Images de page
PDF
ePub

nance auroient-ils eu assez de crédit auprès des maîtres en la science gaie, pour les déterminer à causer cette humiliation au jeune franciscain, qui avoit enfreint son vœu d'humilité en aspirant à la gloire littéraire, et qui surtout, en choisissant l'Ennui pour sujet de ses vers, sembloit avoir voulu exhaler et inspirer aux autres le dégoût de la vie monastique? Quoi qu'il en soit, l'élégie fit une grande sensation dans le monde; quatre ou cinq académies de province s'empressèrent d'inscrire sur leur liste le poète qu'une autre académie venoit de sacrifier à d'injustes considérations; tous les beaux esprits du Languedoc, de la Provence, de la Gascogne et du Dauphiné s'évertuèrent 'pour décorer, comme ils disoient, le capuchon de saint François des myrtes de Cythère et des lauriers du Permesse; enfin, pour comble de gloire, la Gazette de France, que charitablement on avoit priée de déchirer l'ouvrage, en fit un éloge magnifique. Alors, il fut bruit plus que jamais du capucin qui avoit de l'esprit et qui faisoit des vers; et, en vérité, tous les autres capucins durent être peu flattés du ton de surprise avec lequel on s'entretenoit de ce phénomène. On peut croire que leur jalousie n'en fut pas diminuée : aussi est-ce de ce moment que datent les plus vives persécutions qu'ait éprouvées le P. Venance. Il n'en devint lui-même que plus ardent à les mériter, c'est-à-dire à composer des vers. On porte à près de quatre cents le nombre des pièces fugitives échappées à sa muse facile: beaucoup furent insérées, sans nom d'auteur, dans les recueils périodiques, où il est devenu impossible de les distinguer des autres pièces anonymes. Celles qu'on

a rassemblées sont presque toutes authentiques; elles ont d'ailleurs le même caractère, peu de variété dans les idées et de poésie dans l'expression, mais une mélancolie douce et une négligence qui n'est pas sans charme.

LEBRUN.

SA GRANDE INÉGALITÉ. CAUSE DE LA DIFFÉRENCE EXTRÊME DES JUGEMENTS PORTÉS SUR LUI. MOTIFS QUI L'ONT fait attaquer avec une rigueur EXCESSIVE PAR UN CRITIQue distingué. SA DÉFENSE CONTRE CE QU'IL Yy a d'injuste DANS CES ATTAQUES. Sa manière de concevoir l'ode.

SON SYSTÈME

EN FAIT DE STYLE ET DE VERSIFICATION I.

UN critique fort distingué a rendu compte des OEuvres de Lebrun dans le Journal des Débats. Son opinion, soutenue avec toute la vigueur et tout le talent qu'il apporte dans les discussions littéraires, a été très défavorable au poète. Défenseur zélé des bons et anciens principes, adversaire rigoureux des doctrines fausses ou seulement équivoques, il a vu dans Lebrun le chef d'une mauvaise école, le créateur d'un détestable système de versification, enfin un homme qui, confondant la témérité avec la hardiesse, la bizarrerie avec l'originalité, et l'exagération avec la force, a violé toutes les lois de la raison, du langage et du goût. Les OEuvres de ce poète lui ont aisément fourni de quoi justifier ses plus amères censures; mais je crois qu'on y

Ce morceau fut inséré, en 1814, au Journal des Débats, pour venger Lebrun de la critique dure et outrée que M. Dussault, un des rédacteurs de ce journal, y avoit faite de ses odes.

pourroit trouver, avec aussi peu de peine, de quoi motiver les louanges les plus honorables. Lebrun est inégal; souvent il s'élève jusqu'aux traits les plus heureux de la sublimité véritable; quelquefois il tombe dans les excès les plus choquants de la fausse énergie et de l'affectation; ici, le goût le plus pur et le sentiment le plus délicat des bienséances du style paroissent avoir assorti les mots dont son vers se compose; là, ces deux guides du talent poétique semblent l'avoir abandonné tout-à-fait, et alors il révolte ou du moins effarouche l'esprit. Selon qu'on est plus vivement, plus fortement affecté de ses beautés ou de ses défauts, il devient l'objet d'une admiration ou d'un mépris également profond. Souvent la première impression décide; et tel peut-être est pour toujours au nombre de ses panégyristes ou de ses détracteurs les plus déterminés, qui seroit dans les rangs du parti contraire, si le hasard eût fait tomber sous ses yeux d'autres pièces que celles qui les ont frappés d'abord. Enfin, il me paroît presque impossible d'aimer ou de haïr médiocrement le talent de Lebrun: du moins, n'ai-je encore entendu personne le juger avec une vraie modération.

Des deux faces très opposées sous lesquelles ce talent se présente, le critique dont j'ai parlé semble n'en avoir considéré qu'une seule, ou plutôt avoir été tellement révolté de ce qu'elle lui montroit de blâmable, qu'il n'a porté sur l'autre que des regards prévenus, et, pour ainsi dire, ennemis. Il faut approuver, jusque dans ses transports les plus outrés, cette colère, cette animosité du goût qui, trop échauffé à combattre des défauts pernicieux pour l'art, n'aperçoit pas, ou mécon

noît les beautés réelles et nombreuses qui y sont associées. Il y a plus : ce qui paroît de sa part l'excès d'un emportement légitime, pourroit bien être l'effet calculé d'une détermination salutaire. Il est certains vices de composition et de style pour lesquels on ne sauroit montrer et inspirer aux autres trop d'aversion, précisément parce qu'ils ont en eux un charme trop décevant: ce ne seroit pas les flétrir assez que de ne pas les flétrir plus qu'ils le méritent; et, en avouant les qualités brillantes qui quelquefois s'y unissent, on risqueroit d'attirer l'imprudente jeunesse vers le modèle même dont on cherche à l'écarter. Le goût alors, sagement injuste et courroucé de sang-froid, exagère le mal, et passe le bien sous silence. C'est ainsi que quelquefois la politique frappe d'illustres victimes, moins pour le délit que pour ses conséquences, moins pour leur faire expier le crime qu'elles ont commis, que pour intimider quiconque seroit tenté de les imiter. Mais, lorsque l'inexorable critique a fait un grand exemple, lorsqu'elle a pourvu, par une utile rigueur, à la sûreté de l'empire littéraire, dont la défense lui est confiée, la voix de la douce équité ne peut-elle pas se faire écouter à son tour, et, sans appeler d'une sentence nécessaire, consoler l'ombre du coupable, en rappelant la mémoire de ce qu'il a fait de bien ?

Lebrun, poète si orgueilleux, si rebelle à la censure, si convaincu de son génie, seroit sans doute révolté, s'il m'entendoit prendre ce ton soumis et presque suppliant, pour obtenir qu'on lui rende quelque justice; mais j'ai les plus fortes préventions à combattre les censures d'un excellent littérateur les ont

« PrécédentContinuer »