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joli langage, appelle ce tableau une imitation libre et même un peu trop libre du Cantique des Cantiques. Ce cantique n'y est nullement imité; et les deux ouvrages n'ont de commun qu'un fond de volupté, traité dans l'un avec toute l'innocence d'un amour des premiers âges, et dans l'autre avec le libertinage raffiné des temps modernes. Le Tableau nuptial offre exactement le même sujet que le fameux Cento nuptialis d'Ausone; et les deux poètes ont également fait usage du style métaphorique pour rendre certains détails: Bernard, parce que la chasteté de notre langue l'exigeoit ainsi; Ausone, parce qu'il s'étoit imposé la loi d'employer les expressions du chaste Virgile pour décrire des scènes qui ne l'étoient pas. On ignore assez communément que ce tour de force d'Ausone est en même temps le trait d'un courtisan fort délié. L'empereur Valentinien, qui avoit composé un poëme sur une première nuit des noces, voulut qu'Ausone en fit un sur le même sujet, afin de voir qui des deux l'emporteroit sur l'autre. « Jugez, << dit Ausone, combien la chose étoit délicate. Je «< ne voulois ni vaincre ni être vaincu. Succomber, « c'étoit une sotte adulation; l'emporter, c'étoit de l'in<< solence. » Il prit donc le parti dé faire parler Virgile lui-même, en détournant le sens de ses mots : de cette manière il pouvoit être vaincu sans honte et vainqueur sans danger.

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BERTIN.

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COMPARE A PARNY.—JUGEMENT sur ses élégies ET QUELQUES AUTRES opuscules. - DETAILS SUR SES DERNIERS INSTANTS.

Le nom du chevalier de Bertin figure au premier rang de nos poètes élégiaques. Né avec une imagination brillante, il publia, dès l'âge de vingt ans, un recueil de poésies qui fit concevoir d'heureuses espérances. Peu d'années lui suffirent pour atteindre à la réputation dont il jouit maintenant. Il la dut à ses élégies. Nourri de la lecture d'Ovide et de Properce, il sut s'approprier avec beaucoup d'habileté les images passionnées et les expressions énergiques de ces deux poètes. Un autre écrivain, né comme lui à l'Ile-de-France, du même âge, associé aux mêmes travaux, fixoit dès lors tous les regards dans la même carrière : Parny venoit de nous rendre, dans des vers qui vivront autant que la langue françoise, le mol abandon et les grâces touchantes de Tibulle. Bertin osa paroître à côté de ce rival redoutable. Il ne se dissimula point les dangers d'une telle concurrence. Il avouoit lui-même hautement la supériorité de son rival ou plutôt de son ami; et le recueil de ses élégies est un monument élevé à cette noble ami

tié, autant qu'un tableau passionné de ses amours et

de ses regrets.

L'ensemble des élégies du chevalier de Bertin forme une action complète. C'est l'histoire entière d'une passion, depuis ses premiers mouvements jusqu'au dernier terme où elle puisse parvenir. Arrivée à ce faîte d'où elle n'a plus qu'à descendre, elle est tout-à-coup renversée par une catastrophe bien commune, et pourtant toujours difficile à supporter. L'infidélité d'Eucharis plonge le poète dans un désespoir qui s'exhale en imprécations furieuses. Bientôt aux reproches amers succèdent des plaintes qui chaque jour deviennent plus douces; enfin, le langage paisible de l'amitié vient remplacer tout-à-fait les transports fougueux de l'amour.

Renfermés dans les limites un peu étroites du genre où ils se sont illustrés, et nécessairement bornés à la peinture d'une passion qui est inépuisable pour le cœur, mais non pour l'esprit, pour l'amant, mais non pour le poète, Parny et le chevalier de Bertin se rencontrent assez souvent. Ayant presque toujours les mêmes sentiments à exprimer, ils doivent employer quelquefois les mêmes idées, les mêmes images; et c'est alors seulement qu'on peut établir entre eux un parallèle assez facile, assez exact, pour être certain de l'équité de ses conclusions. Bertin, dans la dixième élégie du troisième livre, n'est plus que l'ami d'Eucharis :

C'en est fait, Eucharis, je ne peux plus vous suivre.
L'amour ne renaît point; il est mort entre nous.
Mais le nœud qui nous reste est encore assez doux :

A l'amour qui n'est plus, l'amitié doit survivre ;
L'amitié vous rendra toujours

Présente et chère à ma mémoire..

Ces vers sont faciles, doux, harmonieux; ce que le poète sent, ils le rendent avec une justesse, une simplicité qui n'est pas sans élégance : peu de lecteurs enfin y trouveront à reprendre. Maintenant voyons comment Parny s'exprime dans la même situation: Il est temps, mon Éléonore,

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On voit qu'ici l'avantage est tout entier du côté de Parny dans ses vers, le sentiment, sans perdre de sa douceur et de son abandon, s'exprime d'une manière plus ingénieuse et plus brillante. Ce qui lui garantit, en général, cette supériorité dans l'élégie, c'est que chez lui le talent est inséparable du goût, c'est qu'en étudiant les anciens, il s'est profondément pénétré de leur substance, et a, pour ainsi dire, fondu leur génie dans le sien, au lieu de leur emprunter des formes superficielles et toujours plus ou moins faciles à saisir: ainsi, il rivalise avec eux plutôt qu'il ne les imite; et, même quand il les traduit, il reste toujours original.

pas

Cet art, toutefois, n'étoit pas étranger au chevalier de Bertin. De même que Parny, et plus fréquemment que lui peut-être, il reproduit les pensées et les images des élégiaques latins; mais il ne paroît s'être attaché tout-à-fait aux mêmes modèles. Ses poésies offrent souvent la même profusion de détails que celles d'Ovide, le même abus de traits mythologiques que celles de Properce. Une secrète analogie dans le tour d'esprit et d'imagination a sans doute déterminé la préférence de Bertin pour ces deux poètes : l'extrême facilité qu'il avoit reçue de la nature, devoit le porter à l'imitation de ces génies abondans qui répandent avec tant de profusion les ornements du luxe poétique. Son style, presque toujours brillant et animé, se soutient plutôt par la vivacité des peintures, que par la délicatesse des pensées et l'élégance exquise de la diction. Le talent du poète, s'élevant presque toujours avec les images qu'il retrace, quelquefois redescend avec elles ; et c'est alors que expression cesse d'ennoblir ce que le fond de l'idée peut avoir de commun. Il semble aussi que Bertin se soit attaché à peindre des sensations plutôt que des sentiments; et cela provient peut-être en partie de ce qu'il suivoit un peu trop fidèlement les traces des anciens, qui ne connoissoient, ni dans leur vie privée ni dans leurs écrits, cette tendre et délicate métaphysique de l'amour, née parmi nous du mélange continuel des deux sexes et de l'empire du plus foible, et qui, ne pouvant pénétrer jusqu'aux femmes honnêtes et de condition libre, toujours renfermées dans l'intérieur des maisons, alloient briguer les faveurs d'aimables

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