style l'outrage sans cesse. L'injure est tout son talent. Puisse-t-il s'y renfermer! Ses éloges flétrissent quiconque en est l'objet, et sa bouche, qu'un long usage de l'insulte a comme défigurée, ne peut s'ouvrir pour la louange sans devenir mille fois plus difforme encore. Le satirique, au contraire, n'a en vue que la gloire des lettres. Il y sacrifie tout. La séduction puissante de l'or, les timides suggestions de la crainte, l'empire des affections personnelles, rien ne peut lui faire taire une censure qu'il croit salutaire, lui arracher une louange qu'il ne croit pas méritée. Ce sont les écrits seuls qu'il juge. Le caractère de l'écrivain, son parti, ses liaisons, n'en affoiblissent à ses yeux ni les beautés ni les défauts. Il sait que l'autorité a sagement abandonné le monde littéraire à nos disputes: il iroit frapper jusque sous ses regards le sot ou l'ignorant, qui auroit surpris sa faveur; et l'homme de génie, qui auroit eu le malheur de lui déplaire, n'en seroit pas moins l'objet de son admiration et de ses éloges. A côté du trait malin qui punit les fautes, il place le précepte qui peut les faire éviter. Il critique les méchants ouvrages; mais il en compose d'immortels. Son vers imprime à ce qui est ridicule une flétrissure ineffaçable; mais il sait aussi, quand il le faut, éterniser la gloire des choses grandes ou utiles. Il possède au plus haut degré l'art de blâmer; mais nul ne loue avec plus de grâce, et son suffrage est le plus sincère et le plus flatteur de tous. Les sots dont il se moque, les vicieux qu'il peut démasquer, le craignent, le haïssent, et, pour s'en venger, l'appellent un méchant; mais il est chéri des gens éclairés

et vertueux qui n'ont rien à redouter de sa sévérité, et qui trouvent en lui un homme de bien.

Les obligations que ce titre impose, Boileau ne les bornoit point à la pratique des vertus vulgaires et indispensables. Pardonne, ô Boileau! si j'étale à tous les yeux, comme un monument de ta gloire, de belles actions qui ne coûtoient rien à ta générosité, et que ta modestie auroit voulu cacher. En me permettant de les divulguer, tu serviras l'humanité qu'honore l'assemblage de tes talents et de tes vertus. Il est utile de retracer de tels exemples. Ils corrigent l'influence pernicieuse qu'a trop souvent exercée sur les mœurs publiques la réunion du vice et du génie.

Le bien que Boileau fit sans faste, je le dirai avec simplicité. Patru, dans l'indigence, se voit forcé de vendre ses livres, sa dernière et sa plus douce propriété. Boileau, jusqu'alors peu favorisé lui-même des dons de la fortune les lui achète au delà de leur valeur, et exige qu'il en jouisse durant toute sa vie. La pension du grand Corneille venoit d'ètre supprimée. Boileau vole auprès du roi. « Je ne puis, dit-il, << toucher la pension que Votre Majesté m'a faite, tant qu'un aussi grand homme que M. Corneille restera « privé de la sienne ». La pension est rétablie, et l'on porte deux cents louis d'or à l'auteur des Horaces. Boileau ne rencontra que deux fois de ces occasions qu'on pourroit appeler les bonnes fortunes de l'homme généreux; mais on le vit, bienfaisant par principes et non point par saillies, offrir constamment sa bourse et son crédit aux hommes de lettres qui étoient dans le besoin. L'ingratitude ne rebutoit point sa bonté.

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Linière faisoit des couplets au cabaret contre Boileau; et souvent le vin qui les lui inspiroit, étoit payé par Boileau lui-même.

Il étoit d'un commerce doux et facile. Son père avoit dit de lui: « Colin est un bon enfant, il ne dira « de mal de personne. » Cette prédiction nous fait rire aux dépens de l'honnête greffier qui fut un si mauvais prophète. Son erreur est facile à justifier. Le père de Despréaux enfant ne put juger que du caractère de son fils, et il en jugea bien. Le génie du satirique, sorte d'instinct qui devoit un jour lui faire trouver dans tout mauvais poète un ennemi à combattre sans ménagement, à immoler sans scrupule, ce génie sommeilloit encore. Le cœur fut et resta toujours bon, l'esprit seul devint impitoyable. « Vous êtes tendre en prose et cruel en vers », lui dit à lui-même madame de Sévigné. Ce mot charmant explique tout, et je devois peut-être me borner à le transcrire.

Après ses actions, le témoignage le plus sûr qu'un homme puisse donner de ses mœurs et de son çaractère, ce sont ses amis. Tout ce que la cour, l'Église, la magistrature et les lettres ont eu de plus distingué par le mérite et par les vertus, le grand Condé, La Rochefoucault, Lamoignon, d'Aguesseau, Arnault, Bourdaloue, Molière, voilà les noms que Boileau peut citer, voilà les garants qu'il peut offrir. Ces noms, qui sont à peine un choix parmi ceux des illustres personnages dont Boileau fut aimé, iront dans la postérité déposer en faveur de ses qualités sociales, en même temps que ses écrits y porteront la preuve de ses talents supérieurs.

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